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Après les masques, la crainte d’une pénurie d’appareils respiratoires

Dans les cas les plus graves, un respirateur peut être occupé par un patient pendant une vingtaine de jours, ce qui risque d’obstruer très vite les services de soins. Selon Jérôme Salomon, directeur général de la santé, il y aurait environ 7 000 lits en réanimation sur le territoire, chacun étant équipé d’un respirateur.

Voilà sept jours que la France est entrée dans une phase inédite de confinement. Si l’on en croit l’évolution concrète de la pandémie, notamment dans les autres pays, cette situation devrait s’étendre sur de nombreuses semaines, voire de longs mois, selon les modélisations scientifiques les plus pessimistes. Ce qui est sûr, c’est que notre pays n’a pas encore traversé le pic épidémique et que l’affluence des malades dans les hôpitaux devrait s’accroître sans interruption, avant qu’on puisse espérer un reflux de la maladie. Dans l’attente du débordement sanitaire qui vient, une question agite tous les esprits : la France va-t-elle connaître elle aussi une pénurie de matériel médical ? Allons-nous devoir sélectionner les personnes en situation de détresse comme en Italie ? Nos capacités hospitalières et nos voies d’approvisionnement seront-elles suffisantes ?

Pénurie de masques de protection

Ce week-end, la première sentence est tombée : nous sommes bel et bien en pénurie de masques de protection. Les semaines passées, les hôpitaux, médecins et infirmiers ont dans un premier temps puisé dans leurs propres stocks. À présent, ceux-ci sont vides et les personnels soignants s’en remettent à l’État.

Or, interrogé le 19 mars à l’Assemblée nationale, le ministre de la Santé, Oliver Véran a avoué que la France ne disposait que « d’environ 150 millions de masques chirurgicaux et d’aucun stock de masques FFP2. »

De l’anglais « Filtering Facepiece » (pièce faciale filtrante), les masques FFP2, en forme de becs de canard, sont les seuls à même d’assurer une protection complète de leurs porteurs, à la différence des masques chirurgicaux, qui ne filtrent pas toutes les particules et peuvent ainsi provoquer la contamination des médecins et des infirmiers.

Comment en est-on arrivé là ? L’épuisement des stocks stratégiques semble la conséquence des décisions des gouvernements précédents en matière de politique de santé. Résumons l’affaire en quelques mots.

En 2009, l’État possédait encore en réserve 723 millions de masques FFP2 (périssables) et un milliard de masques chirurgicaux (sans date de péremption). Mais dans les années suivantes, notamment après l’épisode de grippe H1N1, les autorités sanitaires évaluent qu’en cas de crise, une mobilisation massive des moyens de production français et des importations suffirait à combler les besoins nationaux. Elles décident d’écouler peu à peu les stocks sans les renouveler.

C’était sans compter l’apparition d’une pandémie qui bouleverserait les systèmes de santé et les échanges du monde entier. Ce qu’on est en droit de reprocher au gouvernement actuel, c’est donc d’avoir considéré que tout était prêt pour affronter la crise. C’est son manque d’anticipation.

Mais le temps des accusations n’est pas encore venu. Face à l’urgence, la société entière se mobilise. Côté gouvernement, Olivier Véran a appelé toute personne ou organisation disposant de masques respiratoires « à les remettre à disposition de soignants », tout en signant des commandes pour « plus de 250 millions de masques » qui seront livrés semaine après semaine.

Du côté des grandes entreprises, les gestes de solidarité se multiplient : PSA livrera bientôt 130 000 masques, Bouygues un million, le groupe LVMH une dizaine de millions… Les plus petites organisations, quant à elle, ne sont pas en reste, et les efforts cumulés de toutes les structures modestes pourraient atteindre des sommes inattendues.

Agriculteurs offrant leurs masques anti-poussière, ports et armateurs puisant dans leurs stocks de sécurité, PME envoyant aux hôpitaux leurs réserves, métropoles et préfectures épluchant les rayons de leurs entrepôts, usines reconvertissant leurs chaînes dans la production de masques, toutes les initiatives sont bonnes à prendre en ces temps difficiles.

