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Laetitia Becker, la biologiste française qui sauve les loups

« Nous essayons de reproduire ce qui se fait dans la nature. Quasiment tous les loups naissent au printemps. Les premiers qui quittent la meute ont entre 1 et 3 ans, et s’en vont à partir de mai. Donc c’est exactement ce que l’on faisait : on les gardait moins d'un an, une dizaine de mois. »

Elle est la femme qui murmure à l’oreille des loups. Laetitia Becker, biologiste originaire de Strasbourg, a d’abord étudié ces canidés au sein de la Taïga Russe, dans le cadre de ses études, pour désormais poursuivre son travail d’éthologie en Finlande, où elle est aujourd’hui responsable d’un centre de recherche et de formation. Pour La Relève et la Peste, elle revient sur son parcours passionnant et évoque la vision bien souvent manichéenne qu’inspire cet animal autant craint que fantasmé.

LR&LP : Comment est venue l’idée, l’envie, de dédier le travail d’une vie à l’étude des loups ?

Laetitia Becker : Depuis toute petite, on peut dire que j’ai eu un attrait pour la faune sauvage. Il y a eu des déclics, comme le film « Gorilles dans la brume ». Je me voyais déjà en Afrique avec les primates. Mais plus tard, au lycée, j’ai eu davantage d’intérêt plus pour les grands prédateurs et notamment ceux que l’on a en France, dont le loup. Il faut aussi dire qu’on avait des chiens à la maison et il y a des choses très similaires au niveau comportemental.

J’ai voulu faire une prépa-véto, et j’ai raté le concours. Je suis donc allée à l’université, en fac de biologie. Là, j’ai développé un intérêt pour ce qu’on appelle l’éthologie, l’étude du comportement. On a un choix à faire de l’espèce que l’on veut étudier. Il y a quand même beaucoup plus de comportements sociaux chez le loup, qui est un animal social, que chez d’autres espèces. Entre la licence et le master, je cherchais des stages et c’est comme ça que j’ai trouvé de l’éco-volontariat en Russie pour un travail autour des loups mais aussi des ours. Après le Master, j’ai continué avec une thèse, toujours sur ce territoire, en Russie de l’Ouest, proche des frontières européennes.

LR&LP : Votre thèse portait sur le relâcher de jeunes loups, pouvez-vous nous en dire plus ?

Laetitia Becker : J’ai effectivement travaillé sur le relâcher de louveteaux orphelins avec Vladimir Bologov, qui a mis en place un programme de réhabilitation en Russie. À ne pas confondre d’ailleurs avec le terme de réintroduction, dont l’exemple typique est Yellowstone. Là-bas, les loups avaient complètement disparu. On les réintroduit, donc, puisqu’ils étaient déjà présents avant. En Russie, nous ne faisions pas non plus de renforcement de population, mais uniquement du relâcher. C’est un peu comme un centre de soins qui recueille les animaux blessés et les relâche ensuite dans leur environnement.

Laetitia Becker avec des louveteaux

Laetitia Becker avec des louveteaux qui seront relâchés

LR&LP : Après les avoir recueillis, comment préparer des louveteaux à sociabiliser à nouveau ?

Laetitia Becker : Cela va être très variable en fonction de ce qu’a vécu le louveteau au moment où on le reçoit. L’une des choses les plus importantes, c’est le moment auquel il a eu un premier contact avec l’homme. On a remarqué que ce sont les six premières semaines après la naissance qui sont les plus importantes. Si le louveteau reste avec ses parents ou d’autres loups pendant ces six premières semaines, il sera complètement sauvage.

En revanche, s’il est pris par l’homme avant deux semaines, cela devient compliqué, parce qu’on a des individus qui sont finalement comme des chiots, qui se socialisent au contact de l’homme. À ce moment, ce qu’il faut faire, c’est les mettre en contact rapidement, une fois qu’ils sont sevrés, avec d’autres loups. Là, il faut bien se dire que vous dire que même s’ils avaient l’habitude de venir vers nous, de chercher des caresses, à la seconde où ils voient des loups adultes, ils n’en ont plus rien à faire. Ils peuvent encore vous observer, mais ils ne viennent plus pour le contact social.

Les louveteaux mis en présence d’un adulte vont naturellement s’y sociabiliser

LR&LP : À quel moment savez-vous qu’ils sont prêts pour le relâcher ?

