Au sud-est du Bangladesh, dans les Chittagong Hills Tracts (CHT), les droits des peuples autochtones sont bafoués depuis des dizaines d'années dans l'indifférence quasi générale. Reine des Chakma, l'un des onze peuples autochtones qui habitent ces collines escarpées, Rani Yan Yan alerte sur la situation. Rencontre.
LR&LP : En France, la situation des peuples autochtones des Chittagong Hill Tracts (CHT) est très peu connue. Qui sont ces peuples, dont vous êtes l’une des porte-paroles ?
Rani Yan Yan : Dans les Chittagong Hill Tracts (CHT), il y a onze peuples autochtones différents, regroupés sous le nom de Jumma. Nous sommes environ 2 millions, ce qui peut paraître beaucoup, mais à l’échelle du Bangladesh, qui compte environ 170 millions d’habitants, c’est très peu.
Rani Yan Yan et une aïeule Chakma
LR&LP : Votre nom, « Jumma », provient du type d’agriculture que vous pratiquez. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Rani Yan Yan : « Jumma » vient du terme « jhum », qui renvoie à l’agriculture sur brûlis que nous pratiquons, comme d’ailleurs beaucoup d’autres peuples autochtones en Asie. Il s’agit d’une agriculture rotative, respectueuse des sols.
Sur nos collines, qui sont très en pente et accidentées et où nous ne pouvons pas utiliser d’engins agricoles, nous plantons différentes variétés comme du riz, des légumes ou des citrouilles. Planter ces différentes variétés nous permet de participer à la fertilité des sols, à l’inverse de la monoculture. Cela nous permet également d’être autosuffisants avec des récoltes différentes à chaque saison.
Mais pour que ce système fonctionne, il faut laisser à la terre le temps de se régénérer ! Après avoir cultivé une parcelle pendant un an, nous la laissons reposer entre cinq à sept ans afin de laisser aux sols le temps de redevenir fertiles. Sans ce temps de repos, ils ne pourront plus produire autant.
Pour nous, le sol est sacré car il permet de se nourrir. Il faut donc ne pas l’exploiter plus que nécessaire. Mais avec l’arrivée des colons sur nos terres, la situation a changé…
LR&LP : C’est-à-dire ? Quel est l’impact de l’arrivée des colons sur vos pratiques agricoles ?
Rani Yan Yan : A la fin des années 1970, 400 000 colons ont été installés dans les CHT par le gouvernement avec le soutien actif de l’armée. Aujourd’hui, leur nombre est encore plus élevé. Depuis leur arrivée, on ne peut plus bouger d’une colline à l’autre comme on le faisait jusqu’alors pour cultiver de nouvelles parcelles le temps que les sols puissent se régénérer. Nous sommes forcés de cultiver sans fin sur les mêmes terres, ce qui appauvrit terriblement les sols.
LR&LP : Quels sont les autres impacts de leur arrivée sur les peuples Jumma ?
Rani Yan Yan : Dans les CHT, la spoliation des terres des Jumma est une constante. Nous subissons également des massacres, quand ce ne sont pas nos villages qui sont brûlés et leurs habitants tués.
Sans parler des viols, commis par les colons, et des cas de harcèlement sexuel, commis par les militaires présents en très grand nombre dans la région. Ces cas de harcèlement sexuel sont un outil d’intimidation, une façon de dire »voyez ce qu’on peut faire à vos femmes ». Le problème, c’est qu’il est très difficile d’en parler.
Après près de vingt ans de guerre, un Accord de paix a été signé en 1997, mais il n’a pas été respecté.
L’Accord de paix devait se caractériser par des engagements du gouvernement, qu’il n’a jamais tenus. Le nombre de colons ne cesse d’augmenter, et leurs exactions avec, avec le soutien tacite voire la protection de l’armée.
Les chakma doivent fuir l’armée bangladaise – Crédit : Survival International
LR&LP : Dans ce contexte, quelles sont les revendications des Jumma ?
Rani Yan Yan : Nous demandons la démilitarisation du territoire. Nous demandons également un pouvoir judiciaire indépendant. Nous savons que les violations des droits humains ne vont pas s’arrêter du jour au lendemain et que les militaires ne vont pas quitter les CHT en un claquement de doigts, mais une autorité judiciaire indépendante nous permettrait au moins de demander justice, ce que nous n’avons jamais pu faire jusqu’ici. Sans elle, les colons peuvent continuer leurs exactions en toute impunité.
LR&LP : Qu’attendez-vous de la communauté internationale et de votre visite en France ?
Rani Yan Yan : On essaie d’alerter au maximum sur la situation, que ce soit depuis le Bangladesh ou à travers la voix de la communauté Jumma qui vit à l’étranger. On essaie également de porter notre combat dans les forums des Nations Unies comme à l’Instance permanente sur les questions autochtones.
Jusqu’ici, nous n’avons rien obtenu, mais nous espérons que nous allons finir par être écoutés. »
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