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La Clusaz : les habitants s’opposent au saccage de la montagne pour les canons à neige

"Rappelons que 270 000 mètres cubes sont déjà disponibles et potabilisables, à travers les 4 autres retenues. Se servir des retenues existantes comme alternative semble plus adapté et beaucoup moins onéreux !"

Dans quelques jours, seront entamés les travaux d’une cinquième retenue collinaire dans le bois de la Colombière, un corridor écologique majeur de la municipalité de La Clusaz. Maquillé en projet ayant pour mission de fournir à moyen terme de l’eau potable, la réalité est plus prosaïque : alimenter les canons à neige de la station de ski. Entretien avec les associations FNE Haute-Savoie, le Collectif Fier Aravis, de La Nouvelle Montagne et de Sauvons Beauregard, qui se battent contre ce projet.

LR&LP : Quelles sont la nature et les motivations du projet de retenue sur le plateau de Beauregard ?

La Clusaz projette de lancer dès cet automne 2021 la construction d’une cinquième retenue collinaire à 1500m d’altitude, dans le bois de la Colombière. Situé à l’Est du plateau de Beauregard, il s’agit d’un corridor écologique majeur situé à proximité directe d’un site classé zone Natura 2000 et d’une tourbière (zone humide) riche en faune et en flore.

Cette retenue grillagée, d’un volume de 148 000m3, d’une surface de 3,8ha (l’équivalent de 5 terrains de foot) et de 12 mètres de profondeur, condamnera des écosystèmes uniques dont 11 habitats naturels à protéger.

L’emprise totale sera de 8ha, soit une surface équivalente à 11 terrains de foot du parc des Princes. Cette retenue sera remplie par captation de l’eau de la source de la Gonière, située 4 km en aval, vers le col des Aravis, à environ 1 240m d’altitude.

La municipalité actuelle, dirigée par le maire Didier Thévenet, présente cette cinquième retenue collinaire comme étant destinée pour un tiers à alimenter le village en eau (la commune compte 1 720 habitants), les 2/3 restants servant à la production de neige artificielle.

L’exploitant des remontées mécaniques de La Clusaz, dont le domaine skiable s’étage entre 1 000 et 2 500m d’altitude, envisage ainsi de couvrir 45 % de son domaine en neige artificielle, contre 27% actuellement.

Naturalistes à l’affût – Crédit : Sandra Stavo Debauge

LR&LP : Qui est à l’origine de ce projet ?

Ce projet émane de la SATELC (Société d’aménagement touristique et d’exploitation de la Clusaz, dont le maire Didier Thévenet est le président, ndlr) ainsi que de la municipalité précédente, dans laquelle siégeaient déjà les 1er et 2nd adjoints au Maire actuel.

A l’époque, ce projet n’était alors destiné qu’à la production de neige artificielle. En témoigne l’observation d’une personne, conseillère municipale du précédent mandat, restée anonyme qui a été déposée sur le registre dématérialisé lors de l’enquête publique.

LR&LP : Que dit cette observation ?

Voilà ce qui est écrit noir sur blanc : « Quand le projet nous a été présenté, il nous a bien été précisé qu’il fallait mettre un volet eau potable, sinon une retenue pour des canons à neige ne passerait jamais aux services de l’État. A savoir : que l’eau de cette retenue ne pourra en aucun cas aller jusqu’à votre robinet, puisque rien n’est prévu pour la traiter. Elle ne pourra pas servir aux autres communes puisqu’aucune canalisation n’est prévue dans ce sens. »

Cette même personne a aussi transmis des textes de SMS reçus, envoyés par un élu à ses amis et l’autre d’un directeur à ses collaborateurs.

L’interview donnée en 2017 à Actu montagne par M. Pierre Lestas, alors directeur de la SATELC et également président de Domaines Skiables de France, est riche d’enseignements. Dans cette interview – où il est uniquement question de renforcer l’enneigement artificiel de la station -, il cite déjà la retenue de Beauregard. (voir l’extrait à la fin de cet article, ndlr)

Selon nous, collectifs et associations, si le besoin mis en avant est celui de l’eau potable, c’est bien la stratégie d’augmenter fortement la production de neige artificielle qui impose le choix de ce site vierge et l’ampleur de l’ouvrage. L’eau potable sert d’alibi pour justifier l’utilité publique de ce projet.

