Quand allons-nous pouvoir mettre fin au confinement ? Et pour combien de temps ? Ces questions demeurent la grande inconnue de la crise. Les revirements du gouvernement au sujet des masques ou du dépistage ont prouvé que les politiques d’austérité menées depuis des décennies sont à l’origine de la catastrophe actuelle. De ce fait, toutes les stratégies de sortie de crise, encore à l’état de suppositions, seront extrêmement difficiles à mettre en œuvre.
Un gouvernement incohérent
Depuis le début de l’épidémie, la politique du gouvernement vous semble absurde, ses résultats médiocres, ses communications cacophoniques ? Le 6 mars, Emmanuel Macron se rendait tranquillement au théâtre, au bras de son épouse, pour rassurer les Français et les inciter à sortir. Le territoire comptait alors plus de 600 cas de contagion.
Le 11 mars : les visites sont interdites dans les EHPAD. Le 12 : tous les établissements scolaires sont fermés. Le dimanche 15 : allez voter, on vous protège ! Et le 16 mars, à peine dix jours après la virée au théâtre : nous sommes en guerre. Cette volte-face vous semble incohérente ?
Dans les premiers moments de la crise, l’exécutif assurait que le port généralisé du masque était inutile, voire « contre-productif ». Comme le titrait le Monde, le dénigrement européen de cet outil de protection suscitait « la consternation en Asie ». Début avril, nouvelle pirouette : les masques sont en fait recommandables à toute la population et représentent un instrument nécessaire pour juguler l’épidémie. Vous trouvez cela confus ? Rassurez-vous, c’est une impression normale. Les pouvoirs publics ont du mal à savoir eux-mêmes où ils vont.
Depuis au moins trois décennies, les gouvernements successifs s’acharnent à détricoter les services publics. Si l’école, la sécurité sociale et les retraites en ont fait les frais, les politiques de santé également. La cacophonie sur le port du masque et la pénurie de matériel de première nécessité en sont l’exemple le plus consternant.
En 2011, les entrepôts nationaux de Vitry-le-François (Marne) hébergent encore presque un milliard et demi de masques, un nombre suffisant pour subvenir à nos besoins pendant plusieurs mois. Mais le gouvernement suivant applique une politique d’austérité et rogne sur les dépenses. Les masques coûtent cher, ils sont écoulés, les entrepôts sont vidés et les stocks ne sont pas renouvelés.
Voilà pourquoi le gouvernement dénigrait les masques. Il n’y en avait tout simplement aucun. L’exécutif cherchait à temporiser, à « masquer » son incompétence.
Le déconfinement ne sert à rien sans dépistage massif de la population
Autre exemple : la stratégie de dépistage de la population « à la française ». Avec orgueil et assurance, les pouvoirs publics nous expliquent depuis plusieurs mois qu’un dépistage systématique ne sert à rien lorsque le virus se diffuse sur le territoire avec autant de virulence.
Tester, tester, tester, « il faut tester chaque cas suspect », répétait pourtant Tedros Adhanom Ghebreyesus, le président de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Mais la France préférait appliquer sa propre doctrine de dépistage « ciblé ». En réalité, il ne s’agissait nullement de « stratégie », puisque les capacités de dépistage de la France étaient quasi nulles, comparées à celles de certains pays asiatiques ou de l’Allemagne. Faute de tests, faute d’anticipation, faute d’argent investi dans la prévention, le gouvernement a donc « théorisé l’inutilité de la méthode », comme le martèle Libération, tout en niant en bloc les preuves flagrantes de pénurie. Le dépistage à la française était une stratégie de communication et son échec n’a finalement échappé à personne.
Nous pourrions continuer longtemps la même musique. Si nous manquons aujourd’hui de respirateurs, c’est que nous manquons de lits en soins intensifs ; et si nous manquons de lits dans les hôpitaux, c’est qu’entre 2013 et 2018, 17 500 places d’hospitalisation complète ont été supprimées en France, soit une baisse de 4,2 % en cinq ans.
