A l’échelle du monde, le jour du dépassement est atteint en juillet, et c’est déjà gravissime. La France vient de le franchir ce 5 mai 2022. Cela correspond au moment où le pays a consommé l’ensemble des ressources que la planète est capable de régénérer en un an. Passé aujourd’hui, les français puisent donc de manière irréversible dans les réserves « non renouvelables », à échelle de temps humaine, de la Terre. Pourtant, des solutions existent.
La France, un appétit gargantuesque
Dans la catégorie des comptes à rebours anxiogènes, le « jour du dépassement » est l’un des marqueurs les plus clivants et symboliques de la façon dont nos modes de production et consommation nous conduisent droit à notre perte.
Calculé chaque année depuis les années 1960 par l’ONG Global Footprint Network, cet indicateur prend en compte l’artificialisation des sols, l’impact environnemental de l’agriculture, la déforestation et la pêche. Si le jour du dépassement est soumis à des critiques car il s’agit d’une moyenne, son suivi reste tout de même une illustration frappante de la non-soutenabilité des sociétés basées sur la poursuite de la croissance économique.
A l’échelle du monde entier, le jour du dépassement a eu lieu le 29 juillet en 2021, alors qu’il est arrivé le 29 décembre en 1970. Les seules fois où cette date a reculé ont eu lieu suite à des crises : dans les années 1970 suite au choc pétrolier, après 2008 avec les subprimes, et en 2020 par les mesures de confinement adoptées face au Covid-19. En 2021, le jour du dépassement est revenu à la date de 2019, malgré des échanges marchands toujours perturbés par la pandémie.
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En France, ce jour arrive sans cesse plus tôt. Résultat, si toute l’humanité vivait comme les Français, elle aurait consommé ce 5 mai toutes les ressources que la planète peut renouveler en un an. L’équivalent de 2,9 Terre serait alors nécessaire pour répondre « aux besoins » de l’humanité. La moyenne mondiale se situe à 1,7 Terre car évidemment, les pays les plus pauvres sont les moins pollueurs et consommateurs.
« Ce dépassement n’est malheureusement pas nouveau. Mais il s’aggrave depuis des décennies. Le Jour du dépassement de la France arrive en 2022 presque 5 mois plus tôt dans l’année qu’au début des années 1960. Non seulement la France n’est jamais parvenue à l’équilibre qui lui permettrait de contenir son empreinte écologique à hauteur de la biocapacité de la planète, mais elle a creusé depuis 60 ans l’écart qui la sépare de cet équilibre écologique. » exprime Isabelle Autissier, présidente d’honneur du WWF France, dans le rapport de l’ONG sur le sujet
Sur 138 pays analysés par le Global Footprint Network, la France fait donc office de mauvais élève en étant classée 97ème pour son empreinte écologique. En cause, les émissions de GES qui représentent plus de la moitié (57%) de l’empreinte écologique de la France (comprenant les émissions émises sur le territoire et celles issues de l’importation, qui ont augmenté de 78% entre 1995 et 2018).
Les solutions à mettre en œuvre
Or, la France est l’un des pays qui regroupe le plus de biodiversité au monde, grâce aux territoires ultra-marins, avec un camaïeu exceptionnel d’espèces, de climats et d’écosystèmes et de paysages. Au total, la France abrite près de 14 000 espèces, soit 10 % des espèces connues.
Menacée d’extinction, notamment à cause de l’artificialisation des sols, la biodiversité est pourtant indispensable à la survie de l’humanité c’est pourquoi il est crucial que le pays revoit urgemment sa copie.
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Ainsi que le pointe le rapport du WWF, la situation n’est pas inéluctable et les solutions sont bien connues.
L’ONG détaille trois scenarii permettant de donner des pistes à ce nouveau quinquennat. Dans le premier, rien n’est fait et la date du dépassement français avance de deux jours supplémentaires en 2027. Dans le second, qui nécessite que la France respecte enfin ses engagements pris lors de l’Accord de Paris, le jour du dépassement serait repoussé de trois jours.
Enfin, dans le dernier scénario, le WWF propose des pistes pour repousser cette date au 30 mai, soit 25 jours plus tard.
Nommé « planification écologique », il est défini par des objectifs précis : diviser par deux l’utilisation de pesticides, parvenir à 25 % de terres cultivées en bio d’ici 2027 (contre 9,5% actuellement), réaliser 700 000 rénovations complètes chaque année, soutenir les alternatives à la voiture comme le vélo pour que les Français puissent l’utiliser pour au moins 15 % de leurs déplacements, végétaliser l’alimentation et faire baisser de 20 % la consommation de protéines animales, accélérer le développement des énergies renouvelables.
Selon le WWF, ce scénario permettrait de soutenir la création d’1,2 million d’emplois, sauverait 28 000 vies humaines de la pollution de l’air mais également de nombreuses espèces animales et végétales.
Face à l’urgence climatique et écologique, ce scénario « idéal » pourrait cependant être bien plus ambitieux, et porter des solutions plus radicales car le temps presse. La décennie 2020 – 2030 est de longue date décrite comme étant cruciale pour limiter les dégâts, et les derniers rapports du GIEC nous rappellent que les émissions de gaz à effet de serre doivent atteindre leur pic au plus tard en 2025 pour espérer un futur vivable.
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Le terme de planification écologique a été d’abord utilisé par Emmanuel Macron, le 16 avril à Marseille, lorsqu’il a assuré vouloir faire de ce quinquennat celui de l’écologie. C’est pourquoi le WWF a décidé de le prendre au mot en nommant ce scénario. Avec le jour du dépassement atteint ce 5 mai, le président ré-entrant doit relever un défi de taille, mais sa politique n’est pas connue pour être ambitieuse, ni tout simplement suffisante face aux défis de ce siècle.
En 2021, l’Etat français a été reconnu responsable de manquements dans la lutte contre le réchauffement climatique et de « préjudice écologique ». Le gouvernement vient de rendre sa copie, avec deux mois de retard, et se contente de lister les mesures en place sans en proposer de nouvelles.
Pire, les eurodéputés de La République en marche viennent tout juste de faire voter un amendement au Parlement Européen qui a limité l’interdiction de la pêche au chalut « dans les zones marines strictement protégées » au lieu de toutes les aires marines protégées, ainsi que le réclamaient ardemment les associations de défense de l’Océan.
Or, la surpêche est la menace la plus importante qui pèse sur les Océans. Plusieurs espèces maritimes font ainsi partie de celles sélectionnées par le WWF pour suivre au mieux l’état de la biodiversité en France : les coraux de Méditerranée, le thon rouge, les vieilles forêts de hêtres, le lynx, la grenouille verte, les hirondelles et les abeilles sauvages.
Face à un tel manque d’ambition écologique de l’exécutif, reste donc à savoir si la future composition de l’Assemblée nationale permettra d’être plus consciente et d’atténuer les dégâts.
Surtout, une remise en cause du modèle économique paraît plus que jamais nécessaire. Cette année, pour la première fois, le GIEC mentionnait ainsi la décroissance comme une piste sérieuse pour « permettre de réduire la demande d’énergie, de matériaux, de terres et d’eau tout en assurant le bien-être de tous les êtres humains sans dépasser les limites de la planète. » A méditer…
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Crédit photo couv : Asc1733