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Quatre ans après l’adoption de la loi sur le devoir de vigilance, 27 multinationales françaises ne s’y conforment toujours pas

Qui plus est, sept entreprises sur vingt-sept n’intègrent toujours pas le climat à leur plan de vigilance et seules cinq se sont engagées sur la trajectoire 1,5 °C fixée par l’accord de Paris.

Un mois après avoir remporté le procès de « L’affaire du siècle » qui l’opposait à l’État français devant le tribunal administratif, l’association Notre affaire à tous a publié le 8 mars son second rapport sur les plans de vigilance climatique de vingt-sept multinationales de l’Hexagone. De Total à EDF, d’Auchan à Bouygues, Vinci, Airbus, en passant par Renault, le Crédit agricole et la BNP, cette étude analyse la conformité d’un panel de très grandes entreprises à leurs obligations légales en matière climatique et environnementale. Les conclusions sont loin d’être optimistes.

La loi sur le devoir de vigilance, une exception française encore fragile

Reprenant la méthodologie utilisée pour sa première édition, le « benchmark de la vigilance climatique » de Notre affaire à tous a comparé les plans de vigilance de ces vingt-sept multinationales, représentatives des plus importants secteurs économiques, aux objectifs de l’accord de Paris, aux données scientifiques du GIEC et à la « loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères », promulguée en mars 2017.

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Unique au monde, cette loi a été conçue pour responsabiliser les entreprises vis-à-vis des questions de sécurité, de droits de l’homme, de dangers sanitaires et de risques environnementaux. Elle contraint toutes les firmes françaises employant plus de 5 000 salariés en France (ou 10 000 dans le monde), quel que soit le pays dans lequel elles sont implantées, à « mieux maîtriser les risques de toute nature associés à leur chaîne de sous-traitance », selon les mots du ministère de l’Économie.

Plus concrètement, une maison-mère est tenue de surveiller les activités de ses filiales, d’éviter de financer des activités illégales et dans le cas qui nous occupe, d’évaluer l’impact environnemental et climatique de tous les projets qu’elle subventionne ou supervise.

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Les 265 entreprises françaises auxquelles s’applique cette loi, recensées par les associations CCFD-Terre solidaire et Sherpa, ont également l’obligation de publier chaque année et de mettre en œuvre un « plan de vigilance », document transparent devant comporter une cartographie des risques par pays, des procédures d’évaluation régulière des filières, des mesures de prévention et d’atténuation, ainsi qu’un mécanisme d’alerte et de suivi sur le terrain.

C’est au regard de ce plan de vigilance que le 3 mars dernier, une coalition de représentants des peuples autochtones d’Amazonie brésilienne et colombienne et des ONG, dont Envol Vert, ont assigné le groupe Casino devant le tribunal judiciaire de Saint-Etienne.

Le géant de la grande distribution est accusé de financer des opérations de déforestation et des atteintes aux droits de l’homme en Amazonie, via l’achat de viande bovine par ses filiales sud-américaines, qui représentent presque la moitié de son chiffre d’affaires total. 

« Récente et pionnière, la loi sur le devoir de vigilance nécessite encore une jurisprudence, déclare Laure Barbé, coordinatrice du groupe Multinationales à Notre affaire à tous. Celle-ci commence à voir le jour, mais doit être précisée par des cas pratiques, comme l’affaire qui oppose quatorze collectivités territoriales et cinq associations dont la nôtre à la firme Total. »

Par une ordonnance rendue le 11 février dernier, le tribunal judiciaire de Nanterre s’est déclaré compétent pour évaluer la compatibilité du plan de vigilance du groupe pétrolier, premier pollueur de France, avec l’accord de Paris. Il sera désormais possible à la justice française d’enjoindre les multinationales à prévenir les risques climatiques découlant de leurs activités.

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Une responsabilité climatique reniée

Malgré ce contexte juridique, de plus en plus favorable aux revendications écologiques, le rapport de Notre affaire à tous constate que depuis l’année dernière, les vingt-sept multinationales n’ont accompli aucun changement de fond et cumulent encore de nombreuses non-conformités.