Rien qu’entre 2017 et 2018, c’est-à-dire sous le quinquennat actuel, plus de 4 000 lits ont disparu. Parallèlement, les usines françaises produisant les équipements sanitaires dont nous avons maintenant besoin n’ont cessé d’être délocalisées en Asie ou dans d’autres pays d’Europe. La France a peu à peu perdu toute souveraineté en matière médicale, devenant dépendante des systèmes de production étrangers et ainsi de la concurrence. Remerciez le modèle néo-libéral quand il s’applique à la santé publique.
Pour ces raisons et sûrement bien d’autres, nous nous retrouvons confinés, dans l’espoir que le gouvernement ne tarde pas trop à trouver ou à inventer les moyens de sortir d’une crise qui n’a de cesse de révéler les failles de notre système. Comme le note dans sa tribune dans Reporterre Gaël Giraud, directeur de recherche au CNRS :
Nous ne sommes plus en mesure « d’entretenir la fiction anthropologique de l’individualisme véhiculée par l’économie néolibérale et les politiques de démantèlement du service public qui l’ont accompagnée depuis quarante ans ». À égalité devant le virus, aveugle par nature, « la santé de chacun dépend de la santé de tous ».
L’hospitalisation récente du Premier ministre britannique Boris Johnson vient de nous le prouver une fois encore, alors que celui-ci était jusque-là l’un des plus grands défenseurs de la stratégie de « l’immunité collective directe », pur produit des États néolibéraux. Un pays qui se préoccupe véritablement de ses citoyens ne se contentera pas de confiner la population, mais investira dans l’hôpital public, dégagera des fonds supplémentaires dans toutes les années à venir et tirera leçon de ses échecs.
Les stratégies de déconfinement
Quelle est la stratégie de sortie de confinement de la France ? Est-on certain que la fin du confinement signera la fin de l’épidémie ? Pour le moment, il semblerait que notre pays n’ait pas encore les moyens de mettre un terme à la restriction actuelle des libertés. Le Premier ministre Édouard Philippe a évoqué la possibilité d’un « confinement différencié » par région. Mais cette idée est encore à l’état d’ébauche et aucune certitude n’existe sur son adoption.
En l’absence de vaccin, l’unique sortie de crise se trouve dans l’immunité collective. Autrement dit, le plus de monde possible, au moins 60 % de la population, doit contracter le Covid-19 sans jamais surcharger les hôpitaux. Pour ce faire, plusieurs stratégies s’offrent aux pouvoirs publics comme un déconfinement par tranche d’âge. C’est un fait, le coronavirus tue bien davantage les personnes âgées ou subissant des pathologies chroniques (cardiaques, vasculaires, diabétiques, etc.).
« Nous avons été surpris de voir qu’une levée de confinement en deux étapes, d’abord les moins de 65 ans, puis trois mois plus tard les plus de 65 ans, les plus à risque, cause presque dix fois moins de décès qu’une levée complète du confinement », résume au Monde Martin Blachier, cofondateur de l’entreprise française de conseil Public Health Expertise, spécialisée dans la modélisation de stratégies médicales.
L’idée serait de lever le confinement, sauf pour les personnes au-dessus d’un certain âge, 50 ou 65 ans, au moins jusqu’à ce que la situation devienne de nouveau compliquée dans les hôpitaux ou qu’une autre solution soit trouvée.
La stratégie du « stop and go ». Ces trois petits mots anglais sont le nom de la méthode la plus fiable de régulation de l’épidémie. Elle consiste à alterner des périodes de confinement et de distanciation sociale et des périodes normales de liberté. Lorsque les hôpitaux franchissent un certain nombre d’admissions préalablement déterminé et risquent de connaître un débordement, de nouvelles mesures drastiques sont appliquées à toute la population.
Tant qu’un vaccin n’est pas découvert, on reste environ les deux tiers du temps confiné et on vise l’immunité collective qui, comme l’explique Le Monde, pourrait n’être atteinte qu’en 2022… Mais une telle stratégie laisse craindre, comme pour la grippe espagnole de 1918-1920, une résurgence du coronavirus à l’automne, qui pourrait redoubler de puissance.
