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La MAMMO veut composter les excréments humains en ville pour économiser l’eau et revenir à un système agricole vertueux

"Les urines ont été en partie valorisées avec un acteur du territoire qui s'appelle « Toopie organics » et qui crée des biostimulants à base d'urine humaine. Les matières fécales étaient envoyées à une plateforme de compostage qui les compostait industriellement et, à l'issue du mélange avec d'autres matières, il en ressortait un compost qui pouvait être vendu."

Grégory et Anne-Sophie ont décidé de créer “Le Plein de Sens”, un podcast engagé destiné à mettre en avant celles et ceux qui font du bien à notre planète, éveillent les consciences ou s’engagent pour la sauvegarde du vivant. Dans cet épisode, ils donnent la parole à Laura, Chargée de programme pour La Maison des Matières Organiques Oubliées (MAMMO). L'association a porté durant deux ans un projet inédit : installer dans les appartements des toilettes sèches pour récupérer les excretats afin de les valoriser. En collaboration avec La Relève et La Peste, nous en publions ici une partie.

Nos excréments, des ressources délaissées

GREG : Aujourd’hui, on va parler de fumier, un peu, Anne-So, mais de fumier humain et on va se rendre compte qu’avec notre caca, on peut faire des super trucs. Nous sommes avec Laura, qui est chargée de programmes de la Mamo. Dans cette structure, vous vous êtes dits : « tiens, avec le caca humain, on aimerait faire des trucs ». Comment ça vous est venu ?

LAURA : En fait, les excreta, c’est tout ce que notre organisme rejette. Dans les excreta, il y a l’urine et les matières fécales, il y a la sueur aussi. La Fumainerie est une association qui a émergé en 2019 par un rassemblement de citoyens qui, justement, se posaient la question de… « nous, on vit en centre-ville et comment on fait si on n’a plus envie d’utiliser des toilettes à eau et d’utiliser de l’eau potable pour nos toilettes ?  »

GREG : Oui, ce qui est une question que de plus en plus de gens se posent : tiens, pourquoi est-ce que moi, je continue à faire mes excréta dans de l’eau potable ? C’est terrible de se dire que des gens crèvent de soif à quelques kilomètres de chez soi et toi, tu chies dedans. Et puis, on sait très bien que nous, on va avoir ce problème-là bientôt. Les ressources en eau ne sont pas infinies.

LAURA : Complètement. Le problème, c’est que, finalement, quand on vit en milieu urbain, on n’a pas d’autres solutions que de faire ainsi. Avec ce collectif, ces citoyens se sont questionnés pour faire autrement. Et de là est née la Fumainerie, expérimentation qui a permise d’installer des toilettes sèches sans eau, à séparation, pour récupérer les matières produites, donc les excretas.

L’association a organisé une collecte à domicile des matières à vélo cargo, histoire que notre empreinte environnementale, elle, soit vraiment au top. Et il y avait des petits collecteurs qui allaient collecter une fois par semaine les foyers partenaires.

Pendant l’expérimentation qui a duré deux ans, il y avait 35 foyers. Les foyers, généralement, étaient composés de 2 à 4 ou 5 personnes par foyer, avec des enfants ou pas, et tout ça seulement sur le secteur de la métropole de Bordeaux.

ANNE-SO : Et comment cela a été reçu par les familles ? Dans l’inconscient collectif, les toilettes sèches sont encore souvent assimilées à quelque de chose sale et malodorant.

LAURA : En réalité, les familles (que nous appelions « coproducteurs »), étaient pour la plupart déjà très engagés autour de l’environnement. Le mot « coproducteur » n’a néanmoins pas été choisi au hasard : l’acceptabilité et les nouvelles pratiques ne pourront être envisagées qu’à partir du moment où nous verrons ces gisements comme une matière première, et non comme un déchet à faire disparaitre. C’est là tout l’enjeu. Le nombre de coproducteurs a dû être limité au regard des moyens dont nous disposions, mais nous n’avons effectivement pas pu accepter tout le monde dans l’aventure !

