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« La vie est belle, c’est juste ça le message. C’est en contradiction totale avec l’époque actuelle »

La forêt, on l’a toujours tenue à l’écart, tandis que notre jardin est l’image d’un paradis clos, fermé, séparé du reste de son environnement et donc on a conçu des systèmes séparés autonomes. Pour être autonome, on a à chaque fois tout détruit.

L’Effondrement du vivant, l’augmentation incessante des inégalités, des politiques qui ne nous écoutent pas, les rapports du GIEC... Dans ce climat débordant de tensions, nous sommes partis rencontrer ceux qui contribuent à la construction d’un monde meilleur. Celui où les hommes et le vivant cocréent dans une narration holistique du vivant. Celui d’une société où la justice sociale est le maître-mot. Où les hommes avancent main dans la main plutôt que de laisser mourir leurs semblables dans les océans, par peur. Mais peur de quoi au juste ?

Nous avons interviewé Hervé Covès, agronome et franciscain, afin qu’il apporte un peu de poésie à nos cœurs meurtris. Nietzsche a écrit dans Ainsi parlait Zarathoustra, « il faut avoir un chaos en soi pour mettre au monde une étoile qui danse ». Hervé Covès, avec ses talents de conteur, nous narre à travers son éternel mantra « La vie est belle », sa vision du monde et comment il constate que même à travers ce qu’il appelle « les immondices de la société » et les cendres du réchauffement climatique, renait comme le phénix, une vie nouvelle prête à s’épanouir.

LR&LP : Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre parcours ?

H.C : Je m’appelle Hervé Covès et j’ai quelque chose à te dire : « La vie est belle ». C’est la seule chose d’importante que j’ai à dire et le reste ce n’est que du blabla. Je n’ai pas toujours trouvé la vie belle, j’ai eu une enfance difficile puis des études dans l’agriculture.

Là, j’ai commencé à m’épanouir, je suis devenu ingénieur agronome et j’ai d’abord travaillé dans différents services publics.  J’accompagnais des agriculteurs dans des projets innovants et faisais de la R&D dans une structure d’expérimentation privée où je suis devenu spécialiste de la production hors-sol (tomates, fraises, framboises que l’on cultive en hydroponie).

C’est en Amazonie, dans le regard d’un singe, que j’ai eu un électrochoc et que j’ai pris conscience d’avoir lutté toute ma vie contre cette nature soi-disant méchante, responsable de maladies, pleine de ravageurs. J’étais tellement persuadé de cela que j’en avais fait mon métier.

Dans les yeux de ce primate, je me suis rendu compte que loin d’être sauvage et prédatrice, la nature est la matrice qui fait émerger la vie et qu’elle fait tout ce qu’elle peut pour que l’on vive le mieux possible.

Cela m’a tellement bouleversé que j’ai adopté un nouveau regard sur le vivant qui a mené mes pas sur le chemin de la spiritualité. Je suis devenu franciscain. Évidemment, je ne vis pas dans un monastère. Aujourd’hui, je vais de lieu en lieu, d’agriculteur en agriculteur, de permaculteur en permaculteur pour essayer de co-construire entre humain et nature le monde de demain.

LR&LP : Vous, qui dédiez votre vie à la nature, et qui la voyez d’un autre regard : quel message aimeriez-vous délivrer aux gens pour qu’ils voient aussi sa beauté et prennent conscience de l’urgence d’en prendre soin ainsi que des humains ? Pour reprendre le titre du livre de Marlon Morgan, quel serait le « message des hommes vrais au monde mutant ». 

H.C : La vie est belle, c’est juste ça le message. C’est en contradiction totale avec le siècle, ce que l’on vit, les angoisses… Ce matin, j’étais réveillé par les premiers rayons du soleil qui éclairaient la cime des arbres, le soleil n’était pas encore arrivé jusque dans l’herbe du jardin et la lumière était complètement magique. Regarder ce tableau vivant, c’est tellement ressourçant.

Dans mon sac, j’ai une petite loupe. Je prends n’importe quel petit objet : graines, fruits, néfliers du Japon et je regarde ce qu’il y a dessus. Tu tombes sur des paysages de montagnes, de vallées, de rivières, de cartographies secrètes et mystérieuses qui se dessinent sur la graine. C’est se nourrir de ce que le monde nous offre comme beauté.

Il y a certes de la prédation, des plantes absolument impolies qui ne savent pas vivre et ne cherchent pas à cohabiter en société. Il y a des hackers et des hackers de hackers, des luttes énormes qui peuvent apparaître entre fourmilières mais il y a aussi beaucoup de belles choses : des coopérations, des relations d’amitiés, des relations de symbioses…

Ma conviction est que si la vie existe sur terre depuis plusieurs milliards d’années et qu’elle ne s’est pas encore effondrée, c’est que les forces de coopération sont plus grandes que celles de destruction. Même, lorsqu’il y a de la destruction, c’est une page qui se tourne et quelque chose de nouveau émerge.

Il a fallu que les dinosaures disparaissent pour que les mammifères émergent. Il faudra que des choses de notre monde disparaissent aussi pour que de nouvelles choses émergent.