Un plan massif de dépistage. Cette méthode est de loin la meilleure, comme l’ont prouvé la Corée du Sud, Taïwan et dans une certaine mesure l’Allemagne. Le dépistage de la population pourrait s’effectuer de deux manières : les tests diagnostiques et les tests sérologiques.
Les premiers sont ceux que nous utilisons aujourd’hui pour repérer les personnes malades. Les seconds consistent en une détection des anticorps, qui prouvent que les personnes testées sont désormais immunisées contre la maladie, car elles sont déjà tombées malades, même sans symptômes.
Très intéressé par cette stratégie, le gouvernement a annoncé fin mars que les tests effectués dans les hôpitaux, de loin les plus nombreux, passeraient de 10 000 à 50 000 par jour début mai. La France aurait également commandé cinq millions de « tests rapides » qui permettront de contrôler 60 000 personnes de plus par jour à partir du mois de mai. Les personnes positives seront alors soignées ou confinées avec leur entourage et les personnes qui auront été en contact avec elles averties.
Cependant, la France n’atteindra peut-être jamais la capacité de dépistage de l’Allemagne et de la Corée du Sud à cause du retard de son système de production et d’approvisionnement. Pour tester, il faut non seulement posséder des machines très coûteuses, mais aussi des équipements de protection en masse, des réactifs, des écouvillons… Autant de matériel dont la France manque et que les pays du monde entier s’arrachent. Un dépistage massif sera donc très difficile à mettre en place.
Le « tracking » numérique. On parle de « tracking » lorsque des équipes retracent le parcours d’une personne malade, pour identifier les personnes potentiellement contaminées. Mais pour l’appliquer à grande échelle, cette méthode nécessiterait des moyens humains considérables, que nous n’avons évidemment pas.
L’idée serait dans ce cas de mettre en place une surveillance numérique généralisée, comme en Chine, en Corée du Sud ou à Taïwan, à travers la géolocalisation des téléphones portables notamment. Les malades sont dépistés, isolés et toutes les personnes qui ont été en contact rapproché avec eux sont retrouvées et mises en quarantaine. Cette technique a prouvé son efficacité, mais elle est extrêmement liberticide ; en France, où des lois protègent les utilisateurs du recueil de leurs données, on ne pourrait la mettre en place que sur la base du volontariat.
La production de matériel et le renforcement du système de santé. Une dernière solution consiste à reconvertir l’industrie française le plus rapidement possible de sorte qu’elle puisse produire en masse des respirateurs, des masques et des médicaments essentiels, comme le curare, qui sert à ranimer les patients. Parallèlement, il s’agit de financer à grande envergure les infrastructures hospitalières, en augmentant le nombre de lits, en recrutant du personnel et en construisant de nouveaux locaux, pour faire face à une très probable seconde vague épidémique.
Dans cette mesure, le confinement sert à gagner du temps. Déjà mise en place avec plus ou moins de réussite, cette stratégie ne peut cependant nous bénéficier que sur le long terme. En diminuant le nombre de morts dans nos systèmes d’urgence, on atténuera les effets de l’épidémie et la possibilité d’une immunité collective pourra revenir sur la table.
Comme on le voit, l’ensemble des idées concrètes pour appliquer un déconfinement viable restent à l’état de suppositions, de probabilités. Peut-être ces mesures seront-elles adoptées toutes à la fois, ou en fonction des régions. Cependant, en l’absence de tests de dépistage en très grande quantité, de vaccin, ou de structures hospitalières pouvant tenir le choc, nous devrons certainement affronter une deuxième vague épidémique et donc un second confinement. Rappelons que ce sont les maladies chroniques, les industries mortifères et la pollution qui sont à l’origine de la plupart des décès liés à la maladie. En Italie, les chiffres montrent que 99 % des personnes décédées souffraient une à trois pathologies chroniques et que leur âge moyen était de 79 ans. C’est pourquoi une véritable sortie de crise impliquerait un changement radical de notre système. Mais il n’est pas certain que les pouvoirs publics envisagent cette solution.