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La pénurie de puces électroniques révèle la dépendance technologique des pays occidentaux à l’Asie

En plus de reposer sur la concurrence quasi-irrattrapable d’une poignée d’usines dans le monde, cette organisation se révèle encore complètement déconnectée de sa responsabilité écologique.

Bois, cuivre, puces électroniques… La planète entière est touchée par une pénurie de biens. En cause : les décisions humaines prises durant la pandémie, des catastrophes naturelles, ainsi qu’une logique de production du « juste-à-temps » et d’ultra-spécialisation des secteurs. Parmi les biens les plus recherchés, les puces électroniques sont devenues particulièrement cruciales dans le fonctionnement de nos sociétés ultra-numérisées. Les dirigeants des pays occidentaux souhaitent donc retrouver leur souveraineté technologique, mais se heurtent à un écueil majeur : leur impact social et environnemental.

Une pénurie enclenchée par la pandémie

Les semi-conducteurs, ce sont ces puces électroniques qui, mises en réseau, fonctionnent comme les neurones de nos outils numériques. Au début de l’année 2020, les industries automobiles cessèrent d’en commander, anticipant la baisse globale de la demande de voitures impliquée par la pandémie.

Au même moment, Samsung augmentait ses commandes pour construire en masse son nouveau téléphone, et Sony faisait de même pour rendre sa nouvelle console disponible autour du monde.

La demande en objets connectés explosait avec l’essor du télétravail et de l’inquiétude, pour les confinés, de manquer de divertissements. Résultat : lorsque les constructeurs automobiles ont relancé la production de leurs voitures fin 2020, le marché des semiconducteurs était complétement saturé.

Panique à bord ; il y a, depuis ce moment-là, plus de demande que d’offre sur ce marché. Alors, la course est lancée pour capter le peu de semi-conducteurs en circulation. La denrée s’étant faite de plus en plus rare, les prix augmentent.

Le contexte de « guerre économique » entre la Chine et les Etats-Unis vient aggraver ce phénomène – gouvernement et industries de chaque pays s’efforcent de garder les stocks de puces du bon côté de la frontière.

En fin de compte, le marché mondial de l’électronique a subi une hausse des prix. Pour ne prendre qu’un exemple, la nouvelle Playstation, annoncée à 500€ à sa sortie, est aujourd’hui vendue aux alentours de 800€ par les particuliers, tandis que les grands distributeurs affichent une rupture de stocks.

D’autres imprévus ont exacerbé cette crise : le blocage du canal de Suez a retardé des délais de livraison, le froid extrême au Texas y a givré une usine à semi-conducteurs, un feu a consommé une autre de ces usines au Japon, une sécheresse à Taïwan a mis à l’arrêt certaines des fonderies – usines spécialisées dans les matériaux semi-conducteurs – les plus performantes au monde…

Mais pour le reste, cette crise met en lumière des problèmes provoqués par la logique de l’organisation mondiale qui produit tous nos gadgets électroniques.

En plus de reposer sur la concurrence quasi-irrattrapable d’une poignée d’usines dans le monde, cette organisation se révèle encore complètement déconnectée de sa responsabilité écologique.

https://www.youtube.com/watch?v=anE1PUNX4yU

Les fragilités d’une production flexible et concurrentielle

La pénurie actuelle de semi-conducteurs est un effet de structure. La plupart des producteurs automobiles fonctionnent selon une logique managériale du « juste-à-temps », qui suppose de ne commander que la quantité de ressources nécessaires pour répondre à la demande.

Par cette méthode, les entreprises n’ont plus besoin de stocker leurs ressources, et réduisent ainsi leurs coûts, optimisant par là leur rentabilité. Mais c’est en fonctionnant ainsi que les producteurs automobiles ont créé la pénurie : face à une demande en chute, toutes leurs commandes de semi-conducteurs ont été annulées en début d’année – puis, lorsque la demande est repartie à la hausse, ces mêmes usines se sont retrouvées sans stocks et face à une offre de semi-conducteurs déjà saturée.

Le mal était fait : exigeant soudainement au marché des puces de remplir à nouveau leurs stocks, les industries automobiles ont « naturellement » déclenché une course à l’accaparement entre tous les acheteurs sur ce marché.

C’est cette course qui provoque la pénurie, et c’est pourquoi les entreprises qui avaient déjà préparé leurs stocks ne sont pas ou que peu concernés par elle. C’est par exemple le cas de Toyota, qui est pourtant l’entreprise mère de la méthode du « juste-à-temps » ; ses stocks de semi-conducteurs étaient préparés avant la crise, permettant aujourd’hui à sa production de ne pas en subir les perturbations.

Mais ce n’est pas seulement l’ultraflexibilité de l’organisation économique qui explique cette pénurie ; c’est aussi la faible quantité d’usines pouvant produire la puce tant demandée, résultat des relations ultra-concurrentielles entre les représentants du secteur.