La Clusaz bénéficiant déjà de quatre retenues collinaires (soit 270 000 m3) dédiées à l’enneigement artificiel, l’obtention de la DUP (Déclaration d’Utilité Publique) pour une 5ème retenue ne pourrait être justifiée par la seule neige de culture.

En matière d’enneigement artificiel, la Cour des Comptes en 2018 mettait en garde les stations de ski des Alpes du Nord et leur demandait de changer de modèle face aux modifications du climat. En page 561 de ce rapport, il est noté :

« La stratégie en matière d’enneigement de culture est très claire : n’y recourir que sur des zones bien définies et ne pas consommer d’eau potable. »

Plateau de Beauregard enneigé – Crédit : Sandra Stavo Debauge

LR&LP : Concrètement, quelles seraient les conséquences d’un projet d’une telle envergure ?

Cette retenue collinaire grillagée de 148 000m3 de stockage aura une emprise de 3,8 hectares avec une digue de 12 mètres de haut qui présente un risque, faible mais existant, de rupture de digue inondant une partie du village en aval.

Elle entraînera la destruction directe de 8ha d’habitats naturels particulièrement riches et préservés. Le secteur prévu pour la retenue est aujourd’hui une zone de tranquillité pour la faune, puisque le reste du plateau est très fréquenté.

Une dérogation a été demandée par la Mairie de La Clusaz pour engager la destruction de sites de reproduction ou d’aires de repos pour les animaux et certaines espèces animales protégées. Les impacts secondaires, sur une superficie bien plus large, n’ont pas été évalués…

Mais il faut être clair : la localisation de ce projet est catastrophique : il est situé dans l’immédiate proximité de nombreux zonages réglementaires ou d’inventaires qui témoignent de la richesse environnementale du site du plateau de Beauregard.

Photomontage de l’impact de la retenue sur le plateau de Beauregard – Crédit : Pierre-Tardivel

Cet ouvrage est donc en décalage total avec la géomorphologie naturelle du territoire. Nous ajoutons que l’ancien maire de la Clusaz, Guy Collomb-Patton, s’est inscrit contre ce projet lors de la concertation préalable !

Lors de la construction de la retenue, la quasi-totalité du pic / plateau de La Colombière sera « décapitée » et imperméabilisée. La surface autour de la Colombière est importante pour capter l’eau de la pluie et de fonte de neige. Une fois construite, la retenue ne permettra plus l’infiltration de l’eau du plateau.

Cette retenue constitue donc une menace hydrologique : nous soulignons l’absence ou l’insuffisance des études concernant les prélèvements en eau et leurs impacts environnementaux sur les cours d’eau : ruisseau du Nom, ruisseau de La Patton et Nant des Prises.

Hydrologues, géomorphologues et botanistes craignent l’assèchement d’une partie de la tourbière remarquable de Beauregard.

La Tourbière du plateau de Beauregard – Crédit : Sandra Stavo Debauge

LR&LP : Ce projet va entraîner une consommation énergétique très forte, ne serait-ce que pour faire remonter l’eau de 1240 à 1500 mètres d’altitude …

L’Autorité Environnementale a recommandé à la commune d’approfondir toute alternative à la création de la retenue du plateau de Beauregard, en lien avec le changement climatique. Ces alternatives ne nous semblent pas avoir été étudiées, et les autres sources potentielles n’ont pas été investiguées !

Les impacts du projet sur les consommations énergétiques et le climat sont analysés de manière beaucoup trop succincte. Le dossier d’autorisation environnementale conclut à un niveau potentiel faible en phase d’exploitation. L’argument est que la distribution depuis la retenue de l’eau s’effectuera par gravité, limitant ainsi les consommations énergétiques.

Cependant, le public ne reçoit aucune information concernant les consommations énergétiques nécessaires pour alimenter la retenue de Beauregard en eau depuis le captage de la Gonière, puis pour remonter les m³ d’eau de la retenue qui seront évaporés dans un contexte marqué par le réchauffement climatique et la contraction des ressources en eau. Comment dès lors s’inscrire dans la sobriété énergétique exigée par la loi de transition énergétique ?

On voudrait faire passer pour de l’adaptation ce qui est avant tout une obstination à ne pas faire évoluer un modèle économique qui a tant rapporté. C’est une fuite en avant d’un modèle économique et environnemental qui n’est pas viable à moyen terme : celui du tout ski à tout prix.

