Les jardins ont été rasés, mais le béton n’a pas encore coulé. Ce matin, les membres du collectif « Jardins à défendre d’Aubervilliers » ont fait barrage de leurs corps en s’enchaînant sur le chantier de la future piscine olympique pour empêcher l’irréparable. La police a embarqué 14 militants. Les Jardiniers d’Aubervilliers veulent retarder les travaux le plus longtemps possible, le temps que la justice rende sa décision sur le fond. Si le chantier accumule trop de retard, il perdra également son label JO.
Le week-end dernier, les jardiniers ont vu avec effroi les centrales à béton s’installer sur le site des anciens Jardins qui a été rasé, pelleté et excavé lors de cette funeste journée de septembre 2021, quand les pelleteuses ont tout emporté.
Pas question pour autant de laisser tomber les grelinettes pour les jardiniers d’Aubervilliers. Tôt ce matin, alors qu’il faisait encore nuit, une trentaine de membres du collectif « Jardins à défendre d’Aubervilliers » se sont introduits sur le chantier pour s’enchaîner aux machines et éviter une destruction irréversible.
« Continuer à utiliser le mot jardin, c’est déjà du militantisme. Même si la centrale à béton arrive, on voulait dire qu’on reste opposés au projet, qu’il y a des alternatives, une fois que le béton aura coulé on ne pourra plus rien faire. » explique Viviane, habitante d’Aubervilliers, pour La Relève et La Peste
Depuis la fin du premier confinement, les jardinier.ère.s luttent sans relâche contre ce projet de piscine olympique, « soigneusement caché par les autorités », qui a rasé 4 000 m2 de jardins vivriers pour installer un espace de bronzage et de fitness au nom de l’accueil des Jeux olympiques de 2024 et d’une gare du futur Grand Paris Express.
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Manifestations, pétition ayant recolté 90 000 signatures et recours judiciaires : les jardiniers ont utilisé tous les moyens légaux à leur disposition pour retarder le projet. Malgré une première suspension des travaux obtenue, la Mairie d’Aubervilliers a corrigé les vices de forme moyennant une facture finale de 45 millions d’euros pour le projet, et restant sourde aux revendications et inquiétudes des habitants pour leur futur, et a toujours refusé le projet alternatif du collectif.
« Aujourd’hui, on ne peut plus de permettre de perdre de la végétation, du vivant, des lombrics essentiels à la vie du sol et pourtant en voie de disparition. On a même vu des ouvriers de chantier tuer des hérissons pour une piscine olympique ! Et on peut encore moins se le permettre à Aubervilliers, une des villes les moins vertes d’Ile-de-France. On suffoque déjà sous les canicules chaque été, à tel point que je deviens expatriée climatique lors des fortes chaleurs : je dois me réfugier chez mes parents pour protéger mes enfants. Les habitants n’ont pas tous cette possibilité… A Aubervilliers, il n’y a pas de circuits courts, ni de maraîchers. Si on veut manger bio et sain, il faut faire venir des légumes de Seine-et-Marne. Or, on n’y a plus accès pendant le confinement, il n’y a plus eu d’approvisionnement fluide, et ça c’est grave ! On sait que le XXIème siècle va être traversé de crises multiples, les jardins ouvriers sont l’une des meilleures façons de s’y préparer. » témoigne Viviane, habitante d’Aubervilliers, pour La Relève et La Peste
A Aubervilliers, il y a 1m2 d’espaces verts par habitant alors que l’Organisation Internationale de la Santé en recommande 10 m2. Le PLU ayant été modifié pour détruire des jardins populaires, la justice étudie le recours sur le fond et devrait donner une réponse d’ici trois semaines. S’il donne raison aux jardiniers, ce verdict pourrait de nouveau stopper les travaux.
Mais les pelleteuses sont toujours plus rapides que les décisions de justice. « Face au carnage et à la répression », les jardiniers se sont lancés dans le blocage du chantier en connaissance des risques face à des enjeux financiers importants. Le constructeur est Spie Batignolles.
Si le projet se termine, une fois les JO passés, la piscine devrait être gérée par le biais d’un Partenariat-Public-Privé, via une procédure de marché public. Parmi les potentiels repreneurs : Spie Batignolles avait une filiale de gestion de piscines et centres aquatiques qu’elle vient de céder à l’UCPA.
« Les jardins ouvriers sont un climatiseur pour la Ville, un havre de biodiversité, un remède pour l’infiltration des eaux pluviales en cas inondations, un antidépresseur pour celleux qui cultivent la terre… Cette lutte contre la piscine olympique, elle parle aussi de tous les Jardins ouvriers qui sont menacés aujourd’hui en France, comme à Dijon et à Besançon. Cette lutte, on la tient encore malgré tout car dans quelques semaines la campagne présidentielle va commencer et elle doit se saisir de nos revendications : arrêter le tout béton, stopper ce modèle de croissance basé sur la prédation du vivant et d’accaparement du bien commun pour des intérêts privés. Nous avons besoin de candidats et candidates qui se saisissent de ces enjeux ! Nous, on est prêts, il n’y a que les politiques qui sont hors-sol face aux attentes sociétales. » exprime Viviane, habitante d’Aubervilliers, pour La Relève et La Peste
Objectif des jardiniers : éviter une situation similaire à ce qui s’est passé à Strasbourg. La justice avait donné raison aux habitants opposés au contournement autoroutier alors qu’elle était déjà quasiment finie. Ouvert depuis un mois grâce à une décision en cour d’appel, la fréquentation de ce tronçon autoroutier n’atteint pas du tout les estimations de trafic…
Le bras de fer entre les pelleteuses et les jardiniers va sans doute augmenter en intensité au cours des trois prochaines semaines. Pour l’heure, les jardiniers ont appelé tous leurs soutiens à les rejoindre devant le commissariat d’Aubervilliers.