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La Parlement européen veut forcer les entreprises à respecter les droits de l’homme et l’environnement

Selon le commissaire, la crise du Covid-19 a prouvé que les chaînes de valeur, complexes, opaques et mondialisées, devaient être mieux encadrées, sans quoi les ambitions humaines et environnementales de l’Union ne seraient pas assurées.

La stratégie des petits pas commence à porter ses fruits. Le 10 mars, les députés du Parlement européen ont voté en faveur d’un rapport d’initiative législative « sur le devoir de vigilance et la responsabilité des entreprises ». Cette étape marque la reconnaissance officielle, au sein des institutions européennes, de la nécessité d’encadrer les pratiques des multinationales et de leurs filiales. D’ici l’été, la Commission doit proposer un projet de directive, qui promet d’être ardemment négocié.

Non contraignant, le rapport d’initiative législative adopté par les eurodéputés à 504 voix pour, 79 voix contre et 112 abstentions, soit une très large majorité, n’en est pas moins ambitieux.

Il ouvre la voie à une nouvelle législation européenne, qui forcerait les grandes entreprises opérant au sein du marché intérieur de l’Union à respecter « les droits de l’homme, l’environnement et la bonne gouvernance dans leur chaîne de valeur », c’est-à-dire dans toutes leurs activités, y compris celles de leurs filiales, de leurs sous-traitants ou de leurs fournisseurs étrangers. 

En mars 2017, la France a été le premier pays du monde à adopter une « loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères », conçue pour responsabiliser les entreprises vis-à-vis des questions de sécurité, de droits de l’homme, de dangers sanitaires et de risques environnementaux.

Grâce à cette loi, les firmes employant plus de 5 000 salariés en France (ou 10 000 dans le monde) sont désormais considérées comme responsables de tous les projets qu’elles subventionnent ou supervisent.

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« Depuis quatre ans, le devoir de vigilance est devenu un vrai débat européen, nous explique Swann Bommier, chargé de plaidoyer pour la régulation des multinationales au CCFD-Terre solidaire. Le rapport d’initiative actuel est le résultat de longs travaux interparlementaires, nourris par la mobilisation de centaines d’ONG comme la nôtre. »

En avril 2020, alors qu’un groupe d’eurodéputés travaillait sur la capacité des victimes des entreprises européennes d’obtenir réparation en Europe, le commissaire européen à la justice, Didier Reynders, a annoncé que son bureau étudiait un projet de directive relative au devoir de vigilance.

Selon le commissaire, la crise du Covid-19 a prouvé que les chaînes de valeur, complexes, opaques et mondialisées, devaient être mieux encadrées, sans quoi les ambitions humaines et environnementales de l’Union ne seraient pas assurées.

Le 1er décembre suivant, le Conseil européen, qui réunit les chefs d’État ou de gouvernement des vingt-sept pays membres, a demandé à la Commission de « présenter une proposition de cadre juridique pour l’UE concernant la gouvernance durable des entreprises, y compris par le biais d’obligations de vigilance transsectorielles », qui pourraient s’appliquer à tous les points de leurs différents systèmes d’approvisionnement. 

« Le rapport du Parlement arrive donc au parfait moment : c’est un signal très fort, transpartisan, que la Commission ne peut pas ignorer », se réjouit Swann Bommier, qui constate « un alignement des trois plus grandes institutions de l’Union ». 

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Dans son rapport d’initiative, le Parlement européen indique que « les normes volontaires » en matière de devoir de vigilance ne suffisent pas à éviter les atteintes aux droits de l’homme et à l’environnement.

La responsabilité des États ne peut être « transférée à des acteurs privés » qui, sans contraintes, ne prennent pas « les mesures proportionnées et adéquates » pour éviter les effets préjudiciables « potentiels ou réels » de leurs activités.

C’est pourquoi les eurodéputés estiment que la seule manière de faire respecter le devoir de vigilance consiste à mettre sur pied ou désigner des « autorités nationales chargées de partager les bonnes pratiques, de mener des enquêtes, de superviser et dimposer des sanctions », tout en déployant, au sein de l’Union, « un réseau européen » d’organisme de surveillance et de justice.

Voilà pour les principes. Mais quelles seront les ambitions de la directive ? se demande la société civile. Comment la commission européenne va-t-elle s’approprier ce rapport ?