C’est un engagement dans la voie de l’artificialisation de la pratique touristique, de façon à la maintenir et à s’émanciper d’une forme de dépendance à l’égard des facteurs exogènes du climat. On retarde l’adaptation du territoire au changement climatique. Si le réchauffement climatique est inéluctable, la neige naturelle ne va pas disparaître du jour au lendemain.

Plutôt que d’augmenter à tout prix un enneigement artificiel aléatoire et coûteux, la « lente » diminution de l’enneigement naturel devrait permettre de poursuivre parallèlement une réduction douce de l’activité « tout ski » pour la remplacer par des activités alternatives, le retour d’une activité économique diversifiée avec une repopulation permanente grâce à la réduction de l’inflation immobilière qui frappe la vallée depuis ces 30 dernières années.

Raquettes au plateau de Beauregard – Crédit : Sandra Stavo Debauge

LR&LP : L’enjeu de l’eau potable est un sujet fondamental, surtout en montagne puisque les ressources vont se raréfier. Ce projet ne revêt-il pas un intérêt public majeur ?

Ce projet imaginé par la SATELC uniquement pour la neige de culture remonte à 2017. Il a été revendiqué par la municipalité d’intérêt public majeur, au nom de l’alimentation en eau potable, ce qui est selon nous un argument fallacieux qui vise, comme expliqué plus haut, à la faire reconnaître d’intérêt public majeur.

En outre, expliquer qu’il s’agit de sécuriser l’accès à l’eau potable pour les populations présentes et futures nous semble malhonnête et manipulateur, avec des prévisions de croissance de population particulièrement hautes, alors que celle-ci ne cesse de baisser. Cela agite la peur de la pénurie d’une part, et présente la retenue comme la seule solution envisageable d’autre part.

Rappelons que 270 000 mètres cubes sont déjà disponibles et potabilisables, à travers les 4 autres retenues. Se servir des retenues existantes comme alternative semble plus adapté et beaucoup moins onéreux !

Sur le territoire de La Clusaz, plusieurs sources ont alimenté le réseau d’eau potable pendant des années, avant d’être déconnectées du circuit. Jamais il n’a été question de les prendre en compte ce qui aurait sans nul doute porté ombrage au projet.

Il y a une cristallisation sur la possibilité de manque d’eau potable aujourd’hui et la mairie se sert de cet argument pour convaincre la population (en agitant l’épouvantail de la peur du manque d’eau, de la peur du manque à gagner, etc.)

Or, la source de la Gonière ne peut en aucun cas être consommée sans traitement, et l’usine de traitement n’est même pas budgétée dans le dossier d’enquête publique ! Ce dossier d’enquête publique présente très peu de données relatives à l’alimentation en eau potable. Qu’est-il concrètement prévu, on ne le sait pas.

Dans ce dossier, la préfecture invente l’utilité publique à géométrie variable ! En effet dans ses conclusions à l’enquête publique, la préfecture note dans son avis favorable « Ayant conscience que ce projet n’est pas d’utilité publique pour l’ensemble de la population française, la commission chargée de l’enquête publique considère qu’il est d’intérêt public pour la population de la vallée des Aravis »

Il est également noté : « La commission d’enquête retient que : – le projet aura un impact négatif sur la biodiversité et plus particulièrement en phase travaux. – les prélèvements supplémentaires du captage de Gonière risquent de perturber le régime d’écoulement et d’assécher le torrent Le Nom et tuer toute vie piscicole. »

Le torrent le Nom se jette dans le Fier, qui se jette dans le Rhône. Si la question est « est-ce un projet qui concerne l’intérêt général ? », la réponse est évidemment OUI !

Nous avons affaire à un projet qui touche à une ressource naturelle dont l’accès est un droit humain (mais qui la privatise), et qui pose des questions sur la continuité de cette ressource en aval du projet, et pas seulement sur le site identifié pour la retenue.

Le cumul des retenues collinaires tend à avoir des conséquences négatives sur les bassins versants concernés, en les rendant beaucoup moins résilients aux sécheresses.

Plusieurs types de données sont nécessaires pour déterminer l’influence d’une retenue, et a fortiori d’un ensemble de retenues, sur le cours d’eau. Toute tentative pour estimer l’influence d’une retenue sans disposer de ces données, qu’il s’agisse de l’hydrologie, du transport solide ou de la qualité de l’eau conduit à une grande incertitude.