Laetitia Becker : Nous essayons de reproduire ce qui se fait dans la nature. Quasiment tous les loups naissent au printemps. Les premiers qui quittent la meute ont entre 1 et 3 ans, et s’en vont à partir de mai. Donc c’est exactement ce que l’on faisait : on les gardait moins d’un an, une dizaine de mois. Le tout premier groupe avec lequel j’ai travaillé quand je suis arrivée, c’est le mâle qui est parti en premier. Dans ces cas-là, lorsqu’ils sont prêts, on laisse la porte de l’enclos ouverte. Je ne l’avais pas vu quitter le groupe. Le deuxième jour, lorsque j’étais là, il est revenu, comme pour venir chercher ses sœurs. Ils étaient tous très perturbés, puis sont finalement partis tous ensemble. C’est ce que l’on appelle le « soft release », quand on ouvre l’enclos.

On peut aussi, dans les méthodes utilisées, laisser un peu de nourriture aux abords. Cela leur permet de rester sur place, de ne pas tout de suite partir, trop brutalement. Au Yellowstone, ils ont au contraire fait du « hard-release » et se sont rendus compte que  les loups, relâchés instantanément, n’étaient pas restés dans le secteur du Yellowstone, avaient pris d’autres directions. Ce n’est pas ce qui était recherché.

Le premier groupe de louveaux dont Laetitia Becker avait la charge en 2005-2006. Elle leur avait donné des noms en lien avec leurs caractéristiques visibles (Iris-Précieux, Anneaux-d’Ebène, Toison-de-Feu, Poil-de-Carotte, Nuage-d’Encens).

LR&LP : Au cours de votre travail, y a-t-il des anecdotes qui vous ont marqué, des comportements auxquels vous ne vous attendiez pas ?

Laetitia Becker : Le père de Vladimir Bologov, qui travaillait également sur les loups et plus précisément sur les  méthodes préventives de protection des troupeaux contre les attaques, s’était rendu compte que les loups pouvaient être perturbés à l’extrême lorsqu’un objet inhabituel était placé sur le territoire. Il avait ainsi mis en place une méthode de protection en plaçant des objets autour des enclos à protéger.

De mon côté, j’ai justement un souvenir très particulier, émotionnellement, avec le premier groupe dont je me suis occupée. J’étais restée tout l’été avec eux et j’ai dû rentrer en France pour mes cours, durant deux mois. Quand je suis revenue, il faisait froid et j’avais plusieurs couches. En arrivant dans l’enclos, j’ai enlevé une sorte de legging et je l’ai posé sans vraiment faire attention. Au bout de quelques minutes, ils avaient retrouvé mon odeur et étaient en train de détruire le legging (rires). À partir de ce moment, alors que ces loups ne s’étaient jamais complètement approchés de moi, je pouvais de nouveau être dans l’enclos et les observer faire ce qu’ils voulaient. Ils ne venaient pas vers moi, mais, sur ce groupe-là, j’étais vraiment la seule à pouvoir les observer de cette manière.

Vladimir et Viktor Bologov placent des ballons autour des enclos de bétail à protéger, méthode mise au point par Viktor Bologov suite à ses observations dans la nature

LR&LP : Aujourd’hui, vous êtes à la tête d’un centre de recherche et de formation en Finlande, pouvez-vous nous en dire plus ?

Laetitia Becker : À la fin de ma thèse, j’étais avec Vladimir Bologov, le créateur du projet de réhabilitation des louveteaux, et nous avons travaillé, en Russie, dans une réserve stricte, c’est-à-dire réservée aux scientifiques, sans perturbation humaine, et j’ai commencé à accueillir des stagiaires. Je me suis rendue compte qu’il y avait une grosse demande, beaucoup de gens souhaitent étudier les loups ou les grands prédateurs, mais en France, c’est plutôt difficile. Par contre, en Russie et donc par la suite en Finlande, ce sont des objets d’étude que vous avez quasiment quotidiennement, en termes d’indices de présence.

Lorsque l’on a emménagé en Finlande, est venue l’idée de la création de ce centre de formation et de recherche. Il y a trois grands objectifs : former tous ces jeunes, actuellement, j’accueille entre 50 et 100 stagiaires à l’année. Continuer la recherche, également, en apprendre toujours plus sur l’éthologie de ces espèces. Enfin, développer des petits projets locaux, pour éduquer, informer et sensibiliser la population aux loups et avoir une meilleure cohabitation.

