La souveraineté alimentaire est essentielle à notre survie. Pourtant, dans une société où jamais autant de nourriture n’a été produite, consommée ou même jetée, elle est en danger. L’artificialisation des sols en est l’une des menaces principales. En Ardèche, le CAABA (collectif pour l'autonomie agri-alimentaire du bassin d'Aubenas) milite pour sanctuariser les terres arables en vue du nouveau PLUi (Plan local d’urbanisme intercommunal).
Sanctuariser les terres agricoles dans le PLUi
Malgré la loi ZAN qui promet de réduire plus de 50 % le nombre de parcelles constructibles d’ici 2030, les conditions historiques en terme agraire, climatique, ayant permis à notre système alimentaire de prospérer sont maintenant sur la sellette. Les citoyens s’emparent de cette problématique localement en protégeant notamment leurs terres cultivables de l’urbanisation. C’est le cas du collectif CAABA constitué en février 2023.
« J’étais énervé par la situation où je voyais des permis de construire qui n’arrêtaient pas d’apparaître sur le territoire du bassin d’Aubenas. Sachant que l’on a un document d’urbanisme qui est le PLUi qui va sortir et qui va définir les nouvelles zones constructibles. On est en train de détruire ce qui pourrait nous apporter de l’harmonie sur le territoire » explique Philibert Sabaton, fondateur de CAABA, pour La Relève et La Peste
Dans l’actuel plan local d’urbanisme, CAABA a répertorié 123 hectares menacés par l’artificialisation. Le collectif est constitué d’urbanistes, d’agronome, d’une personne travaillant pour l’association Les Grenier d’abondance, d’une retraitée de la chambre d’agriculture et de deux personnes œuvrant dans le secteur alimentaire. Le groupe d’experts veut inciter les techniciens qui rédigent le PLUi à protéger les terres agricoles.
« On ne va pas s’opposer à la construction d’un hôpital, on sait qu’il y a des enjeux, que le foncier est important. L’idée est de discuter avec les techniciens pour nous donner de la visibilité. Que l’on puisse nous dire que cet espace va être préservé et cet autre non. Alors comment faire pour le protéger ? Est-ce qu’il n’y a pas d’alternative ? On veut réfléchir ensemble car nous sommes tous des acteurs concernés. On habite tous sur le territoire et on l’aime. On a envie de le maintenir, de le rendre résilient. » précise Philibert Sabaton, fondateur de CAABA, pour La Relève et La Peste
En Ardèche, les plus belles terres cultivables, c’est à dire « irrigables, mécanisables et plates », se situent sur le bassin d’Aubenas. Elles sont malheureusement en concurrence directe avec les zones d’activités économiques. En effet, ce sont 209 hectares qui ont été artificialisés entre 2011 et 2021.
« Sur l’une des parcelles, il y a le projet d’une caserne de pompier, alors que c’est une zone humide et fertile. Le terrain prévu pour la construction de ce bâtiment fait entre 2 et 4 hectares. Ils ne vont pas construire une caserne de 4 hectares ! Qu’est ce qu’il va se passer à côté ? Est-ce qu’il n’y a pas moyen de la mettre ailleurs ? On aimerait pouvoir en discuter avec les techniciens. »
Le collectif souhaite apporter sa contribution à l’élaboration du PLUi. Malheureusement, ils n’ont pour le moment aucun retour des élus ou de la technicienne de la Communauté de communes. Pourtant, des solutions existent déjà pour protéger ces terres comme par exemple le PADD (plan d’aménagement de développement durable).
Ce dernier donne les grandes orientations politiques du PLUi. Une fois qu’il est passé en conseil communautaire, c’est-à-dire qu’il a été débattu puis délibéré avec les élus au sein des communes, les élus peuvent faire les sursis à statuer. Ces derniers permettent aux intéressés en cas de mise en péril du futur plan d’urbanisme de bloquer ledit projet.
« L’élu pourrait dire : « Cette parcelle a un enjeu nourricier donc on attend de terminer le PLUi avant de vous dire si vous pouvez faire le projet dessus ». Sur le bassin d’Aubenas, le PADD devait passer en conseil en communautaire en octobre et il a été reporté par rapport à toutes les problématiques de la loi ZAN. L’État a demandé aux régions de se mettre en conformité avec ladite loi et les décrets d’application parus récemment. On ne sait pas s’ils les mettent en attente parce qu’ils espèrent construire plus ou moins. On a fait tout un travail de veille pour dire si, sur chaque projet, il y a une parcelle agronomiquement intéressante ou non. » détaille Philibert Sabaton, fondateur de CAABA, pour La Relève et La Peste
Pour ces experts engagés localement, protéger les terres cultivables du territoire, c’est avant tout répondre aux crises climatiques et énergétiques en sécurisant la production agricole et leur sécurité alimentaire.
