La majorité présidentielle a créé l’émoi avec deux annonces simultanées : la gratuité des transports des billets de train pour les policiers en civil, à la condition qu’ils soient armés, et la volonté de diminuer ce même privilège pour les cheminots. Ces derniers dénoncent un travail de division de la population du gouvernement par la distribution « de cadeaux à ceux qui répriment et de coups à ceux qui luttent. »
Gratuité du train pour les policiers
A partir de 2023, les policiers pourront voyager gratuitement dans les trains du réseau SNCF, a annoncé, vendredi 3 septembre, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, selon un accord conclu cette semaine avec la SNCF.
Le ministre s’est auto-congratulé sur Twitter d’un « partenariat gagnant-gagnant permettant de mieux sécuriser les trains et faciliter la vie de nos policiers ».
La gratuité se fait en deux étapes. Elle concerne les trajets domiciles-travail dès le 1er janvier 2022, avec un tarif appliqué de seulement 25% du prix du billet qui leur sera de toute façon remboursé par le ministère sous forme de bons d’achat.
Dès 2023, tout type de trajet sera également complètement gratuit. Le prix du billet sera pris en charge par le ministère. Avec ce privilège, le gouvernement souhaite que les policiers « aident à maintenir la sécurité dans les wagons » en cas de problème.
La contrepartie demandée aux policiers : être armé durant le trajet, même pour un voyage loisirs, et se signaler au chef de bord.
La gratuité des transports est réclamée de longue date par les syndicats policiers, des discussions avaient été engagées dès 2016. De leur côté, les militaires et gendarmes ne payent que 25% du prix du billet, sans avoir l’obligation de voyager armés ni d’intervenir en cas de problème. Mais ils ne bénéficient pas d’une gratuité totale comme cela sera le cas pour les policiers.
Les syndicats policiers ont accueilli la nouvelle avec plaisir et se sont défendus de tout cadeau fait à leur catégorie professionnelle, en expliquant qu’il s’agit d’un « service réciproque qui est fait au profit de la population ».
Cependant, David Le Bars, secrétaire général du SCPN, le Syndicat des commissaires de la police nationale, a reconnu que l’usage d’une arme à feu dans un milieu aussi clos qu’un wagon de train était délicate ; et devrait faire l’objet d’une étude particulière pour « poser les bases de la façon dont la police, dans cette situation, pourra, ou pas, intervenir. »
Dans les faits, cette mesure représente un nouveau privilège accordé aux policiers, de plus en plus choyés par le gouvernement ces dernières années. En 2019, ils étaient la seule profession épargnée par la réforme des retraites. Plus récemment, ils ont été exemptés d’obligation vaccinale.
Remise en question du privilège des cheminots
Un constat dénoncé par les syndicats des cheminots, dont le droit aux facilités de circulation vient d’être, encore une fois, remis en cause par le ministre des Transports Jean-Baptiste Djebbari.
Vendredi, ce dernier a précisé qu’il faudrait « discuter » du périmètre de ces facilités de circulation, dans le cas de transfert des salariés de la SNCF à des entreprises rivales, lors de la prochaine ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs.
Dans le viseur du ministre notamment, les dispositions accordées aux ayants droit des cheminots comme leurs partenaires, leurs enfants de moins de 21 ans ou étudiants, ainsi que leurs ascendants.
Cette annonce fait suite à la publication d’un récent rapport de l’Inspection générale des Finances (IGF) et de l’Inspection générale des Affaires Sociales (Igas), selon lequel plus de 1,1 millions de personnes sont éligibles à ces Facilités de Circulation, ce qui représenterait un manque à gagner de 105 millions d’euros pour la SNCF.
Pourtant, ledit rapport public n’établit pas avec exactitude combien de cheminots et d’ayant droits utilisent réellement ces avantages et le coût que cela représente réellement.
La CGT-Cheminots et SUD-Rail, deux syndicats des cheminots, ont affirmé qu’elles ne se laisseraient pas déposséder d’un droit durement acquis et accusent le gouvernement de vouloir provoquer un débat national pour mieux masquer la casse méthodique du service public ferroviaire.
« Tenter de provoquer un débat national autour de ce droit est grotesque et irresponsable. Le Gouvernement est moins offensif lorsqu’il s’agit de traquer l’évasion fiscale qui coûte chaque année 17 milliards à la France, dont 12 milliards provenant des entreprises. Le ministre des Transports serait, quant à lui, plus inspiré de trouver des solutions afin de permettre à nos concitoyens de bénéficier d’un transport public ferroviaire sur l’ensemble du territoire, déconnecté des seuls enjeux financiers et capitalistiques. » a ainsi martelé la Fédération CGT des cheminots dans un communiqué
Deux poids, deux mesures
Surtout, la simultanéité des deux annonces a fait grincer des dents plus d’un.e cheminot.e en voyant un privilège menacé dans une catégorie de la population pour mieux l’accorder à une autre.
Pour la CGT-Cheminots, « l’attribution d’un nouveau droit pour une catégorie de salariés (…) ne peut se faire en supprimant ce même droit à celles et ceux qui, précisément, œuvrent chaque jour à faire fonctionner le service public ferroviaire. »
Surtout, les cheminots se révèlent choqués de la justification de la présence des policiers dans les wagons par un argument sécuritaire, alors qu’ils dénoncent depuis des années la déshumanisation des gares et des trains entraînée par la réduction de leurs effectifs.
De la même façon, le port d’armes des policiers dans les trains inquiète grandement de nombreux observateurs des droits humains face aux débordements, dérives et violences policières qui restent très souvent impunies, ou alors ne le sont qu’au prix d’une longue et douloureuse procédure judiciaire pour les personnes en ayant été victimes.
Il aura ainsi fallu trois ans à Tom Ciotkowski, bénévole britannique engagé dans l’aide aux personnes migrantes et réfugiées à Calais, pour faire éclater la vérité et punir le policier qui l’avait poussé, puis inculpé d’outrage et de violence.
Au lieu d’être considéré comme une victime de violences policières, il a été traîné devant les tribunaux sur des accusions forgées de toutes pièces, avant d’être acquitté en juin 2019. Ce 2 septembre 2021, le tribunal de Boulogne-sur-Mer a fini par condamner le policier qui avait l’agressé, et fait de fausses déclarations contre lui.
« Ces trois années ont été longues et stressantes, mais je suis satisfait de voir la police devoir rendre compte de ses actes. Si les violences policières restent incontrôlées et impunies, c’est tout le système qui pourrit de l’intérieur. Il est indispensable que des faits de ce type puissent être filmés et révélés au grand jour. » a déclaré Tom Ciotkowski à Amnesty
En effet, les poursuites ont pu aboutir grâce à des éléments de preuve vidéo et à la « détermination d’un petit groupe de militants » selon les rapporteurs des droits humains.
A l’heure où la méfiance de la population envers l’institution policière est de plus en plus forte, notamment suite aux nombreuses mutilations qu’on subies les Gilets Jaunes et violences lors de manifestations, ce nouveau privilège, plus avantageux que celui accordé aux gendarmes et militaires, vient de nouveau créer un écart entre la police et le reste de la société française.
Face à tous ces débordements, de nombreuses voix issues des défenseurs des droits humains et de syndicats, y compris de certains policiers, réclament des États généraux de la police afin de réformer l’institution et en régler les pires problématiques systématiques. Il semble une fois de plus qu’elles n’aient pas entendues.
crédit photo couv : Ludovic MARIN / POOL / AFP