En réalité, les familles, qu’on appelle les coproducteurs, étaient pour la plupart déjà très engagés autour de l’environnement. Le mot n’est pas choisi au hasard, parce qu’on considère tout cela comme des déchets, mais en disant qu’on produit quelque chose, une matière qui a vraiment un intérêt, le regard change. C’est là tout l’enjeu. Et le succès a été tel dès notre appel à mobilisation pour trouver les foyers coproducteurs qu’on a dû en refuser certains.

GREG : Comment s’est passée cette expérimentation de deux ans ? Quels ont été les retours des gens ?

LAURA : A la fin de l’expérimentation la plupart des foyers ont été reconnectés au réseau avec des toilettes classiques. D’abord, parce que le système mis en place n’était pas optimisé économiquement et que nous dépendions totalement des financements publics. Le soutien des collectivités a été essentiel pour mener à bien cette expérimentation. Grâce à elles, les foyers ont pu bénéficier gratuitement des toilettes et de la prestation de service durant 2 ans. Leurs retours était amplement positifs, et tous auraient aimé que l’aventure continue. Là était l’un des objectifs de l’expérimentation : déterminer si, dès lors qu’un service de collecte en ville existe, les urbains sont -ou non- davantage prêts à remplacer leurs toilettes mouillées par des toilettes sans eau.

ANNE-SO : Combien coûterait un tel dispositif aux familles s’il n’est pas financé par les collectivités ?

LAURA : Si on mettait un prix, c’était assez cher et revenait à environ 70 € par membre de chaque foyer. Peu de personnes sont prêtes à payer un service à ce prix, tandis que le prix de l’eau est aujourd’hui largement inférieur. L’ambition de cette expérimentation, c’était déjà d’avoir plein de données.

Toilettes sèches adaptés aux appartements

Toilettes conçus pour l’expérimentation et installés chez les co-producteurs – Crédit : Julien Lemaistre – Low-tech Lab – mars 2021

Composter les excréments pour revenir à un système agricole vertueux

LAURA : Les matières étaient récupérées séparément : les urines d’un côté dans des bidons et les matières fécales dans des caisses. Elles étaient valorisées de façon différente. Les urines ont été partiellement valorisées avec un acteur du territoire qui s’appelle « Toopie organics » et qui crée des biostimulants à base d’urine humaine. Les matières fécales étaient envoyées à une plateforme de compostage qui les compostait industriellement et à l’issue, en mélange avec d’autres matières, il en ressortait un compost qui pouvait être vendu.

GREG : D’accord. On se posait une question avec Anne-So, justement, par rapport à ça. On se dit qu’on est quand même une génération qui bouffe mal…

ANNE-SO : Et puis, surtout, on est quand même bourrés de médicaments et très souvent en plus. On le voit d’ailleurs dans beaucoup de reportages, notamment sur la contamination de l’eau par les antibiotiques, comment ça se passe quand tu récoltes les crottes ? Est-ce qu’on peut l’utiliser sur des plantes ? Ce n’est pas dangereux ?

LAURA : Il y a en effet des mesures à prendre, il faut le faire correctement. Mais, si on compare à ce qui se fait déjà actuellement, on épand du lisier animal sur les terres qui est lui aussi farci d’antibiotiques et là, ça ne gêne personne, et aucune mesure n’est mise en place. Par ailleurs, très peu de stations d’épuration traitent les micropolluants tels que les résidus pharmaceutiques. Ils se retrouvent alors directement dans nos cours d’eau. L’idée serait alors de capter « à la source » les gisements, pour les traiter de façon adéquate avant qu’ils contaminent des milieux récepteurs. Mais cette question ne se pose pas QUE pour les excrétas, elle se pose également pour d’autres types de matières organiques (déchets de cuisine, coquillages, café, couches compostables…..)