Une question de souveraineté alimentaire
La souveraineté, la résilience ou encore l’autonomie alimentaire représente la capacité d’un territoire à répondre à des crises le plus rapidement possible. Aujourd’hui, le bassin d’Aubenas compte 5466 hectares cultivés alors qu’il en faudrait 14 964 pour satisfaire les besoins de la population.
« Admettons une crise pétrolière. Il faut savoir que toute la nourriture est transportée en camion, même sur les territoires ruraux. On est certainement plus autonomes que les villes, mais on ne l’est quand même pas complètement. On s’est appuyés sur le logiciel gratuit CRATer des Greniers D’abondance qui permet de faire un diagnostic au service de la transition alimentaire.
Il montre que sur Aubenas, on est très loin de l’autonomie alimentaire bien que l’on soit en zone rurale. Historiquement, on était un territoire très agricole et c’est cela que l’on a envie de souffler à l’oreille des élus : Regardez on est capable ! On a délaissé l’agriculture en Ardèche alors que l’on a « la capacité de ». Ne gâchons pas ce potentiel en vue des crises à venir ! » s’exclame Philibert Sabaton, fondateur de CAABA, pour La Relève et La Peste
Le collectif sensibilise également les citoyens à ces problématiques. Ils ont ainsi rédigé une tribune pour impliquer les habitants du bassin d’Aubenas dans l’élaboration du PLUi afin de faire valoir l’importance de protéger ces terres fertiles et d’assurer la sécurité alimentaire de la population, mais aussi de limiter les effets du dérèglement climatique.
De fait, les sols abritent plus du quart de la biodiversité de notre planète en assurant des fonctions essentielles à la vie. Cette dernière peut être dramatiquement et irréversiblement altérée voir détruite lorsqu’ils sont artificialisés.
La loi climat et résilience de 2021 définit l’artificialisation des sols comme « l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage. »
Les conséquences sont sans appel : accélération de la perte de biodiversité, réchauffement climatique, augmentation des risques d’inondation et réduction du potentiel agronomique des sols. Pour CAABA, il est donc vital que les citoyens, les élus ainsi que le monde privé des entreprises s’emparent de la question.
Selon Philibert : « Il y a vraiment des diagnostics à faire sur le territoire comme recenser le nombre d’agriculteur qui va partir à la retraite, protéger le foncier, créer des circuits courts. Il y a énormément de choses à développer. »
Le collectif CAABA veut rallier le plus d’habitants possibles à sa démarche d’ici la fin de l’année. Pour l’heure, nombre d’entre eux ont l’impression de ne pas avoir voix au chapitre concernant les décisions prises par les collectivités. A travers la sanctuarisation des terres agricoles, CAABA cherche aussi à redonner leur rôle politique aux citoyens.
PLUi, SRADETT, SCoT, ZAN, PADD késako ?
A l’instar d’Astérix et Obélix, quand ils se retrouvent perdus dans les méandres de l’administration romaine et finissent par en perdre leur latin, la raison et leur sang froid dans « Les 12 travaux d’Astérix », la mise en place d’un PLUi et sa compréhension a de quoi rendre fou même le plus consciencieux des citoyens. Un peu d’explications est donc nécessaire.
D’abord, le CAABA ne participe pas à la rédaction du PLUi, c’est le CCBA (Communauté de commune du bassin d’Aubenas) qui en est chargé. Pour rédiger un PLUi, ce dernier doit répondre aux lois étatiques. Cependant, ce qui vient définir la rédaction exacte du PLUi, c’est à dire le zonage de la parcelle (dire si elle est constructible ou non), doit se référer à des documents urbanistiques SUPRA.
