Vous cherchez un média alternatif ? Un média engagé sur l'écologie et l'environnement ? La Relève et la Peste est un média indépendant, sans actionnaire et sans pub.

Titouan Pilliard s’attaque à un monde obsédé par la performance et à l’impact carbone exponentiel : la course au large

“Aujourd’hui les nouveaux bateaux de course au large cherchent uniquement la performance pure, les bateaux sont allégés, ils cassent beaucoup plus rapidement, ils sont beaucoup moins fiables” alerte le jeune skipper. 

La sobriété et l’économie circulaire en guise de ligne directrice, le jeune skipper de 18 ans Titouan Pilliard s’attaque à un monde obsédé par la performance et à l’impact carbone exponentiel : celui de la course au large. 

“Faire prendre conscience que c’est possible de faire de la voile autrement”, l’acuité aiguisée de Titouan Pilliard parle d’elle-même. Des bateaux toujours plus performants construits à tour de bras avec des matériaux bien souvent issus de la pétrochimie, l’adaptation écologique de la course au large est “clairement insuffisante” selon lui. 

Le jeune skipper de 18 ans, lycéen en classe de terminale à Vannes, a commencé la voile très jeune. “J’étais rapidement sur bateau, en famille ou seul sur un petit dériveur” décrit-il. Il participe dès l’âge de 7 ans à ses premières compétitions. Pendant 6 ans, il multiplie les courses en dériveur, puis au foil, une catégorie de planche à voile dans laquelle il atteint le championnat de France. Il navigue en parallèle avec son père, le skipper Romain Pilliard, sur le trimaran Use It Again, un bateau de seconde main rénové grâce aux principes de l’économie circulaire. 

Crédit photo : Matt Ashwell

Engagé aux côtés de ses parents dès l’âge de 12 ans, il a pu suivre “toute la préparation du trimaran” et du projet Use It Again né en 2017. Les maîtres mots de ce dernier, réduire, réutiliser et recycler. 

“Aller toujours plus vite” 

La classe Imoca, une des plus populaires de la course au large, qui correspond à des voiliers monocoques de 60 pieds (environ 18 mètres de long), est particulièrement productiviste, “de plus en plus de bateaux sont construits” pour cette catégorie. 

Un Imoca “c’est beaucoup de pétrochimie” assène Titouan Pilliard. Les nouveaux bateaux de cette classe sont équipés de foils, des sortes d’ailes d’eau qui leur permettent de se lever pour avoir moins de frottements avec la mer et aller toujours plus vite. Certains possèdent jusqu’à 4 paires de foils, “sachant qu’une paire à un impact de 100 tonnes de C02 à la construction.” 

“Aujourd’hui les nouveaux bateaux de course au large cherchent uniquement la performance pure, les bateaux sont allégés, ils cassent beaucoup plus rapidement, ils sont beaucoup moins fiables” alerte le jeune skipper. 

Pour contrer ce modèle, le projet Use It Again a récupéré un trimaran construit en 2003 pour la skipper anglaise Ellen MacArthur qui a battu le record du monde en solitaire en 2005 avec celui-ci. A l’abandon sur un quai de Brest entre 2011 et 2016, la famille Pilliard l’a remis en état et rebaptisé le Use It Again. 

Le premier objectif était de garder un maximum de matériaux existants, “ce qui n’a pas toujours été facile” selon Titouan Pilliard. Le mât, la bôme, la coque et les flotteurs sont d’origine. 

Crédit photo : Matt Ashwell

Les câbles défectueux tenant le mât ont été envoyés aux Pays-Bas afin de réaliser, à partir de leurs fibres,  des gants résistants aux très hautes températures. Des voiles d’un MOD70, un trimaran légèrement plus petit, ont été retaillées pour convenir au Use It Again. Le mix énergétique du bateau provient d’un hydrogénérateur, d’une éolienne et de panneaux solaires reconditionnés et installés sur un tissu technique provenant de chutes textiles utilisées pour fabriquer les airbags des voitures.

Use It Again for Youth

C’est ainsi que Titouan Pilliard a élargi le projet avec Use It Again for Youth. Son objectif est de restaurer un monocoque, le remettre en état de navigation, selon les principes de l’économie circulaire, tout en sensibilisant le grand public, et surtout les jeunes, à la protection de l’océan et à l’impact positif de la sobriété. 

Se faire construire un bateau, comme l’extrême majorité des skippers, est “inconcevable” pour lui. Le jeune skipper est actuellement en recherche de partenariat afin de financer son projet. 

Allier la performance à la sobriété, montrer qu’il y a une limite à la surproduction et avoir des projets sportifs tout aussi intéressants. L’objectif sportif serait d’être au départ de la prochaine route du rhum en novembre 2026” , explique t-il. 

Le lycéen serait alors sur la ligne de départ aux côtés de son père à la tête de deux bateaux issus de l’économie circulaire. 

