Le 22 mai dernier, le conseil municipal de Strasbourg a voté en faveur d’un congé de santé gynécologique à destination des travailleuses de la Ville et de l’Eurométropole. Il s’agit d’une expérimentation, qui débutera en septembre prochain pour une durée d’un an, destinée à 3500 agentes qui pourront, sur avis médical, bénéficier de 13 jours d’absence par an pour raisons gynécologiques. Un choix politique fort, à rebours des propositions rejetées de congés menstruels à l’échelle de la région ou même du pays, comme en février et mars dernier par le Sénat puis la commission de l’Assemblée nationale.
Un plafond de 3 jours consécutifs
C’est l’aboutissement d’un travail mené de concert avec les organisations syndicales, les associations féministes locales et, bien entendu, les élus.
À compter de la rentrée de septembre, toutes les agentes de la Ville et l’Eurométropole de Strasbourg souffrant d’un état gynécologique problématique ou douloureux pourront bénéficier de 13 jours d’absence annuels, avec un plafond de 3 jours consécutifs et sans jour de carence. Il suffira alors de se rendre chez un gynécologue ou une sage-femme pour se voir prescrire un certificat médical, ensuite validé par la médecine du travail.
« Notre première suggestion portait sur un certificat annuel d’un gynécologue. Mais cela ne correspond pas aux réalités qui, souvent, consistent à avoir beaucoup d’attente chez ces professionnels de santé. D’un certificat annuel, nous sommes passés à un certificat valable deux ans, avec la possibilité, aussi, de le faire établir par des sages-femmes, où les consultations sont un petit peu plus accessibles que celles des gynécologues », commente Christelle Wieder, adjointe à la mairie de Strasbourg en charge des droits des femmes et de l’égalité de genre, pour La Relève et la Peste.
À ce jour, seules quelques villes comme Saint-Ouen – pionnière en la matière – Lyon ou Grenoble ont déjà mis en place un congé menstruel.
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Règles douloureuses mais aussi ménopause
Mais à Strasbourg, on préfère l’appeler « congé de santé gynécologique ». En effet, selon Christelle Wieder, les propositions de congés menstruels n’englobent qu’une partie, seulement, des pathologies et difficultés pouvant être inhérentes à la santé gynécologique de la femme.
« C’est quelque chose d’assez novateur, dans le sens où, quand on parle du congé menstruel, de façon générale, on englobe souvent les femmes qui souffrent d’endométriose, de règles douloureuses, en oubliant qu’il y a aussi plein d’autres problématiques liées à la santé gynécologique, et notamment la ménopause », détaille l’adjointe à La Relève et la Peste.
Si les statistiques concernant les femmes souffrant d’endométriose sont relativement précises – environ 10% des agentes strasbourgeoises devraient être concernées -, celles relatives à la ménopause sont beaucoup moins connues.
Concernant une possible stigmatisation accrue des femmes dans le monde du travail à travers cette nouvelle mesure, Christelle Weider pense au contraire qu’elle peut contribuer à une marque employeur. « On sait que les collectivités territoriales ont parfois du mal à attirer et recruter. J’ai l’impression que ce type de mesures, même pour les femmes qui ne sont pas forcément concernées, sont primordiales pour se dire, « voilà, j’entre dans une collectivité qui prend en compte la réalité de ce que vivent mes consœurs », on s’y sent accueillie », abonde l’adjointe pour La Relève et la Peste.
Consensus pour le vote
L’unanimité du vote lors du conseil municipal sur cette proposition de ce congé de santé gynécologique n’est par ailleurs pas passée inaperçue. Un résultat en contraste avec l’accueil des propositions de congés menstruels présentés devant le Sénat en février dernier, puis en commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, qui s’étaient vues rejetées, notamment par la majorité et la droite.
Alors à Strasbourg, ce vote progressiste est une véritable « fierté locale ». « On peut se dire qu’on a un conseil municipal qui est très soudé autour des questions féministes et plus largement autour des luttes contre les discriminations en tout genre. Par ailleurs, le représentant des Républicains n’a pas répercuté localement un discours national », explique Christelle Wieder à La Relève et la Peste.
Selon elle, ce vote a remporté l’adhésion car il favorise directement les agents de la Ville. Difficile, donc, de s’y opposer. Mais à l’échelle nationale, la réticence est davantage d’ordre idéologique, moins liée à une question d’organisation d’une collectivité locale, peut-être finalement plus abstraite pour les personnes n’étant pas concernées.
À ce jour, donc, aucun cadre légal national n’existe pour ce type de congé. Il s’agit par conséquent d’une autorisation spéciale d’absence (ASA), basée sur le même modèle que ce qui existe déjà lors de garde d’enfants malades, par exemple.
L’expérimentation durera une année, après laquelle le nombre de recours, d’aménagements de temps de travail, mais aussi de personnes formées seront analysés. Sur ce dernier point, Christelle Wieder constate une méconnaissance évidente.
« Évidemment qu’il y a des lacunes. Même pour moi. Pour parler de la ménopause, il a fallu m’intéresser de plus près au sujet. Dans le milieu féministe, c’est encore un des derniers tabous de notre société. Et ça mérite d’être montré, explicité, d’aller à l’encontre des idées reçues. Par exemple, l’endométriose, ça fait mal pendant les règles, mais on sait aussi que malheureusement, cela peut aller au-delà », ajoute l’adjointe pour La Relève et la Peste.
Lutter contre la précarité menstruelle
En parallèle de cette expérimentation, l’Eurométropole de Strasbourg s’attache à mettre en oeuvre des politiques en faveur du bien-être gynécologique des femmes à travers deux campagnes : l’une ayant permis de recevoir des culottes menstruelles gratuites sur facture, l’autre s’orientant davantage vers des ateliers et échanges au sein de structures socioculturelles, afin d’informer mais aussi de fabriquer soi-même ses protections.
La politique de la Ville, cette fois, mène quant à elle la campagne « Plus jamais dans le rouge », visant à lutter contre la précarité menstruelle en mettant à disposition à la fois des distributeurs de protections au sein de nombreux espaces mais aussi des formations proposées aux travailleurs et travailleuses sociales sur la question des règles.
« Nous essayons de promouvoir cette distribution des protections notamment au sein des médiathèques, des lieux que l’on sait très fréquentés par les sans-abri, mais aussi le grand public », précise Christelle Wieder pour La Relève et la Peste.
À ce titre, une enquête inédite est d’ailleurs en cours concernant le genre et la grande précarité, manquant à ce jour de données précises permettant de mieux répondre aux besoins de cette partie de la population.
« C’est un public qui est invisible. Les femmes à la rue ont beaucoup de stratégies d’évitement pour ne pas être la cible de violence ou d’actions malveillantes. Et donc mieux les connaître, c’est aussi mieux connaître le phénomène et pouvoir leur apporter une aide plus précise », ajoute l’adjointe.