Pourtant, ces données ne sont quasi jamais disponibles, de façon exhaustive, sur un bassin versant. Dans un contexte de changement climatique qui est déjà à +2 °C en montagne et tend à s’accélérer, continuer ce type d’aménagement en parlant d’adaptation rend perplexe.

Les habitants opposés à la retenue d’eau se sont rassemblés – Crédit : Pierre Tardivel

LR&LP : On décèle une forme d’opacité dans la prise de décision de la préfecture et de la mairie. Quel est votre sentiment en tant qu’habitants de la Vallée ? On entend aussi parler d’Omerta au sein de la station, comme dans d’autres, qu’en est-il réellement et comment l’expliquer ?

Voici quelques extraits d’observations déposés anonymement sur le registre dématérialisé :

« Déposition anonyme d’un habitant de la vallée qui porte un nom d’ici mais qui se protège de pressions sociales importantes dans son cercle familial qui ne partage pas forcément la même opinion. » Observation n°971 (Web) Anonyme Déposée le 14 septembre 2021 à 22 h16

« Une habitante native des Aravis qui pratique le ski alpin, le ski de randonnée, le ski de fond, le VTT qui choisit de rester anonyme vis-à-vis de ses enfants ».

« Je m’oppose au projet de retenue collinaire de la forêt de la Colombière à Manigod. Elue du bassin annécien je préfère garder l’anonymat car le débat est clivant aussi dans nos vallées et les pressions diverses »

« Monsieur le commissaire, Je souhaite rester anonyme non pas par peur, ou manque de convictions… j’assume pleinement et ouvertement mes idées. En revanche ma moitié et mes enfants n’ont pas à en subir les retombées, je ne leur lobotomise pas le cerveau à coup de slogan écolo, ou autre car contrairement à ce que disent les maires des Aravis… nous serions des extrémistes, voir mêmes des talibans de l’écologie… qui de nous deux tient des propos extrémistes et violents par leur sens, qui attaque son « opposant » ? Je semble rentrer dans leur critère de « respectabilité » puisque j’ai toujours vécu dans les Aravis, j’y vis encore, mes enfants y grandissent, ils sont au club de ski de mon village, nous y travaillons, nous consommons dans nos villages, et nous payons les charges. »

Volontairement et historiquement les élus n’associent jamais les habitants pour débattre d’un projet, ou seulement une fois que celui-ci est finalisé. Par ailleurs, il est avéré que des habitants de La Clusaz ont subi des pressions, ce qui distille la peur de s’exprimer, ou de simplement poser des questions.

Ces tensions ne datent pas d’aujourd’hui et profitent toujours au pouvoir en place et restent profondément ancrée dans la population. Durant les campagnes municipales, les vertus affichées pour plus de « démocratie » sont vite oubliées ensuite.

Malgré les affirmations de la mairie, il n’y a pas eu de vraie concertation publique relative à ce projet.

Il y a eu deux phases d’une pauvreté inouïe en terme de débat public : la concertation préalable et l’enquête publique. Ces deux phases ont permis au public de s’exprimer par voie dématérialisée mais certainement pas de débattre publiquement du projet avec les élus qui le portent, ceux qui le soutiennent et ceux qui le dénoncent.

Entre les deux phases du projet, la mairie souhaitait rencontrer les structures associatives une par une et nous priait de laisser nos téléphones portables à l’entrée… ce qui nous semblait un peu étrange, et certainement pas opportun dans le but d’avoir un échange transparent et constructif. La mairie a refusé de rencontrer l’ensemble des collectifs opposés au projet tel qu’il est présenté.

Beauregard- Crédit : Sandra Stavo-Debauge

LR&LP : Quel est votre sentiment sur le concept des « stations 4 saisons » ?

Le concept de station 4 saisons est à la mode, et il est évident que les stations ne doivent plus se considérer seulement comme des stations de ski, mais comme des stations de montagne.

Il y a l’idée de rester attractive tout au long de l’année, mais selon nous, il ne faudrait pas que cela soit seulement autour du tourisme : il s’agit aussi de recréer des bassins de vie stables, redynamiser les territoires autour d’une véritable économie résidentielle, sortir du paradigme de la destination touristique « mono-activité » et sortir aussi du paradigme du 100% tourisme !

