Le 7 décembre dernier, la préfète d’Indre-et-Loire, Marie Lajus, a été démise de ses fonctions par le gouvernement. Son tort ? Ne pas avoir suffisamment « respecté » les élus locaux, mais surtout, s’être opposée à un incubateur de start-up qui devait rogner sur une zone boisée, près d’un château classé du XVIe siècle.
De l’École normale supérieure à la préfecture de Tours, Marie Lajus a un parcours sans tache : major de promotion à l’école des commissaires, elle a successivement occupé le poste de préfète déléguée dans les Bouches-du-Rhône, préfète de l’Ariège (2015) puis de Charente (2018), avant d’être nommée à la préfecture d’Indre-et-Loire, en 2020, alors que la crise sanitaire battait son plein.
Des élus qui l’ont connue saluent en elle, unanimement, un « professionnalisme », une « impartialité », une « probité » et une « humanité » irréprochables dans l’exercice de sa charge. « C’est ce que la société attend de l’État », résume le président du conseil départemental de la Charente, Philippe Bouty, à France Info.
Pour ses détracteurs cités par Le Monde, la préfète Marie Lajus avait cependant la réputation d’être trop « pointilleuse », entendre : de faire inconditionnellement respecter la loi, là où dans les départements et les « territoires » règnent les compromis et les petits arrangements avec la légalité.
L’étincelle : un incubateur de start-up
Selon Le Canard enchaîné dans son édition du 14 décembre, ce serait l’affaire du « Da Vinci Labs » qui aurait mis le feu aux poudres.
Porté par Xavier Aubry – qui « a fait fortune en conseillant les entreprises sur l’utilisation des fonds de l’UE », indique l’hebdomadaire satirique –, ce projet d’incubateur visait à réunir des start-up et des chercheurs dans l’intelligence artificielle, la biosynthétique et l’informatique quantique en un seul et même lieu, pour croiser leurs compétences.
Le promoteur souhaitait que le Da Vinci Labs, d’un budget de 15 millions d’euros, s’installe dans un bâtiment futuriste de 4 000 m², qu’un architecte renommé aurait bâti au cœur du parc du château Louise de La Vallière, racheté il y a quelque temps.
Le projet avançait au pas de charge, jusqu’à ce que les Bâtiments de France lui mettent un premier coup d’arrêt : bijou du XVIe siècle dans un écrin de nature, le château de La Vallière est inscrit aux monuments historiques ; ses abords sont donc rigoureusement protégés, tout comme les arbres centenaires du parc qu’aucune tronçonneuse ne saurait entamer.
Las, Xavier Aubry veut déplacer son complexe futuriste 500 mètres plus loin, sur une zone agricole inconstructible. Second coup d’arrêt : Marie Lajus, qui avait déjà soutenu les Bâtiments de France, explique au promoteur qu’il n’obtiendra pas de dérogation au plan local d’urbanisme, dans la mesure où son laboratoire, aussi plébiscité soit-il par les élus, ne la justifie pas.
Limogeage sur commande
Quelques jours plus tard, par décret en conseil des ministres, la préfète est limogée, et l’affaire fait les gros titres. On apprend alors que ce n’est pas la première fois que Marie Lajus a dû s’imposer, en Indre-et-Loire, pour faire respecter la loi.
Entre autres rappels de la légalité, la préfète aurait par exemple déféré au tribunal administratif des maires qui n’appliquaient pas les règles du temps de travail dans la fonction publique, ou annulé des feux d’artifice, cet été, en raison des risques d’incendie, ou encore installé un centre d’hébergement pour demandeurs d’asile – de quoi s’attirer les foudres des élus locaux.
L’affaire du Da Vinci Labs constitue la goutte d’eau, passée laquelle les réseaux se sont agités, et les mécontentements ont convergé vers la place Beauvau. Si, d’après le Canard enchaîné, Gérald Darmanin aurait été « enseveli sous les SMS »d’élus, c’est Daniel Labaronne, député Renaissance influent à Paris, qui aurait obtenu le limogeage de Marie Lajus.
Une tribune rarissime
Le séisme de cette éviction est tel que le 26 décembre, fait rarissime, une cinquantaine de personnalités parmi lesquelles Nicole Bonnefoy, sénatrice de Charente et Norbert Meler, maire de Foix, publient une tribune au vitriol pour soutenir celle qu’on appelle désormais la « préfète intègre ».
« Marie Lajus aurait été limogée pour avoir fait respecter le droit de l’urbanisme dans une affaire de projet immobilier, écrivent les signataires. C’est ainsi une profonde injustice que nous, citoyens attachés au respect de la loi, avons découverte : la volonté de faire primer des intérêts particuliers sur l’intérêt général, même lorsqu’il a force de loi. »
L’ex-préfète est coupable, en somme, d’avoir respecté le droit de l’environnement, en particulier la loi climat et résilience de 2021 (celle d’une partie du gouvernement actuel), qui limite l’artificialisation des sols au nom de l’urgence écologique.
Lors de son pot de départ, brandissant un article du Canard enchaîné qu’on lui avait offert encadré, Marie Lajus s’est écriée, comme pour faire ses adieux : « Vive la presse ! Vive la presse libre ! » Ce n’est pas de si tôt qu’on entendra de nouveau ces mots dans une préfecture.
Crédit photo couv – PASCAL PAVANI / AFP