Pour la première fois en Europe, une communauté autochtone saisit l’ONU pour dénoncer l’impact du changement climatique sur sa culture. Trente-trois éleveurs de rennes sámis de Muddusjärvi accusent la Finlande d’avoir violé leurs droits fondamentaux, en autorisant l’exploitation intensive des forêts et en négligeant de protéger leurs terres face au dérèglement climatique. Une plainte inédite qui pourrait redéfinir les obligations des États envers les peuples autochtones.
L’action en justice des Sámis
Un pas historique vient d’être franchi ce 24 juin 2025 : 33 membres de la coopérative d’éleveurs de rennes de MPLK (Muddusjärvi Reindeer Herders’ Cooperative), issue de la communauté autochtone sâme du nord de la Finlande, ont saisi le Comité des droits de l’homme (CDH) des Nations-Unies.
Ils accusent le gouvernement finlandais d’avoir dépossédé leur peuple de ses terres et mis en péril leur mode de vie.
Dernier peuple autochtone reconnu d’Europe, 10 000 Sámis vivent en Finlande. L’élevage de rennes reste l’activité principale d’une partie d’entre eux. Mais l’exploitation forestière, l’extraction minière et le développement d’infrastructures (militaires, touristiques…) dans le nord finlandais viennent menacer un mode de vie déjà fragilisé par le dérèglement climatique.
Les coupes forestières réduisent les zones de pâturage, les projets miniers et touristiques morcellent le territoire, tandis que la fonte rapide de la neige perturbe les cycles de migration des rennes. Pour les Sámis, ces pressions rendent chaque année plus difficile la pratique d’un élevage traditionnel, au cœur de leur identité culturelle.
Forêts ancestrales rasées
La communauté MPLK est l’une des trois dernières communautés d’éleveurs de rennes parlant la langue same d’Inari, aujourd’hui menacée. Alors qu’elle pratique l’élevage depuis plusieurs siècles, l’agence forestière de l’État finlandais mène quant à elle des coupes intensives sur ses territoires depuis de nombreuses années. Ce faisant, l’agence dépouille les Sámis de leurs terres, dont dépend l’élevage.
« L’exploitation forestière a été très importante dans nos régions ; par exemple, les pâturages d’hiver dans les anciennes zones forestières ont été réduits de 47 %, soit presque de moitié », explique Tiina Sanila-Aikio, secrétaire de la coopérative des éleveurs de rennes de Muddusjärvi et ancienne présidente du Parlement sámi d’Inari, au magazine The Barents Observer.
Comme le rappelle le cabinet d’avocat Hogan Lovells, qui porte l’affaire, « lors des hivers rigoureux, la disparition des forêts anciennes riches en lichens et la modification des conditions d’enneigement rendent l’accès aux sources de nourriture naturelle de plus en plus difficile pour les rennes, entraînant la disparition de nombreux animaux, une baisse du taux de naissance et une forte augmentation des coûts liés à l’élevage. Cette menace existentielle met en péril le mode de vie de la communauté MPLK. »
Entre 2001 et 2024, la Finlande a perdu 4,85 millions d’hectares de couverture forestière, ce qui équivaut à 22% de la superficie forestière de l’an 2000, rapporte Global Forest Watch.
À l’origine de la plainte
Cet été, la coopérative d’éleveurs a déposé une plainte auprès des Nations Unies à Genève, qui allègue de multiples violations du Pacte International relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) par le gouvernement finlandais.
Traité international adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies au mitan des années 1960, le PIDCP vise à garantir la protection des droits civils et politiques fondamentaux. La Finlande a ratifié le texte au Parlement national en 1975.
La plainte déposée par la communauté « allègue des violations des articles 27 (droit de jouir de sa culture), 17 (vie privée et vie familiale), 26 (non-discrimination) et 1 (autodétermination) du PIDCP, résultant du manquement de l’État à son obligation de soutien aux communautés d’éleveurs sámis lors des hivers exceptionnels récents », précise le cabinet d’avocats.
Bien que le gouvernement ait alloué des fonds pour compenser les pertes subies par les éleveurs de rennes, la communauté estime que ces mesures demeurent largement insuffisantes. Entre 2019 et 2020, les pertes totales ont été évaluées à 32 millions d’euros, alors que le MPLK n’a reçu que 6 millions d’euros d’indemnisation.
Le cabinet d’avocats indique que « Si les membres de la MPLK avaient bénéficié d’un soutien financier suffisant, ils auraient pu atténuer certains des impacts négatifs du changement climatique et de l’exploitation forestière sur leurs troupeaux. L’absence d’un tel soutien place l’élevage de rennes en milieu naturel dans une situation particulièrement précaire, comparativement aux éleveurs de rennes finlandais traditionnels, dont l’élevage repose sur l’alimentation et non sur les pâturages naturels. Contrairement à la Norvège et à la Suède, en Finlande, l’élevage de rennes n’est pas réservé au peuple autochtone sámi. »

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Un précédent en Australie
En 2022, un peuple autochtone d’Australie a obtenu gain de cause contre le gouvernement, condamné à indemniser les habitants des îles du détroit de Torres pour les impacts du changement climatique sur leurs moyens de substance, leur culture et leur mode de vie.
Le cabinet Hogan Lovells s’appuie sur ce précédent, qui établit que « le droit des minorités et des peuples autochtones de jouir de leur propre culture inclut le droit de transmettre un mode de vie distinctif aux générations nouvelles et futures », explique Martin Scheinin, expert en droit international impliqué dans les deux affaires.
La Finlande, sous le feu des critiques
Depuis 1995, la constitution de Finlande accorde aux Sámis, en tant que minorité, le droit de « développer et de maintenir leur culture ». Le pays est pourtant régulièrement sous le feu des critiques pour sa gestion des droits autochtones.
Un rapport commandé cette année par la commission Vérité et Réconciliation sur les impacts de l’industrie forestière sur les Sámis constate que les dommages cumulés sur plusieurs communautés constituent une violation de leurs droits fondamentaux.
Le rapport souligne également le manque de participation réelle des Sámis aux décisions concernant les forêts, en dépit de leur droit au consentement libre, préalable et éclairé. Enfin, il rappelle l’importance d’une réforme législative indispensable pour renforcer le statut juridique des Sámis.
L’année dernière, deux comités de l’ONU ont conclu que le pays avait violé les droits fonciers et culturels du peuple autochtone en autorisant des projets miniers sans consultation ni évaluation d’impact. Les instances ont estimé que l’État devait reconnaître juridiquement la propriété collective des terres autochtones et réparer les préjudices subis.
Comme l’explique le cabinet d’avocats, « cette affaire majeure vise à faire respecter les obligations de l’État envers la communauté MPLK au titre du droit international des droits de l’homme, à l’intersection des enjeux climatiques et des droits des peuples autochtones. »
Le gouvernement finlandais n’a pas encore réagi à la plainte déposée à Genève. Il devra prouver qu’il adapte effectivement ses politiques à la réalité climatique et écologique des territoires sames.
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