Il est nécessaire de redévelopper l’attractivité locale : le retour aux services de proximité, la promotion d’un tourisme local et orienté vers le patrimoine naturel et historique des territoires de montagne. Le patrimoine (richesses des paysages, faune, flore, histoire, culture) est un quatrième pilier fondamental à ajouter aux trois consacrés du développement soutenable (Écologique, Social et Économique). 

C’est pourquoi la préservation des espaces de montagne, voire leur protection, est primordiale pour consacrer un territoire de nature, contenir les aménagements, permettre de conserver des zones de tranquillité pour que les humains puissent toujours aller à la rencontre de la nature sauvage dans des espaces de liberté et refonder une relation équilibrée et respectueuse avec la montagne. Etaler la fréquentation touristique tout au long des saisons nous semble être une voie à suivre.

Il y a un grand oublié dans le concept de valoriser la montagne, le village. Jamais on ne parle de village pour ce qu’il est, pour sa vie sociale, son cadre et reflet de l’authenticité de ses habitants. C’est une valeur non commerciale qui pourtant valorise la station. Quand on parle de village ce n’est pas pour parler d’une station déguisée à exploiter…

Le plateau de Beauregard en automne – Crédit : Sandra Stavo-Debauge

LR&LP : On argue que la station est aussi un poumon économique de la région, et que vos protestations témoignent en réalité d’un désintérêt pour l’aspect économique qui garantit un emploi à beaucoup de personnes. Quelles sont vos propositions alternatives pour maintenir une économie durable dans le secteur ?

Nous croyons au contraire que nos protestations sont le signe d’un intérêt vif pour l’aspect économique de nos vallées et massifs, et pour la transition économique et environnementale de nos territoires de montagne.

Nous adorons le ski, nous sommes en lien direct avec les activités économiques du village, hébergeurs, moniteurs, commerçants, saisonniers, presse spécialisée, et sommes parfaitement conscients de la richesse économique qu’il a permis et permet encore.

C’est pour cette raison que nous sommes d’autant plus inquiets de voir l’absence d’alternatives émerger de la part des acteurs publics, qui revendiquent porter des projets d’intérêt général.

Pourtant, les industries qui dépendent du ski doivent aussi avoir le temps de s’adapter et donc concrètement s’orienter vers une autre pratique de la montagne. De ce point de vue, il y a clairement un défi culturel pour nous permettre collectivement d’envisager la montagne autrement.

Nous constatons que, simplement pour copier les pays concurrents et les stations voisines, l’équipement en neige artificielle devient systématique sur les domaines skiables où désormais on raisonne en “taux de couverture”.

On ne résonne plus en adéquation des seuls besoins, et surtout de l’évolution prévisible du changement climatique : saison de neige retardée et plus courte ; pluies plus abondantes que les chutes de neige. Des investissements lourds amortissables sur de longues périodes ne sont également pas en adéquation parce que trop fortement aidés par de l’argent public.

Dans un contexte de changement climatique qui s’accélère, le respect et la bienveillance d’un tourisme en montagne devrait être la priorité. Assurer une vie économique pérenne, créer des emplois, améliorer les conditions de vie des habitants tout en préservant l’environnement montagnard à la fois exceptionnel et fragile.

Les projets mériteraient d’être élaborés avec les habitants des territoires afin que la montagne garde son attractivité sans atteinte à l’environnement. Recréer en socle de pluriactivité, favoriser sa mise en œuvre en démocratisant les discussions et non seulement avec une gouvernance toute puissante imposant ces projets.

Les activités neige et les différentes pratiques du ski sont aujourd’hui structurantes pour le tourisme en montagne ; garder l’existant suffit largement pour le présent. Elles doivent être accompagnées de projets innovants adaptés à chaque territoire en lien étroit avec la nécessaire transition climatique et environnementale, dans une perspective de viabilité économique et sociale.

Geler les fonciers et ne plus permettre de construire devrait être aussi une priorité. La France dispose de trop de lits en montagne. Comparativement, l’Autriche dispose de 1 millions de moins de lits mais la saison est plus longue et les remplissages meilleurs.

Ne plus avoir comme cible la clientèle étrangère qui met à mal le défi énergie climat et de résilience des territoires définis par l’Europe est à envisager sérieusement.