Enfin, du côté des citoyens, de très nombreux appels à la solidarité lancés dans les médias et sur les réseaux sociaux paraissent avoir été entendus. Alors que tout un chacun fait ses fonds de tiroirs, des couturières bénévoles de toute la France organisent des ateliers pour fabriquer des masques, comme à Gueltas dans le Morbihan, où une chaîne de solidarité s’est mise en place. La priorité est au dépannage.

En attendant, la France a passé la plus grande commande de masques possible, auprès des quatre grandes usines françaises capables de les confectionner. L’État a exigé que celles-ci tournent jour et nuit, sept jours sur sept, à plein régime. Mais elles ne pourront certainement pas satisfaire toute la demande. Pourquoi diable n’a-t-on pas commander ces produits plus tôt, au début de l’épidémie ?

« Depuis plusieurs années, explique Franceinfo, la France s’en est remise aux capacités industrielles de la Chine, aux dépens de la production nationale. L’Asie, fort logiquement, n’a pas pu maintenir ses exportations dans une période de crise continentale, d’où la situation de pénurie actuelle. »

Conséquence évidente de la mondialisation irraisonnée et de la délocalisation à outrance, nous avons perdu le contrôle sur la production, dans un secteur pourtant stratégique comme celui de la santé.

Vers une pénurie de respirateurs artificiels ?

Doit-on craindre que la France traverse prochainement une pénurie de machines à respiration artificielle ? Avec la crise sanitaire actuelle, ces instruments hospitaliers sont devenus essentiels, vitaux. Le Covid-19, la maladie causée par le coronavirus, se complique parfois en une infection respiratoire nécessitant de brancher le patient sur un respirateur artificiel, afin de soulager les poumons le temps que les anticorps se débarrassent de la maladie.

Dans les cas les plus graves, un respirateur peut être occupé par un patient pendant une vingtaine de jours, ce qui risque d’obstruer très vite les services de soins. Selon Jérôme Salomon, directeur général de la santé, il y aurait environ 7 000 lits en réanimation sur le territoire, chacun étant équipé d’un respirateur. Pour le moment, la situation semble sous contrôle, mais elle pourrait très vite dégénérer.

La région du Grand-Est fait en ce point exemple : déjà saturés, les hôpitaux sont forcés de transférer leurs patients, d’avoir recours à l’armée, ou de sélectionner ceux qui recevront des soins intensifs. Pourquoi n’ouvre-t-on pas de nouvelles places ? Faute d’équipement respiratoire.

Dans l’état actuel des choses, la France n’est pas à proprement parler en « pénurie » de respirateurs artificiels. Disons que le problème vient surtout de leur répartition sur le territoire, car tous les départements n’en comptent pas le même nombre. Mais quelles sont les solutions du gouvernement, s’il veut empêcher qu’une pénurie n’advienne, sur le modèle encore une fois de l’Italie ?

Première option, déjà mise en œuvre : reporter toutes les opérations chirurgicales bénignes et libérer les respirateurs des blocs opératoires, réquisitionner les modèles portatifs du Samu, ceux des salles de réveil… Une telle procédure a fait doubler les capacités de réanimation du Grand-Est en une semaine. Mais la situation devrait continuer à se dégrader. En cas de pic important, il n’y aura plus de matériel à disposition.

C’est pourquoi les autorités sanitaires disposent d’une seconde option : procéder à une commande massive auprès des entreprises. Les principaux fabricants mondiaux de machines respiratoires ne sont pas français et ne peuvent donc pas être réquisitionnés. Mais cela n’empêche pas les allemands Draeger et Löwenstein, le suédois Getingue, les américains GE Healthcare et Medtronic, ainsi que le chinois Mindray d’avoir décuplé leur production depuis plusieurs mois pour répondre à la demande croissante.

Les entreprises affirment que leurs salariés font les trois-huit et suivent des précautions sanitaires plus strictes que jamais. La France sera-t-elle livrée à temps ? Tout semble dépendre de l’évolution de l’épidémie. Si nous connaissons une évolution progressive, maintenue, le choc sera amorti par les livraisons. Mais si nous devons affronter une croissance exponentielle des malades comme en Italie, alors il y aura une inconnue supplémentaire à cette équation, dans laquelle rentrent bien entendu d’autres critères.

