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Le skipper Stan Thuret a arrêté la course au large pour raisons écologiques

« On se cache derrière des solutions de construction de bateaux vertueuses. Mais les trois quarts de nos émissions restent les transports. Tu rajoutes à cela l’impact sur la biodiversité. On percute plein de baleines, sur chaque grande course. Des poissons-lune aussi, toutes les espèces qui ont une nage lente ». 

Alors qu’il avait atteint son rêve de devenir skipper professionnel, et après avoir participé à de nombreuses courses dont la Mini-Transat, la Transat Jacques Vabre et la Route du Rhum, Stan Thuret annonce en février 2023 qu’il quitte la course au large pour « raisons écologiques ». Peu de temps après, il écrit “Réduire la voilure”, un retour sur son parcours personnel et sa prise de conscience. Rencontre.

Stan Thuret, le skipper qui a arrêté la course au large

Il s’appelle Stan Thuret, a 37 ans et vit en Bretagne quand il ne navigue pas sous d’autres latitudes. Ce dernier se définit comme « cinéaste-navigateur ».

« J’ai eu une première vie où je travaillais dans les longs-métrages de cinéma, avant de vouloir faire du bateau et raconter des histoires sur l’eau », précise-t-il. Après s’être lancé dans la course au large en 2014, et effectué sa « première vraie grande course » en 2017, il fait en 2023 le choix de quitter la compétition. Il poste alors sur les réseaux un texte expliquant sa décision.

« Je pense que ce texte a résonné d’une certaine manière pour pas mal de monde, parce qu’il ne parlait pas que de bateau. Il parlait de toute une génération qui s’interroge sur la finalité de ce qu’elle accomplit, et qui commence à déserter, à affirmer qu’elle n’est pas d’accord avec les modèles établis », analyse-t-il.

Cette parole dépasse donc le cercle des personnes qui le suivent, jusqu’à ce qu’un beau jour, une éditrice le contacte. En juin 2024, il publie son premier livre, Réduire la voilure.

Stan Thuret sur son ancien bateau de course – Crédit : Stan Thuret

Un cercle vicieux

Pour Stan Thuret, le problème principal de la course au large est le même que dans beaucoup d’autres sports : « on a fait rentrer de l’argent dans le système ». En d’autres termes, « on a acté et validé le fait qu’il était normal d’avoir des sponsors et de devenir des panneaux publicitaires », développe-t-il.

« De ce principe-là découle toute une chaîne qui est un cercle vicieux terrible. Quand quelqu’un vient et met de l’argent sur la table, ce n’est pas de l’altruisme. Si cette personne le fait, c’est qu’elle veut des retombées médiatiques. Si on veut des retombées médias, il faut gagner – en tout cas dans le système actuel. Si on veut gagner, il faut aller vite. Si on veut aller vite, il faut avoir la dernière technologie. Pour l’avoir, il faut investir ».

Quelles sont les conséquences de ce cercle vicieux ? Stan Thuret commence par évoquer les impacts de cette course infinie à l’innovation en termes d’émission carbone.

« La construction d’un  bateau pour faire le Vendée Globe représente 600 tonnes de CO2. C’est déjà beaucoup. Et je ne parle que de la construction, qui ne représente qu’un quart des émissions d’un projet global ».

L’empreinte carbone d’une Française ou d’un Français moyen étant estimée à près de 10 tonnes équivalent CO2 par an, une valeur bien supérieure aux recommandations du GIEC (2 tonnes par an et par personne, ndlr).

« S’il n’y avait que la construction… », poursuit Stan Thuret. « On se cache derrière des solutions de construction de bateaux vertueuses, des bateaux qui dureraient des années. Pourquoi pas. Mais les trois quarts de nos émissions restent les transports : les équipes qui se déplacent, les sponsors qui viennent au départ, à l’arrivée, le public qui vient en masse. Et là on rejoint les problématiques des festivals. Comment continuer à faire des machines énormes sans conséquences écologiques ? Tu rajoutes à cela l’impact sur la biodiversité. On percute plein de baleines, sur chaque grande course. Des poissons-lune aussi, toutes les espèces qui ont une nage lente ». 

De l’avis de Stan Thuret, la course au large se trouve dans une période charnière.