Depuis que cette conversion écologique et spirituelle s’est opérée en moi en 2011, mon regard s’est de plus en plus aiguisé pour essayer de desceller ces métamorphoses. Ces lieux où quelque chose de nouveau est en train d’apparaître sont plus résilients et adaptés au monde. C’est ce que m’ont appris les castors quand j’étais dans la Drôme. On met des castors pendant quinze ans dans une vallée et la terre devient paradisiaque.

LR&LP : Avez-vous d’autres exemples de symbiose à nous donner ?

H.C : Les mycorhizes relient les plantes entre elles mais aussi des lieux espacés parfois de plus d’une centaine de mètres avec une efficacité troublante dont on ne comprend pas encore tous les tenants et aboutissants. Dans ma narration, cela met en évidence que tout est lié, fait que la science, généralement, ignore.

Lorsque l’on fait des expérimentations, on veut que ce soit dans un cadre reproductible, donc on déconnecte la nature de son environnement pour que seules les variables que l’on veut expérimenter puissent bouger et pas tout le reste. On ne travaille que dans des écosystèmes où les parcelles sont déconnectées de leur environnement alors que le champignon nous montre le contraire : tout est lié et connecté. Plus que ça, il montre que la connexion est plus importante que le lieu dans lequel on vit.

En effet, une plante est de fait condamnée à l’immobilité mais quand elle est reliée par ces champignons à d’autres plantes, elle peut s’approvisionner en phosphore, en eau et à des tas d’autres nutriments qui sont parfois à des centaines de mètres de chez elle. Sa résilience vient de la vigueur de son environnement.

On le voit apparaître dans différents types d’endroits comme des lieux très arides. On le voit dans la Drôme, dans des endroits très secs qui peuvent même brûler de temps en temps. Il y a des petits points, des petites tâches de verdure et lorsque l’on va plus près, on voit que la terre y est très noire, que les plantes y sont très vigoureuses.

Ce sont des plantes différentes de celles qu’il y a autour. Il y a donc des endroits d’où émergent de nouvelles choses où il y a plein de champignons, plein de relations. Et ça, ça ne brûle pas mais prospère. Ces lieux arrivent même à rester curieusement hydratés alors qu’ailleurs ça sèche et que ces lieux-là n’existaient pas avant.

A la suite des grandes tempêtes de 1999, il y a deux types de nouvelles catégories de plantes qui sont arrivées en France qui ont été connues dans le sud de l’Italie et en Turquie mais pas en France. Comment sont-elles apparues ? On n’en sait strictement rien mais c’est dans le chaos de la destruction qu’elles sont nées.

Les ronces dans ces endroits font de 4 à 5 mètres au lieu de 1m50 et en leur sein, se développent des écosystèmes d’arbres fruitiers sauvages et des arbres pionniers. Ce sont des forêts qui naissent dans les ronces avec des associations d’arbres.

Parmi les choses qui m’émeuvent, il y a ce grand mouvement de la permaculture avec la forêt-jardin. L’écosystème de la forêt-jardin ressemble à celui qui émerge dans les ronces actuellement en France. Mais c’est aussi un écosystème qui est très commun dans les zones tropicales. Et les champignons qui en émergent sont très communs aux zones tropicales.

Ce sont des champignons microscopiques qui fonctionnent différemment et qui ont des aptitudes étonnantes à savoir vivre quand il fait chaud et quand il fait sec mais aussi à gérer l’eau. Et dans toutes ces forêts-jardins, on voit quelque chose qui existe déjà en Chine, au Japon, en Amérique dans des endroits où l’humanité a appris depuis longtemps à vivre avec les arbres.

C’est un système que l’on appelle agroforestier où il y a à la fois des cultures et des arbres mais qui ne sont pas apparus chez nous (en Occident, ndlr) car dans la narration de notre monde, cette forêt est pleine de dangers et de grands méchants loups qui mangent les petits chaperons rouges.

Cette forêt, on l’a toujours tenue à l’écart, tandis que notre jardin est l’image d’un paradis clos, fermé, séparé du reste de son environnement et donc on a conçu des systèmes séparés autonomes. Pour être autonome, on a à chaque fois tout détruit.

Quand on voit les forêts du Kazakhstan qui ont surgit dans des milieux arides avec très peu d’humanité mais avec des animaux qui se comportent en sélectionneurs avisés, des forêts d’une productivité bouleversante ont émergé dans des endroits où il ne pleut que de 200 à 300mm d’eau par an !

C’est ce que le mouvement du jardin-forêt fait : créer les conditions de naissance du monde de demain dans lequel il va y avoir des plantes différentes. Et les plantes et les micro-organismes qui naissent lorsque l’on met beaucoup de diversité ensemble sont mieux adaptés que les monocultures de nos esprits et de nos cultures agricoles d’aujourd’hui.