Laetitia Becker met un collier GPS à un des loups

Vladimir et Laetitia Becker mettent un collier GPS à un des loups, anesthésié pour l’occasion – Crédit : Charlotte Kourkgy

LR&LP : En France, le loup est perçu comme un ennemi dans les territoires ruraux, et comme une espèce à protéger par les citadins, la perception est-elle la même en Russie ?

Laetitia Becker : Effectivement, les citadins ont tendance à être « pour » et les personnes qui y sont vraiment confrontées à être « contre ». C’est quelque chose que l’on retrouve ici aussi, et cela s’explique, il n’y a pas de problème. Mais il n’empêche qu’à chaque fois qu’on a eu des mises en situation avec le loup, il n’y a jamais eu de mise en danger de qui que ce soit. En France, cela porte surtout sur les attaques de bétails.

On trouve toujours les mêmes arguments en défaveur du loup. Il peut y avoir une sorte de complot : en France, ce serait le gouvernement qui aurait relâché des loups. Sinon, on entend aussi que les loups n’en seraient pas de véritables, mais seraient hybrides, selon leur couleur. Sauf que des loups avec des couleurs différentes, c’est tout à fait normal.

LR&LP : En février 2024, le gouvernement français a présenté la dernières version de son « plan national loup », qui autorise un plafond de tirs à 19%, ainsi que des autorisations de tirs de défense plus rapides et des indemnisations revalorisées pour les éleveurs en cas de mort d’un animal du troupeau. Qu’en pensez-vous ?

Laetitia Becker : Il faut rappeler qu’en 2015, il y avait exactement le même nombre de loups en France qu’en Finlande. Puis les Finlandais ont autorisé la chassé à 10%, et à 20%. En 2017, la population avait extrêmement diminué. Depuis 2018, il y a plus de loups à l’ouest. On est à 300/350 individus, quand il en reste 1000 en France. C’est hallucinant et pourtant, ici, les gens râlent toujours.

Si on en revient à la situation française, en tant que biologiste, quand je regarde les chiffres, le quota de tirs ne résout pas le problème des attaques, au contraire puisque tuer des loups déstructure les meutes. Pourquoi on n’investit pas plus dans la recherche, dans la protection, et aussi dans l’éducation ? Pourquoi dans d’autres pays qui ont autant d’élevages, la cohabitation se passe mieux ? Il n’y a qu’à regarder l’exemple de l’Italie et de l’Espagne.

Loups au crépuscule – Crédit : Vladimir Bologov

LR&LP : La presse locale, notamment, met régulièrement en avant les attaques de loup, sans parler du rôle essentiel de ce grand prédateur pour le maintien de la biodiversité sur le territoire, quel est votre avis sur ce traitement médiatique ?

Laetitia Becker : Oui, je suis d’ailleurs un peu triste qu’il y ait un clivage entre la communauté scientifique (qui ne rédige qu’en anglais avec des articles scientifiques qui ne sont pas forcément à la portée de tout le monde), et le reste de la population. Cela pourrait apporter une vision juste et bien différente de ce que l’on peut lire. S’agissant des apports écologiques dans les écosystèmes du monde des grands prédateurs, il y a des articles géniaux sur ce qu’on appelle « l’effet cascade », comme à Yellowstone, où l’on a bien démontré la nécessité d’avoir des grands prédateurs dans les systèmes.

Quand je lis les arguments des syndicats agricoles, en tant que biologiste, il n’y en a aucun qui tient. Et cela ne concerne pas que le loup. Ici, on a des pièges à visons d’Amérique, dans lesquels il y a déjà eu des ours qui se font prendre. En Finlande, on dit que si un animal est dans cette situation, on peut l’abattre, on ne va pas chercher à le libérer de son piège. C’est arrivé sur au moins deux ourses femelles qui étaient suitées, avec des petits. Cela a fait un scandale. Mais ici, la population d’ours est très importante, alors on ne change rien, on nous dit que ce sont les meilleurs pièges à visons. En gros, la population d’ours est en bon état donc on peut se permettre d’en tuer. On nous rétorque également que l’ours mange des espèces d’oiseaux en danger. Ce sont des bêtises ! Si un oiseau est un danger, cela veut dire que la disponibilité est précaire et que l’ours n’y a même pas accès.

Cet exemple montre que sans volonté ni connaissances, sans éducation, il est effectivement très difficile de communiquer de manière juste sur ces animaux sociaux.

Juliette Boffy

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