« Les entreprises identifient très mal le risque climatique, explique Laure Barbé. Elles ne veulent ou ne parviennent pas à retracer leur empreinte carbone qui, loin de baisser, n’a fait qu’augmenter. »

Additionnées, leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) s’élèveraient à 1 854,82 millions de tonnes (Mt) en 2020, contre 1 550 Mt environ l’année précédente. Mais ce chiffre paraît à l’association « largement sous-estimé ».

Dans le secteur bancaire, par exemple, les multinationales « retracent moins de 5 % de leurs émissions ». Correctement estimée, l’empreinte carbone des vingt-sept entreprises pourraient atteindre 4 889 Mt, soit plus de onze fois les émissions territoriales françaises.

Qui plus est, sept entreprises sur vingt-sept n’intègrent toujours pas le climat à leur plan de vigilance et seules cinq se sont engagées sur la trajectoire 1,5 °C fixée par l’accord de Paris. Brouillons, évasifs ou incomplets, la plupart des plans de vigilance ne présentent pas de cohérence stratégique et ne publient pas « d’informations suffisamment précises pour qu’un observateur extérieur puisse évaluer la mise en œuvre des mesures annoncées », signale le rapport.

Autrement dit, personne n’est à même de connaître l’impact réel des mesures que les entreprises prétendent avoir adoptées.

Sur la base de critères hiérarchisés, comme la prise en compte des risques de leurs activités sur le climat, la reconnaissance de leur responsabilité, ou encore la présence dans leur plan de vigilance des données scientifiques du GIEC, le rapport de Notre affaire à tous a donné aux vingt-sept entreprises une note sur 100, dont la moyenne s’établit à 45,6.

« Aucune entreprise n’a obtenu la totalité des points, commente Avril Julienne, membre de l’association. Et dix-huit d’entre elles n’ont pas même obtenu la moyenne. »

Les plus mauvais élèves sont Total (22,5 / 100), Natixis (25 / 100) et Casino (30 / 100).

« Mais si les notes générales sont en légère augmentation depuis l’année dernière, ajoute Laure Barbé, c’est surtout dû à l’adaptation du format de présentation de leurs actions climatiques par les entreprises. » Une meilleure communication, en somme.

Lire aussi : « En 2019, le groupe Casino a contribué à la déforestation de 56 000 hectares de forêt amazonienne »

Le groupe Bolloré, spécialisé dans la logistique, la communication et le stockage d’électricité, obtient par exemple une note globale de 55 sur 100, alors que ses émissions de GES sont en hausse, qu’il n’adopte aucune trajectoire de neutralité carbone et n’effectue aucun suivi chiffré des mesures prétendument mises en œuvre pour prévenir le changement climatique…

Même constat concernant Auchan, Bouygues, Eiffage, Air Liquide ou Total, ce dernier plaçant 90 % de ses investissements dans les énergies fossiles et s’engageant dans une trajectoire supérieure à 4 °C en 2050.

« Le 8 mars au matin, indique Paul Mougeolle, juriste ayant pris part à l’étude, Notre affaire à tous a envoyé des lettres d’interpellation à toutes les entreprises visées par ce rapport. Le but est de les rappeler à l’ordre, car leurs manquements, leurs inexactitudes, voire leurs tromperies les exposent à des poursuites judiciaires. »  

Si les multinationales ne se conforment pas aux lois en vigueur, des mises en demeure formelles leur seront envoyées, au terme desquelles le juge pourra être éventuellement saisi, à l’image des procédures qu’essuient aujourd’hui Total et Casino.

Pour Yann Robiou du Pont, chercheur spécialiste du climat, il y a urgence. « En tant qu’État, la France ne respecte pas ses engagements de réduction des GES. Elle doit aller plus rapidement et envisager le court terme. Tous les modèles du GIEC sont fondés sur une grande cohésion entre les secteurs et les pays ; c’est pourquoi il faut absolument faire appel aux multinationales, des acteurs énormes, très émetteurs, sans lesquels on ne pourra s’engager dans un monde limitant le réchauffement. Et puis, de toute façon, les entreprises jouent ici leur survie. »

Augustin Langlade

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