« Je pense qu’il y aura un avant et un après le Vendée Globe qui va arriver. L’édition d’il y a 4 ans était la première où tout le monde avait Whatsapp à bord. Aujourd’hui il y a Starlink sur les bateaux. Cela signifie que maintenant, les gens sur les bateaux sont devenus des pilotes qui passent leur vie sur Instagram. À regarder les vidéos des autres. À être peut-être plus informés que toi et moi parce qu’ils n’ont que ça à faire, et qu’ils sont capables de suivre les matchs de foot en direct. Où est l’aventure là-dedans ? »

Le bateau de Stan Thuret en mouillage en Irlande – Crédit : Marine Wolf

Le refus de parvenir

Tout ceci semble bien loin de l’époque du navigateur Bernard Moitessier, dont le « refus de parvenir » paraît résonner en écho avec la décision de Stan Thuret. Alors qu’il s’apprêtait à gagner la première course en solitaire autour du monde en 1969, le marin avait préféré changer de trajectoire pour s’installer sur une île du Pacifique.

« Quand j’ai commencé à me poser des questions et à me dire que je voulais peut-être tout arrêter, il y a un moment où l’imaginaire de Moitessier est revenu à la charge », reconnaît Stan Thuret.

« Mais lui était dans une position encore plus forte que moi parce qu’il était en train de gagner et qu’il a refusé de franchir la ligne d’arrivée. C’était une autre époque, il n’y avait pas autant de sponsoring, les enjeux étaient différents. Mais quand je l’ai relu en écrivant le livre, je me suis rendu compte qu’il avait déjà mis des mots sur tout cela 60 ans avant ». 

Retrouver le rêve

En écoutant le navigateur, il semblerait que le rêve ait quasiment déserté le sport d’aventure qu’était la course au large.

« On demande aux marins eux-mêmes de produire tous les jours du contenu média. Quelle est la qualité du contenu émotionnel que racontes quand tu as déjà tout déchargé sur un groupe Whatsapp, sur ton préparateur technique, sur ton équipe qui te suis, sur ta compagne ou ton compagnon ? Aujourd’hui on a des gens enfermés dans des boîtes, qui n’ont même plus les embruns sur eux, qui passent leur vie à regarder des chiffres, et de temps en temps sortent pour changer une voile. Oui cela reste fou de faire un tour du monde pendant 100 jours dans une petite boîte, mais est-ce que ça fait vraiment rêver ? ». 

Maintenant que l’on a fait ce constat sur ce qu’est devenue la course au large, que pourrait-on imaginer à la place ? Pour y répondre, Stan Thuret s’appuie d’abord cette phrase qu’il écrit à la fin de Réduire la voilure : « la beauté de l’inutile a toute sa place à condition qu’elle soit soutenable ».

Avant de préciser : « plus haut, plus vite, plus fort, c’est la devise des Jeux Olympiques. Aujourd’hui on a été trop haut, trop loin, trop vite. Si une action artistique, sportive ou un mode de vie se fait au dépend de la biodiversité présente ou future, on ne devrait pas le faire. Il s’agit de se demander : quelle est sa finalité ? Si le but du jeu est d’avoir de l’inutile soutenable, est-ce qu’on a vraiment besoin, par exemple, d’un classement ? Parce que la compétition en elle-même pousse à la médiatisation et à la consommation excessive. Donc déjà, si l’on enlève le classement, on part sur l’eau pour quelle raison ? ».

Stan Thuret et son bateau en Irlande – Crédit : Marine Wolf

La beauté de la compétition

Le navigateur soutient que ce qui fait la beauté de la compétition reste de rassembler des personnes au même moment, au même endroit, pour devenir la meilleure version d’elles-mêmes grâce aux autres et non par rapport aux autres.

« La différence est subtile mais pour moi elle est énorme. En fait, on est tous intrinsèquement différents, avec des morphologies différentes. À quoi bon se comparer ? On n’a plus besoin d’avoir de l’individualisme et des personnalités qui se trouveraient au-dessus des autres. Pour moi c’est vraiment d’un autre temps, et il faut qu’on mette en avant d’autres modèles ». 

Nous en arrivons ainsi à cette question qui sous-tend la remise en cause de la compétition de manière générale. Qu’est-ce que la performance ?

« Aujourd’hui on l’associe à la vitesse. Mais il pourrait y avoir une performance écologique. On pourrait se demander : quel est le bateau qui a eu le plus faible impact d’un point de vue environnemental ? On pourrait avoir une performance narrative. Qui dans cet événement nautique nous a raconté la meilleure histoire ? Nous a emmenés, nous a fait rêver, nous a fait rire, ou pleurer ? Qui a ramené la plus belle image ? Qui a ramené la meilleure donnée scientifique ? Il y a tout à imaginer. 

On ne prend pas le temps de creuser ces filières-là parce qu’en fait elles sont écrasées par le fait qu’on ne parle que des gens sur le podium. Alors que souvent les meilleures histoires sont celles des personnes qui arrivent à la fin ». 

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Marine Wolf

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