Alors on se dit, économiquement comment on va faire parce que ce n’est pas forcément mécanisable, etc. Après quand on décide de relever un problème, on y arrive ! Les gens sont d’une créativité et d’une inventivité extraordinaires. Ce dont ont besoin les gens aujourd’hui ce sont d’encouragements, de soutien, du témoignage de la mise en confiance de tout ce qu’ils font. Et peut-être un dernier élément d’une symbiose étonnante.

LR&LP : Pour cela, les gens doivent se reconnecter au fonctionnement holistique du vivant, réaliser que l’espèce humaine n’est pas supérieure mais fait partie d’un Tout. Comment le fait-on comprendre aux gens qui sont déracinés et qui ont l’impression de vivre hors de tout ça ?

H.C : C’est là le gros programme politique. En ce moment, la nature dans son ensemble est en train d’évoluer grâce aux migrations des oiseaux et peut-être aussi aux migrations humaines. Le microbiote, la matrice dans laquelle tous les systèmes vivant émergent, ce sont ces êtres microscopiques qui nous sont invisibles, que les oiseaux transportent à notre insu.

L’un des messages est d’accompagner les oiseaux, de se réjouir chaque fois qu’ils viennent, chaque fois qu’ils repartent, chaque fois qu’ils font leur migration. Que petit saut par petit saut, petite escale par petite escale, ils contribuent à transformer notre planète.  

C’est aussi le vent qui transporte le pollen, les graines, les spores de champignons, ces vents qui ont tendance à s’accélérer et qui nous font peur. On ne sait pas comment accueillir parce que chaque être est différent mais il est important de se mettre en condition d’accueillir du mieux que l’on peut.

Dans le monde humain et dans le monde animal, on a chacun des êtres dans nos cœurs et comme on a chacun des façons d’aimer un peu différente, il va émerger des diversités de liens différents et c’est quelque chose de plus juste que si tout le monde faisait la même chose. C’est à nous de composer !

Regardons le rapport du GIEC : 3169 pages de génie humain ! On a le premier rapport qui dit qu’on va mourir de chaud, le deuxième qui dit combien cela va nous coûter et le troisième de 3000 pages de tout ce qu’il conviendrait de mettre en œuvre et personne n’en parle, c’est troublant !

Pourtant ce sont des milliers de chercheurs, 28 unités de recherches à travers la planète qui ont bossé sur une boite à outils ! On est heureux que le GIEC ait réfléchi dessus maintenant il faut le faire !

Il faut qu’on réalise les choses d’abord à toute petite échelle pour voir comment la nature réagit à ce que l’on fait, pour apprendre à faire avec elle mais il faut le faire pour de bon.

Quitte à construire le monde de demain autant y mettre ce que l’on aime. A mon sens le jardin-forêt en est l’une des clés car c’est un lieu dans lequel on laisse la nature sauvage s’exprimer et où l’on y tente ce que l’on aime, la diversité de ce que l’on aime.

Ce n’est pas un projet économique mais un projet nourricier dont l’économie, si l’on reprend un peu d’étymologie, se définit par les règles de la maison. C’est de trouver les règles dans notre façon commune d’habiter la terre, les règles de la maison qui parlent d’amour, de relations et de symbioses.

Dans ces forêt-jardins sont en train de naitre des écosystèmes particulièrement adaptés au réchauffement climatique et qu’en étant humain aimant la nature, en cultivant ce que l’on aime, on apporte une solution, une expérience positive dans l’adaptation du réchauffement climatique. Dans cette diversité-là, naîtront d’autres interactions, plus il y a de vie, plus il y a de relations différentes qui émergent et plus ce système est résilient.

Dans nos forêts qui s’effondrent en Europe, on a en tout moins de 135 essences d’arbres, dans les forêts qui tiennent le coup au Japon, il y a 1800 essences d’arbres, en Chine, il y a 1200 essences d’arbres et au Canada / Amérique du nord, il y a de l’ordre de 500/600 essences d’arbres.

Comme on veut beaucoup de diversité et que l’on a tous des visions différentes de ce que l’on aime, dans tout ce que l’on va apporter dans nos écosystèmes vont naitre justement des petits spots, des petits points où il y a aura plus de vie, qui eux-mêmes interféreront les uns avec les autres, et que les noyaux et les graines, les greffons que l’on va transporter avec les micro-organismes différents qui vont commencer à naître de ces nouveaux lieux et co-construire ensemble : Humain – Nature, quelque chose qui n’a encore jamais existé sur terre.

Cela ressort même dans les égouts de notre civilisation. C’est plus qu’un message d’espoir, c’est un message qui pousse à faire, à réaliser des choses de là où on en est, sans a priori. »

Dans ce message d’espoir que nous confie Hervé Covès à travers ses voyages, ses rencontres, son amour pour le vivant et la confiance qu’il lui octroie dans sa capacité à la résilience, nous rappelle encore une fois que : « Rien ne se perd, rien ne se crée tout se transforme » (Antoine Lavoisier).  Chaque être est unique et chacun à la capacité d’apporter sa pierre à l’édifice dans la construction d’un monde meilleur. Il faut simplement y croire et pour cela, l’union fait la force. Et n’oublions pas, « La vie est belle ».

Liza Tourman

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