A ce jour, seulement trois usines dans le monde sont en capacité de produire le composant de meilleure qualité : la Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC) de Taiwan, Intel des États-Unis et Samsung, en Corée du Sud.

Ces entreprises se retrouvent ainsi au cœur d’un problème mondial, et leur responsabilité à cet égard devient évidente : ce sont elles qui répartissent aujourd’hui l’avenir de la production des objets électroniques intelligents, et déterminent leur coût.

Le poids soudainement apparent de cette responsabilité a déclenché un mouvement mondial d’intérêt pour ce type de production, où les dirigeants des pays les plus riches souhaitent soudainement la relocaliser chez eux.

Ainsi, le nouveau président des Etats-Unis annonçait fin Mars son soutien au projet d’injecter une somme de 50 milliards de dollars pour soutenir le secteur, tandis que l’Union Européenne prévoit d’aider le développement d’industries performantes dans ce secteur en coordonnant leur alliance face à la compétition extra-européenne.

Pourtant, le développement extrêmement rapide des perfectionnements technologiques et leur coût d’ensemble rendent très difficile l’apparition de nouvelles têtes dans l’industrie. L’impératif concurrentiel du marché libre, interdisant de protéger une production locale de la compétition internationale, rend ainsi quelque peu illusoire l’espoir de voir se développer plus localement la production de telles technologies sans réformes profondes au niveau de la régulation des marchés.

Lac Baotou, Chine

Le silicium : un enjeu écologique discret mais majeur

Mais l’enjeu de souveraineté sur la production de semi-conducteurs n’est pas juste une question nationale de pouvoir géopolitique, comme le sous-entend par exemple Bruno Le Maire (ministre de l’économie et des finances) lorsqu’il est interrogé à ce sujet. C’est aussi une question internationale de responsabilité écologique.

Le silicium, métalloïde utilisé dans la fabrication, est une matière extraite du quartz, ce minerai qui se trouve dans les roches en granite. Et le processus par lequel est extrait le silicium est long et coûteux en énergie, comme l’explique cette note du CNRS datée de 2010 :

« Au total, 2933 kWh d’électricité sont nécessaires pour produire 1 kg de wafer en silicium. […] Pour donner une échelle de grandeur, une famille française moyenne (4 personnes en maison individuelle), consomme environ 4500 kWh/an. »

Or, cette énergie n’est que très rarement décarbonée. Une fiche trouvée sur le Portail Français des Ressources Minérales Non-Energétiques précisait, fin 2020, que l’impact environnemental du silicium dépend en sa plus grande partie du type d’électricité utilisé pour l’extraire :

« L’empreinte carbone de la production et de la transformation du silicium métal dépend beaucoup de la source d’électricité utilisée (hydraulique, nucléaire, ou charbon). Il y a donc un fort enjeu à réaliser les étapes de transformation et d’affinage à partir d’un mix électrique le plus décarboné possible. »

S’ajoute à cette empreinte carbone du silicium les traitements chimiques impliqués dans le processus de fabrication des semi-conducteurs, et les conditions désastreuses dans lesquelles travaillent les ouvriers.

Depuis le début des années 80, l’écosystème de la Silicon Valley (qui tient justement son nom de sa dépendance au silicium) est endommagé de façon permanente par le rejet régulier de tels déchets toxiques dans la nature, et par l’évidement progressif des lacs de la région, dont l’eau à servi à nettoyer les tranches de silicium (ou « wafers »). 40 ans plus tard, ces dégâts font de l’endroit l’un des plus pollués des Etats-Unis.

Ainsi, la volonté de relocaliser la production de semi-conducteurs (qu’elle vienne de Bruno Le Maire ou de la Commission Européenne) ne saurait consister uniquement en un effort de les produire à un prix aussi bas que les concurrents Etats-Uniens, Taïwanais ou Coréens.

Sauf à mettre de côté les engagements pour le climat, il doit aussi s’agir de développer des procédés d’extraction du silicium décarbonés et non polluants. La réutilisation et le recyclage des semi-conducteurs et de leurs résidus doivent aussi être développés et soutenus, puisqu’à ce stade « le faible coût du silicium, les faibles quantités collectées, et le coût élevé des procédés rendent cette récupération encore peu rentable en 2020 » selon le Portail des Ressources Non Minérales.

Sans une telle approche, la production incessante et globale d’objets numériques continuera de se faire au détriment complet de l’environnement. Alors, sous prétexte d’être contrainte par les « lois naturelles » du marché libre international, cette production relocalisée – faite selon des agendas à court-terme et au plus bas prix – s’opposera à l’apparition d’outils numériques fabriqués dans le respect de nos conditions de vie communes.

Pierre Boccon-Gibod

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