Utilisé depuis des millénaires comme fibre textile ou pour ses propriétés psychotropes, le cannabis n’est pas au bout de ses promesses : de plus en plus d’études suggèrent que la plante verte aux mille usages pourrait aussi servir à dépolluer les sols contaminés aux métaux lourds.
Début novembre, l’hebdomadaire sud-africain Mail & Guardian s’est penché sur les travaux récents de Tiago Campbell, chercheur en sciences de l’environnement à l’université du Witwatersrand, la plus prestigieuse institution universitaire d’Afrique du Sud, située à Johannesbourg.
En étudiant les capacités de « phytoremédiation » exceptionnelles du chanvre agricole ou industriel (une variété très peu psychotrope du cannabis), le scientifique a voulu savoir si la culture de cette « mauvaise herbe » permettrait de dépolluer les centaines de zones contaminées de la région de Johannesbourg.
Cœur économique de l’Afrique du Sud, la petite province du Gauteng compte en effet près de 400 sites liés aux anciennes mines d’or, qui ont fait la richesse du pays. Abandonnées, la plupart de ces zones présentent des concentrations élevées de métaux toxiques, parfois radioactifs, comme l’arsenic, le zinc, le cobalt, le cuivre, l’uranium…
Le lac Robinson de Randfontein, à l’ouest de Johannesbourg, contiendrait par exemple des niveaux d’uranium 40 000 fois supérieurs à la normale, si bien que cet ancien étang de loisirs aurait été déclaré « zone radioactive » et interdit au public.
Une mauvaise herbe miraculeuse
Aussi opportuniste que résistant, le chanvre peut être cultivé dans les environnements les plus difficiles, sans aucun pesticide. D’une croissance rapide, ses jeunes plants atteignent deux à trois mètres de haut en soixante jours et jusqu’à cinq mètres en cinq mois, séquestrant au passage 9 à 13 tonnes de dioxyde de carbone par hectare de plantation.
Mais c’est surtout le système racinaire du chanvre qui intéresse les scientifiques. Plongeant à deux ou trois mètres dans le sol, ses longues racines le rendent capable d’absorber bien davantage de substances toxiques que les autres plantes utilisées en phytoremédiation, telles que la moutarde brune, la jacinthe d’eau, la luzerne ou le tournesol.
Par ailleurs, contrairement à ces dernières, le chanvre peut créer de nombreux marchés secondaires. Outre les produits alimentaires et médicaux, exclus d’office dans le cadre d’une dépollution, la fibre de cannabis sert à fabriquer des matériaux industriels, des cordes, du papier, des briques ou du carburant, autant de débouchés qui rentabiliseraient sa culture et stockeraient, pendant longtemps, les métaux lourds extraits de l’environnement.
Du chanvre en zone d’exclusion
La réputation d’hyper-accumulateur du chanvre s’est forgée dans un contexte on ne peut plus singulier : la catastrophe nucléaire de Tchernobyl.
À la toute fin des années 1990, une équipe de scientifiques et d’industriels ukrainiens ont été autorisés à expérimenter, dans la zone d’exclusion de 30 kilomètres autour de la funeste centrale, des cultures de cannabis et de tournesol à des fins de phytoremédiation.
Leurs expériences ont alors démontré que le chanvre constituait la plante la plus à même d’absorber les principaux polluants radioactifs présents aux abords de Tchernobyl, le césium 137, le strontium 90 et l’uranium 235, hautement dangereux.
La méthode employée en Ukraine est simple et reproductible : pour nettoyer une zone, il suffit d’y cultiver du cannabis, de laisser les feuilles absorber les contaminants, puis d’incinérer la récolte, en traitant les cendres comme des déchets radioactifs.
Seul inconvénient : le processus exige du temps, plusieurs décennies pour des sols très pollués.
Du laboratoire au terrain
À Johannesbourg, Tiago Campbell a fait pousser, en laboratoire, près de 1 000 plants de cannabis dans des sols prélevés sur certains terrains miniers contaminés par des métaux lourds. Ses résultats prouvent que le chanvre peut croître sans entrave dans les milieux les plus hostiles.
Publiée en juin dernier, une étude de l’Université catholique de Louvain, en Belgique, est cependant venue nuancer ces conclusions : en conditions réelles, les quantités de métaux lourds absorbées par le chanvre seraient plus limitées.
« Ça dépend en fait du type de sol, s’il est sablonneux ou argileux, par exemple, a expliqué à RTBF Marie Luyckx, la doctorante à l’origine de l’étude. Certaines particules de sol retiennent fortement les métaux lourds et rendent donc le travail du chanvre plus difficile. »
En cultivant des plants sur un terrain contaminé près de Lille, dans le Nord, Marie Luyckx s’est aperçue qu’un processus complet de phytoremédiation prendrait « dix, voire vingt ans », mais que « le matériel végétal produit [serait] moins dangereux pour la santé » et, de ce fait, valorisable plus facilement.
Les sols pollués, une bombe à retardement
En Europe, 6,24 % des terres agricoles, soit 137 000 kilomètres carrés, seraient suffisamment polluées aux métaux lourds (arsenic, cadmium, antimoine, plomb, etc.) pour nécessiter des mesures de dépollution, ou tout du moins une évaluation locale systématique.
La France, quant à elle, abrite quelque 320 000 anciens sites industriels et près de 3 000 anciens sites miniers, dont les sols seraient, pour la plupart, dramatiquement contaminés.
Contrairement à l’air ou à l’eau, la lutte contre la pollution des sols n’a pourtant jamais été une priorité des pouvoirs publics, ni fait l’objet d’une attention médiatique particulière. Sans état des lieux précis, sans enveloppe budgétaire, sans programme de dépollution, la France reste pour l’instant assise sur une bombe à retardement.
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