Enfin, il est nécessaire de retrouver ou de créer une économie locale permanente autour par exemple de l’industrie du bois dont les débouchés sont en pleine croissance grâce à la construction bois, de l’agroforesterie, de l’enseignement, des activités tertiaires qui ne nécessitent pas de localisation particulière et peuvent bénéficier des techniques de communication actuelles.  

La forêt de Beauregard sous la neige – Crédit : Sandra Stavo-Debauge

LR&LP : Maintenant que les décisions ont été prises, quelles sont vos options ? Quel message souhaitez-vous faire passer à la population qui pourrait lire cette interview ?

Nous allons continuer à nous opposer au projet qui s’inscrit dans une logique de développement déjà actée au SCOT (Schéma de cohérence territoriale). D’autre retenues collinaires sont prévues : des liaisons inter-massifs et un gros porteur dit « ascenseur valléen ».

Nous encourageons toute personne qui comprend les raisons de notre lutte à s’informer et informer autour d’elle, mais aussi à signer la pétition qui a déjà recueilli plus de 51 500 signatures. Nous leur demandons aussi de nous soutenir dans les initiatives que nous allons lancer prochainement, dont un appel au don pour des études alternatives et pour les recours que nous allons déposer.

Dans d’autres parties du territoire national, nous relevons des projets impactant fortement l’environnement, inadaptés au changement climatique et à la transition économique. Certains de ces territoires, touchés par des sécheresses importantes, voient se renforcer les conflits autour de l’usage de l’eau.

En Haute-Savoie, ils émergent alors que nous avons encore de l’eau. Malheureusement sans concertation digne de ce nom, et sans cohérence territoriale, cela ne fait que polariser les positionnements des uns et des autres et nous amène à des situations pour l’instant conflictuelles, demain explosives.

Pour aller plus et aider les associations à stopper cette destruction de la montagne qui sera irréversible, il est enfin possible de :

> Demander à la Mairie d’effectuer des recherches poussées au Bossonnet, site abritant potentiellement un immense gisement d’eau potable, avant d’engager tout travaux au bois de La Colombière.
> Signer la pétition sur Change.org « Destruction d’espèces protégées : sauvons Beauregard »
> Suivre le Collectif Fier-Aravis, Sauvons Beauregard de la destruction, La Nouvelle Montagne, France Nature Environnement Haute Savoie sur FB et insta
>  En adhérant aux associations impliquées dans la défense de l’environnement local
>  En faisant un don pour nous aider à collecter des fonds pour les recours juridiques nécessaires et les études complémentaires. Nous souhaitons créer une jurisprudence pour tous ces projets honteux.

Extrait de l’interview parue dans Actu Montagne

Actu montagne : »Quels sont vos prochains gros chantiers ?

Pierre Lestas : Nous avons ouvert un nouveau dossier pour un plan stratégique à 15 ans, comprenant le creusement d’une nouvelle retenue d’eau d’altitude sur Beauregard, et surtout le réaménagement du massif de Balme. Nous travaillons et débattons de plusieurs scénarios. Notre décision interviendra début 2018, pour une première mise en œuvre dès 2021. Nous investissons entre 10 et 12 millions d’euros tous les trois/quatre ans.

La France a rétrogradé à la 3e place du classement mondial des destinations neige. Êtes-vous inquiets ?

PL : Non. Si l’enneigement est satisfaisant, nous retrouverons notre deuxième, voire la première place. Le domaine skiable français est le plus important au monde, en taille et en remontées mécaniques. C’est clairement le manque de neige à Noël ces deux dernières années qui a impacté sa fréquentation. Nous devons investir dans des réseaux d’enneigement capables de saisir les fenêtres de froid. Nous devons également être précautionneux financièrement pour que nos sociétés ne soient pas en péril, si elles devaient encore faire face à l’aléa climatique. Je vous rappelle que nous avons déjà divisé par trois notre exposition à ce dernier depuis 25 ans, grâce à la neige de culture, au damage et aux travaux sur les pistes. »

Propos recueillis par Matthieu Delaunay. Journaliste, auteur, voyageur au long cours, Matthieu Delaunay contribue régulièrement à La Relève et La Peste à travers des entretiens passionnants, vous pourrez le retrouver ici et voir tous ses entretiens sur sa chaîne Hic & Nunc.

Matthieu Delaunay

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