« Dans ce genre de textes, le diable se cache dans les détails », continue Swann Bommier, qui nous donne l’exemple d’une tournure de phrase anodine.

Dans la loi française de 2017, il est écrit qu’une grande entreprise « établit et met en œuvre de manière effective un plan de vigilance ». Or, durant les allers-retours du texte entre les deux chambres, les multinationales ont accompli un lobbying extrêmement intense pour retirer le mot « effectif » de la loi.

« Sans celui-ci,indique Swann Bommier, elles auraient eu le droit de mettre en œuvre des mesures qui ne fonctionnent pas. »

De la même manière, si la charge et la preuve sont inversées par la Commission européenne, ce ne sera pas aux entreprises de prouver qu’elles ne sont pas responsables d’une violation, mais aux victimes d’établir des liens de causalité…

Et vu l’opacité des multinationales, la loi sur le secret des affaires, la lenteur de la justice, il est à parier que très peu de personnes lésées parviendront à obtenir gain de cause.

Dans un communiqué récent, un collectif d’organisations rassemblant le CCFD-Terre solidaire, Notre affaire à tous, Les Amis de la Terre, la Ligue des droits de l’homme ou encore Amnesty International, souligne que « des éléments clés doivent être ajoutés par la Commission européenne lorsqu’elle présentera son projet de directive, pour s’assurer de son efficacité ».

Parmi les additions nécessaires à la loi, on peut citer un régime de responsabilité civile « clair et précis », qui permettrait que des entreprises coupables de violations des droits humains ou de l’environnement puissent être trainées en justice, par les victimes ou des associations.  

« Une fois de plus, le mot “effectif” fera toute la différence, déclare Swann Bommier. Ce qu’il faut, c’est que les entreprises mettent en place des mesures de prévention et engagent leur responsabilité civile en cas de violations avérées, le tout de manière effective, c’est-à-dire garantie par des procédures judiciaires. »

Lire aussi : « Des ONG et peuples autochtones attaquent Casino en justice pour déforestation et atteinte aux droits humains en Amazonie »

Les exemples de financement, par les entreprises, des atteintes aux droits de l’homme ou à l’environnement ne manquent pas. En Chine, par exemple, des centaines de milliers de Ouïghours, une minorité musulmane, sont forcés de travailler dans les vastes plantations de coton de la région du Xinjiang, qui représente environ 20 % de la production mondiale de cette matière.

Les Ouïghours font actuellement l’objet d’une répression inouïe. Esclavage, camps d’internement, séparation des familles, campagnes de stérilisation des femmes, les preuves accablant le régime chinois se sont accumulées ces derniers mois.

Et pourtant, les dizaines d’entreprises occidentales, notamment de l’industrie textile, qui achètent le coton du Xinjiang ne peuvent, en l’état présent du droit, être tenues pour responsables du financement indirect de ce travail forcé. C’est pour cette raison qu’un devoir de vigilance sévère paraît indispensable.

En France, la loi de 2017 a permis à une coalition de représentants des peuples autochtones d’Amazonie brésilienne et colombienne et à des ONG, dont Envol Vert, d’assigner le groupe Casino devant le tribunal judiciaire de Saint-Etienne, le 3 mars dernier.

Le géant de la grande distribution est accusé de financer des opérations de déforestation et des atteintes aux droits de l’homme en Amazonie, via l’achat de viande bovine par ses filiales sud-américaines, qui constituent presque la moitié de son chiffre d’affaires total. La société civile espère que de cette action en justice naîtront de premiers éléments de jurisprudence.

Au niveau européen, les lobbies sont prêts à contrattaquer, afin que la directive ne soit pas écrite ou, à défaut, qu’elle ne comporte aucune obligation de résultats (« effectifs »). La Commission européenne est censée rendre son texte en juin prochain. Ensuite, ce sera au tour du Conseil européen et du Parlement de l’amender. Enfin, les trois institutions se réuniront pour adopter définitivement la directive.

« Il y a donc encore un long chemin à parcourir avant de décrocher un véritable droit de vigilance européen », conclut Swann Bommier. En 2022, la France prend la présidence du Conseil européen. Saura-t-elle se placer à nouveau en pionnière ?

Augustin Langlade

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