C’est pourquoi, pour aller plus loin suite à cette expérimentation, la MAMO a été crée (la Maison de la Matière Organique Oubliée). L’objectif est de réunir plein d’acteurs du territoire qui sont en lien avec les matières organiques que l’on qualifie « d’oubliées » et de construire ensemble des filières circulaires efficientes, permettant de valoriser les nutriments présents dans tous ces gisements. L’ambition est de faire le lien entre deux systèmes qui sont très linéaires : le système de l’eau, puisque c’est lui qui gère nos excreta pour l’instant, et le système de l’agriculture, et de les relier d’une façon assez circulaire. Les agriculteurs sont les plus à-même de pouvoir se servir des excreta puisqu’une fois compostés ou valorisés d’autres façons, ils ont un intérêt agronomique.

Le collectif veut aussi travailler avec les collectivités pour réduire l’impact du système conventionnel actuel de l’assainissement, comme les stations d’épuration, et réfléchir à de nouveaux moyens de faire pour consommer moins de ressources, moins d’eau, moins polluer les milieux aquatiques et permettre un retour au sol qui peut être intéressant pour les agriculteurs.

GREG : Côté agriculteur, qu’est-ce qui fait qu’un agriculteur va s’y intéresser ? De la matière humaine, plutôt qu’utiliser les moyens qu’il a aujourd’hui ? D’ailleurs c’est quoi les moyens aujourd’hui d’un agriculteur pour fertiliser ces sols ? Du fumier de cheval ?

LAURA : Les excreta, c’est tout ce qui ressort de notre corps, tout ce qu’on est excrète : les matières fécales, les urines, la sueur, etc. Dans ces excreta, il y a trois nutriments principaux qui sont l’azote, le phosphore et le potassium. Et ces nutriments, on ne veut pas s’en servir. On les renvoie dans le système de l’eau ou dans une station d’épuration où l’on va retrier ces nutriments pour ne pas les renvoyer dans le milieu récepteur. Après les stations d’épuration, l’eau est renvoyée dans les rivières et les cours d’eau mais elle passe par un processus d’assainissement.

En parallèle, il y a le système agricole qui lui utilise ces mêmes nutriments d’azote, phosphore, et potassium. Mais, pour les récupérer, plein de processus sont en place et qui ne sont pas du tout écologiques ni infinis. Pour produire l’azote, des systèmes très techniques vont récupérer l’azote de l’air pour le transformer via des processus très énergivores en une source qui va être assimilable par la plante.

Ensuite, il y a le potassium et le phosphore et là, on va aller puiser dans des mines qui sont très inégalement réparties sur le territoire, puisque la plupart se trouvent en Chine, Maroc, Sahara ou Russie. Dans les années à venir, on va être en manque de ces ressources, il devient urgent de faire autrement. D’autant plus qu’au vu de la raréfaction des ressources et des conflits politiques actuels, le prix des engrais augmente énormément.

ANNE-SO : Est-ce que certains instituts pourraient empêcher ce projet pour risque sanitaire ?

LAURA : Bien sûr, bien sûr, c’est un gros sujet. Il y a encore des expérimentations et les recherches à faire, justement pour démontrer que, sanitairement parlant et hygiéniquement parlant, on peut mettre en place des processus adaptés pour assurer qu’il n’y ait aucun risque sanitaire.

Sur Paris (plateau de Saclay), il existe déjà des expérimentations sur des champs agricoles. De plus en plus d’études sont disponibles sur internet. Il y a notamment le laboratoire du LEESU, qui a mis en place un programme qui s’appelle Ocapi où vous trouverez largement de quoi en savoir davantage »

Pour écouter la suite du podcast, retrouvez « Le Plein de Sens » au lien suivant. Un nouvel épisode paraît tous les mardis.

Anne-Sophie Supiot et Greg Vacher, l'équipe du podcast "Le Plein de Sens"

Anne-Sophie Supiot et Greg Vacher, l’équipe du podcast « Le Plein de Sens »

 

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