Troisième option, plus musclée : exiger ou autoriser que d’autres entreprises, étrangères en temps normal au matériel médical, se mettent à produire des respirateurs. Dimanche 22 mars, le président américain Donald Trump a autorisé les constructeurs automobiles Ford, Tesla et General Motors à mettre en route une chaîne de production de respirateurs et de ventilateurs artificiels. Une initiative économique radicale, qui rappelle à certains aspects la Seconde Guerre mondiale.

Les usines de Tesla et Space X fabriquent déjà des systèmes de climatisation et de survie sophistiqués, raison pour laquelle une chaîne d’assemblage de respirateurs ne semble pas si complexe. Du moins en apparence, car il faut bien concevoir les machines et s’approprier les composants.

Les premières livraisons pourraient donc prendre plusieurs semaines, voire quelques mois. En Grande-Bretagne, plusieurs constructeurs se sont également manifestés. En France, aucun pour le moment.

La quatrième option ne paraît pas envisageable pour les respirateurs mais pourrait s’avérer utile dans d’autres domaines : la nationalisation temporaire. C’est ce qu’ont exigé les anciens salariés de l’usine de bouteilles à oxygène Luxfer, à Gerzat, dans le Puy-de-Dôme. Avant sa fermeture en 2019, c’était la seule usine produisant des bouteilles d’oxygène médical en Europe, toutes les autres ayant été depuis longtemps délocalisées.

« Des pays comme l’Italie se sont plaint d’un problème d’approvisionnement. On ne sait pas si c’est le cas en France, mais on a une responsabilité vis-à-vis des autres pays européens puisqu’on est les seuls à produire ce matériel en Europe », a déclaré à Franceinfo Axel Peronczyk, représentant syndical des salariés de Luxfer.

Mais le ministère de l’Économie prétend qu’il ne pourra réquisitionner l’usine qu’en cas de pénurie. Tout est une question de point de vue : préfère-t-on respecter les lois de la propriété et du marché ou l’intérêt général ? Affaire à suivre. 

La mondialisation remise en question

Il y a trente ans, 20 % des produits actifs qui entraient dans la composition des médicaments étaient fabriqués à l’étranger ; aujourd’hui, ce pourcentage grimpe à 80 %.

Après l’apparition de l’épidémie en Chine, de très nombreuses chaînes de production et d’acheminement du secteur pharmaceutique ont été freinées ou paralysées, plongeant plusieurs pays dans une certaine insécurité sanitaire.

La crise du coronavirus nous fait subitement prendre conscience que l’abaissement doctrinal des coûts et la compétitivité systématique plongent des États entiers dans une grave dépendance envers le reste du monde. Il apparaît désormais évident que certaines unités de production vitales ne peuvent pas être sacrifiées sur notre territoire. Si cette idée semble banale aux écologistes et aux décroissants de la première heure, elle ne l’était pourtant pas hier à nos dirigeants.

Mais ce que la pandémie actuelle révèle en creux, n’est-ce pas plutôt le fait que la rentabilité financière court-termiste ne peut plus être le critère de décision majeur, guidant toute notre économie et même notre politique ?

S’il est urgent, comme l’affirme le ministre de l’Économie et comme le suggère le président de la République en filigrane dans ses discours, de relocaliser les secteurs essentiels à la vie du pays et de restaurer la dignité de certains services publics tels que les hôpitaux, il s’agit surtout de comprendre que le véritable problème se situe dans la croissance des flux de capitaux et de marchandises, ainsi que dans la persistance des activités humaines qui détruisent la planète, chimie, pétrole et électronique en tête. Tout notre modèle est à repenser.

Comme l’écrivent les économistes Maxime Combes, Geneviève Azam, Thomas Coutrot et le sociologue Christophe Aguiton dans une tribune au Monde :

« L’histoire n’est pas écrite. Elle regorge de moments où des événements imprévus, des guerres, des chocs politiques ou des mouvements sociaux ont accéléré des processus en cours ou permis des bascules imprévisibles. Il est de notre responsabilité collective de faire basculer le monde du côté de la solidarité, de la soutenabilité, de la réduction des inégalités, en deux mots vers un monde vivable et désirable. Il faudra pour cela que nos sociétés retirent le pouvoir des mains des barons des affaires, des illuminés de la technoscience et de leurs représentants politiques. »

Le coronavirus pourrait en ceci nous servir d’avertissement.

Augustin Langlade

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