La technique, oui, mais pour quoi faire ? C’est en voulant répondre à cette question que le réalisateur Adrien Bellay est allé à la rencontre de nombreuses personnes bâtissant un monde plus juste et plus joyeux dans toute la France. Les pionniers des low-techs ont décidé de ne pas céder aux sirènes de la surenchère technologique. Loin d’un retour à la bougie, ces apprentis bricoleurs, qu’ils et elles soient jeunes ingénieurs, agriculteurs ou entrepreneurs, réparent leurs machines du quotidien, s’alimentent en énergie ou fabriquent leurs propres moyens de production. Plongée au cœur des low-tech.
Le film « Low-tech, les bâtisseurs du monde d’après » du réalisateur Adrien Bellay sort en salles ce 7 juin 2023. Atelier de réparation à Nantes, stage de construction d’éoliennes domestiques, rencontres avec le « Géo Trouvetou » isérois Barnabé Chaillot, de jeunes ingénieurs qui bifurquent, immersion au cœur de la tiny-house exemplaire du Low-tech Lab, découverte d’une voiture pas comme les autres, construction d’habitats écologiques, retour d’expérience d’agriculteurs qui construisent leurs propres machines et encore longs entretiens avec les précurseurs Philippe Bihouix, Arthur Keller et Alan Fustec. La Relève et La Peste, partenaire officiel du film, s’est entretenue avec lui sur son périple initiatique.
LR&LP : Après votre premier film « L’éveil de la permaculture », pourquoi s’intéresser aux low-tech ?
Adrien Bellay : Je voulais faire une suite à mon premier film, mais m’attaquer au « tome 2 » de la permaculture ne me paraissait pas nécessaire. J’ai découvert la démarche low-tech grâce à une exposition du Low-tech Lab à Paris, et j’ai été immédiatement séduit par ce nouveau mode de vie mis en perspective.
La low-tech est une approche complémentaire de la permaculture. Je définis la permaculture comme la science des interactions entre les humains et le monde vivant, tandis que la low-tech est celle entre l’humanité et la technique. Dans nos sociétés, humains, technologies et monde vivant sont en permanentes interactions. Dans une visée de décroissance, ces deux approches se complètent donc parfaitement : ce sont 2 approches systémiques qui prennent en considération l’épuisement des ressources et qui remettent en cause nos sociétés occidentales.
LR&LP : Au long du film, on apprend que la low-tech est une approche critique de la technique, en quel sens ?
A.B : La low-tech est d’abord une critique de la high-tech avec tout ce que cette dernière comporte en consommation de ressources, d’énergie et de pollution, et se heurte aujourd’hui aux limites planétaires.
En plus de ce prisme écologique, il y a un aspect social à cause de cette surabondance d’objets qui ont envahi notre quotidien et ont modifié notre comportement et nos usages, notamment les réseaux sociaux ou la réalité virtuelle qui au-delà des problèmes de dépendances, nous font vivre de façon totalement hors-sol, déconnecté des réalités matérielles.
On vit de plus en plus sous l’assistance des machines et on ne réfléchit plus vraiment par nous-mêmes. D’une certaine façon, les high-tech nous aliènent et nous empêchent de décider des outils que l’on souhaite utiliser et pour quels usages.
En se réappropriant la technique grâce aux low-tech, il y a tout un cheminement intellectuel et pratique qui nous permet de redevenir maîtres de notre destin en nous forçant à réfléchir par nous-même et nous relier aux autres.
On est devenus un peu ignorants face à la technique. Il y a eu une rupture dans la transmission des savoirs, et rares sont celles ou ceux qui ouvrent encore la machine et prennent le temps de regarder le manuel. Puis les industriels ont transformé les objets en « boîtes noires » qu’on a beaucoup de mal à ouvrir, accompagnées d’un « Quickstart guide » qui tient sur 2 pages mais plus d’un manuel pour les réparer.
On est devenus impuissants face à la panne et cela nous pousse à racheter, ce qui est beaucoup plus rapide et efficace. Les low-techs nous font prendre le chemin inverse, à détourner les objets et ne plus jeter ou le minimum possible.
LR&LP : Justement, la question du temps consacré à apprendre et réparer apparaît souvent en filigrane dans le film. Comment y arriver dans nos emplois du temps modernes contraints ?
A.B : L’un des arguments opposés aux low-techs, c’est qu’aujourd’hui on n’a pas le temps de réparer, de faire soi-même, comme l’agriculteur Cyril Lorréard qui a passé 3 ans à concevoir sa machine.