« En Ardèche, ça va être le SCoT (Schéma de Cohérence Territoriale de L’Ardèche méridionale). C’est là qu’à mon sens, il y a encore des flous politiques puisque ce document devait être approuvé un juin 2022 avec des zones agricoles à préserver. Ce dernier a été remis en question et l’on n’arrive pas à mettre la main dessus. J’ai réussi à l’avoir car j’ai des collègues qui travaillaient sur ce sujet mais soi-disant, il n’est plus à jour. Là, le SCoT Ardèche est en attente, on n’arrive pas à trouver d’informations claires par rapport à cela et aux stratégies agricoles qu’ils avaient définies dans ce document urbaniste qui est à l’échelle de l’Ardèche méridionale » déplore Philibert Sabaton, fondateur de CAABA, pour La Relève et La Peste
Ainsi, le SCoT est au-dessus du PLUi. Par voie de conséquence, le PLUi doit répondre aux ordonnances du SCoT. Au-dessus de ce dernier se trouve le SRADDET (schéma régional d’aménagement de développement durable et d’égalités des territoires). C’est un document régional. Dorénavant, la loi ZAN (Zéro artificialisation nette) conditionne tous ces schémas. Elle va donner les orientations avec les chiffres ainsi que les décrets d’application que le SRADETT va mettre en place, suivi du SCoT et enfin du PLUi.
« Tout doit être cohérent et obéir aux documents supra, tout doit être cohérent par rapport à la loi. C’est cela que Laurent Wauquiez, président de la région Auvergne-Rhône Alpes, dont l’Ardèche fait partie, a remis en question. Comme c’est aux régions de mettre en conformité leurs documents, il a suscité une polémique en prétendant que la ZAN était une loi anti-rurale et que la région s’y opposait. Il a simplement dit : « On ne fera pas un SRADDET à la hauteur de vos enjeux ».
C’est pour cela que le PADD (projet d’aménagement et de développement durable) qui devait sortir en octobre ne l’est toujours pas. C’est parce que les élus, les techniciens n’ont pas les informations sur ce fameux SRADETT. Ainsi, ils n’ont pas les mises à jour de la loi ZAN et ne peuvent pas faire ces documents. Donc pas de PLUi. Le PADD donne les grandes orientations politiques du PLUI. On est toujours en attente. » détaille Philibert Sabaton, fondateur de CAABA, pour La Relève et La Peste
Les futurs documents d’urbanisme vont être très restrictifs en termes d’urbanisation. Selon Philibert, il est probable qu’ils le retardent pour continuer à construire avant qu’il ne devienne impossible de le faire. Avec la réduction de 50 % du nombre de parcelles constructibles d’ici 2030, certains ne pourront plus bâtir des maisons pavillonnaires. Un propriétaire foncier possédant 1000m2 de terrain constructible risque de perdre beaucoup d’argent si ce dernier devient non-constructible.
« Ils font trainer la démarche pour que tous ceux qui ont des projets de construction puissent les faire. Sauf qu’ils mettent en péril les futurs documents d’urbanismes. Ils mettent en péril la loi ZAN, c’est-à-dire que l’on aura peut-être déjà explosé nos quotas quand le PLUi sera approuvé, dans ce cas on ne pourra plus construire. On aura modelé le paysage de façon complètement dés-harmonisé. C’est dommage parce que demain ce document va nous dire comment designer un territoire harmonisé, de manière bien réfléchie. » insiste Philibert Sabaton, fondateur de CAABA, pour La Relève et La Peste
Le collectif CAABA n’a reçu jusqu’à présent qu’une réponse des élus du partis communiste d’Aubenas et un article dans le journal local « la Tribune ». Pourtant, ils ont envoyé leur plan agricole au CCBA ainsi qu’à d’autres élus de la ville d’Aubenas. Il y a urgence : un agriculteur va être directement concerné par un projet de lotissement.
En ce qui concerne le président de la Communauté des communes d’Aubenas Max Tourvieilhe, il explique dans ledit journal qu’il n’a pas eu connaissance du collectif mais que l’on ne peut pas s’opposer à la constructibilité d’un terrain sinon, ils se feront attaquer en justice. Il a encore précisé que toutes les lois mise en place poussent à limiter l’artificialisation et que les élus font leur travail en ce sens.
Pas de quoi décourager le collectif qui est déterminé à poursuivre sa démarche, convaincu que c’est par les luttes locales que nous finirons par construire une société plus résiliente. Nous sommes tout-e-s concerné-e-s par la préservation de nos terres nourricières en Ardèche et partout en France. Se mobiliser, obtenir des explications et pouvoir donner son avis sur les projets d’aménagement du territoire est un droit fondamental que le collectif CAABA est prêt à défendre jusqu’au bout.