Membre de Youth for Climate, il entend, avec Use It Again For Youth, multiplier les actions activistes, notamment contre l’extraction minière dans les fonds marins, avec comme outil de lutte son futur monocoque. Ambassadeur de l’association Children For Ocean, il sensibilise des jeunes en classe de primaire, “CM1 ou CM2 la plupart du temps”, aux problématiques du réchauffement climatique, à l’importance des océans, et leur explique quelles actions ils peuvent mener à leur échelle. 

Crédit photo : Matt Ashwell

A contrario du navigateur Stan Thuret, qui a arrêté la course au large pour des raisons environnementales, Titouan Pilliard n’entend pas mettre de côté sa passion mais plutôt essayer de “changer le milieu de l’intérieur […] faire prendre conscience qu’il est possible de concourir autrement, voire de concourir en faisant de l’activisme”. 

“Changer le milieu”

Rapatrier les bateaux en cargo en direction de leur port d’attache en fin de course, c’est émettre « 48 tonnes de CO2 pour un Class40, 92 tonnes pour un Imoca, et 235 tonnes pour un Rhum Multi », expliquait Stéphane Bourrut Lacouture, responsable RSE de la Route du Rhum, à Reporterre en Octobre dernier. 

Aujourd’hui, une très grande majorité des bateaux sont rapatriés en cargo. Une aberration pour Titouan Pilliard pour qui c’est “ une évidence que mon monocoque ne repartira pas par bateau en 2026”, après avoir terminé la Route du Rhum. Le lycéen est également reconnaissant auprès d’Amaury Guérin, un autre jeune skipper engagé qui sera au départ de la course Mini transat et qui fera le retour à la voile. 

Également perçu par Titouan Pilliard comme une solution pour favoriser la transition du milieu, le rating permet de compenser le temps final d’une course en fonction de la capacité d’un bateau. En d’autres termes, moins un bateau est performant, plus son temps de course sera compensé. Un moyen qui pourrait être développé pour limiter la construction de bateaux toujours plus rapides. Le rating est déjà utilisé dans plusieurs épreuves comme celles du Royal Ocean Racing Club et également dans le monde de la régate (voile légère).

“On pourrait imaginer la possibilité de faire ça dans d’autres classes pour en limiter l’impact environnemental” insiste Titouan Pilliard. 

Les émissions carbone des équipes de skipper sont aussi des éléments qui pourraient être “améliorées”. A chaque course, il y a une équipe à terre qui indique au navigateur les stratégies météo à adopter, les choix par rapport au trafic de cargos. Cela monopolise des moyens logistiques et matériels conséquents. 

Crédit photo : Matt Ashwell

A l’arrivée de la Route du Rhum, par exemple, “les équipes arrivent en Guadeloupe avec plusieurs conteneurs avec du matériel neuf car il y a eu de la casse pendant la course”. Cette année, la direction de course du tour du monde Ultim en solitaire, dont le départ est prévu le 7 janvier, a autorisé les skippers à s’arrêter aux trois cap : cap de Bonne-Espérance, Cap Leeuwin et Cap Horn. Leurs équipes les y attendront pour réparer les bateaux. L’impact écologique sera non négligeable. 

Plus le bateau est léger et rapide, plus il est susceptible de subir des dégâts. Un bateau plus ancien, plus lourd, sera plus résistant. Le record du tour du monde à l’envers, en parcourant les mers contre vents et courants dominants, aurait pu être réalisé en moins de 122 jours (record actuel) par Romain Pilliard et Alex Pella avec le trimaran Use It Again si le bateau n’avait pas subi un accident.

“Ça serait le seul à pouvoir le faire pour se genre de défis, comparé aux nouveaux bateaux qui vont beaucoup plus vite mais qui ne pourraient pas rivaliser sur un tel parcours“ explique Titouan Pilliard. 

L’été dernier, fils et père ont remporté la victoire sur la course Cowes-Dinard-Saint-Malo à bord du même trimaran. Toute une symbolique qui prouve que l’engagement de Titouan Pilliard, “allier la performance à la sobriété”, est pragmatique et porteur d’espoir.

Florian Grenon

Faire un don
"Le plus souvent, les gens renoncent à leur pouvoir car ils pensent qu'il n'en ont pas"

Votre soutien compte plus que tout

Découvrez Océans, un livre puissant qui va vous émerveiller

Plongez en immersion avec les plus grands scientifiques pour tout comprendre sur l’état de nos océans. Des études encore jamais publiées vous feront prendre conscience de l’incroyable beauté de nos océans. Tout cela pour vous émerveiller et vous donner une dose d’inspiration positive.

Après une année de travail, nous avons réalisé l’un des plus beaux ouvrage tant sur le fond que sur la forme. 

Articles sur le même thème

Revenir au thème

Pour vous informer librement, faites partie de nos 80 000 abonnés.
Deux emails par semaine.

Conçu pour vous éveiller et vous donner les clés pour agir au quotidien.

Les informations recueillies sont confidentielles et conservées en toute sécurité. Désabonnez-vous rapidement.

^