La permaculture et les low-techs nous tirent dans le bon sens mais tant qu’on n’a pas bousculé la vision de la société, elles resteront marginales. Pour s’initier aux low-techs, on a besoin d’espace et de temps. Si on a pas accès à un grand terrain ou une maison, il est préférable de partager l’espace et les outils, pratiquer à plusieurs dans des ateliers partagés, des tiers-lieux.
Et pour trouver du temps, on a besoin d’arbitrer entre le temps passé au travail et le temps libre. Peut-être libérer le travail, redonner du travail à ceux qui n’en ont pas, en reprendre un peu à ceux qui en ont trop, tester les territoires zéro chômeurs, des solutions comme le salaire universel. Questionner nos loisirs, nos déplacements. Et là d’un coup cela devient un peu plus réaliste et envisageable.
Dans le film, il y a beaucoup de jeunes qui bifurquent et qui s’octroient ce temps. On devrait tous pouvoir le faire quel que soit notre âge.
LR&LP : Une rencontre t’a-t-elle spécialement marquée ?
A.B. : Si je dois retenir un personnage, c’est Cyril Lorréard le maraîcher car je trouve que c’est quelqu’un qui est rempli d’humilité et a fait preuve d’un courage spectaculaire, à l’image de l’Atelier Paysan dont il fait partie.
Cette coopérative est une alternative extrêmement crédible face à l’univers agroindustriel et ses méga-machines onéreuses et énergivores. En l’espace d’une dizaine d’années, l’Atelier Paysan a conçu des centaines de machines adaptées aux besoins des agriculteurs, dont les plans sont disponibles sur leur site, et formé des milliers de paysans à l’auto-construction.
C’est une véritable volonté politique que chercher regagner une forme de souveraineté technologique et cette aspiration pourrait s’étendre à d’autres corps de métiers qui ont d’autres outils de travail. Je pense notamment aux métiers de l’artisanat qui sont mis sur le banc de la touche par rapport aux industriels, et peut-être que des formes de coopérative et de réseaux seraient assez pertinents pour les aider.
LR&LP : Les low-tech peuvent-elles donc « sauver » le monde occidental de sa surconsommation ?
A.B. : Le film montre aussi un certain constat de l’impuissance de ce genre de projets qui restent à la marge. Que valent 3000 paysans formés sur 10 ans par rapport aux dizaines de milliers d’agriculteurs dépendants encore de l’agroindustrie ?
Dans mon film, l’ingénieur Arthur Keller explique bien que tout ceci est primordial car tous ces îlots de low-tech et de citoyens formés, intelligents, qui vivent en réseau et se préparent à vivre dans un milieu contraint dans la joie et l’entraide, c’est cela qui va nous inspirer et nous sauver le jour où cela va basculer et qu’on heurtera de plein fouet les limites planétaires.
Pour rebondir sur ce que dit l’Atelier Paysan, le jour où les industriels ne seront plus en mesure de produire leurs immenses machines, nous aurons plein de petites unités de production déjà prêtes à prendre la suite.
LR&LP : Finalement, quel est le but de votre film ?
A.B. : Le mouvement low-tech est plutôt porté par la jeunesse, de jeunes ingénieurs plutôt séduisants, bien armés intellectuellement, qui se retrouveront peut-être à des postes stratégiques dans leur carrière et seront capables d’opérer d’immenses changements sociétaux.
C’est là que c’est bourré d’espoir, je voulais redonner une bouffée d’oxygène dans le contexte actuel et rendre hommage à cette jeunesse. J’espère que le film puisse profiter au mouvement et à la dynamique low-tech, que les gens échangent des adresses et des contacts et puissent s’organiser.
On a du mal à prendre la hauteur et analyser la situation, mettre en scène ces contrepropositions m’a permis de rappeler notre dépendance aux objets connectés, aux high-techs, et porter une critique à l’idéologie techno-solutionniste qui nous fait croire qu’on résoudra l’équation climatique grâce aux intelligences artificielles ou à la géo-ingénierie. Le film montre qu’il est possible de se sauver par la technique, mais dans la sobriété. Malheureusement ce n’est pas le chemin habituel qui est emprunté, les low-techs nous montrent une autre voie.
Les low-techs redonnent du courage à toute une génération qui a oublié de faire soi-même et de bricoler. Ce n’est pas qu’un élan politique, c’est aussi une source de plaisirs de partager dans la bonne humeur un projet et de le voir se matérialiser ».
Retrouvez les prochaines séances du film près de chez vous ici.