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Interdiction de l’école à la maison : 57 familles entrent en résistance

« Certaines familles décident de quitter le pays, ça va jusque là. D’autres scolarisent leurs enfants contre leur gré, mais c’est une démarche difficile. Des familles choisissent de passer hors radar et d’autres de s’opposer frontalement en entrant en désobéissance civile »

Auparavant ouverte à tous les enfants, l’instruction en famille (IEF) fait, depuis la rentrée 2022, l’objet d’une demande d’autorisation préalable suite à la loi « séparatisme » de 2021. A partir de la rentrée, il va être très compliqué pour les familles de faire l'école à la maison. Face à cette attaque d'un droit constitutionnel, 57 familles ont décidé de rentrer en résistance, dont certaines sont poursuivies en justice à ce motif.

L’interdiction de l’école à la maison

En 2021, la loi « séparatisme » était votée et entérinait définitivement la privation de l’instruction en famille. Ce texte avait profondément révolté les familles ayant choisi ce mode d’éducation qui évoquaient « une atteinte grave et particulièrement injuste à une liberté publique, qui générerait beaucoup de souffrances et une perte de chance pour notre pays ».

Après une mise en application à la rentrée de septembre 2022 qui incluait tout de même un régime dérogatoire assoupli pour les enfants pratiquant déjà l’IEF, leur permettant alors d’obtenir une autorisation de plein-droit, la réforme finale entrera en vigueur au mois de septembre 2024. 

Aujourd’hui, selon les chiffres de l’Institut des hautes études de l’éducation et de la formation, on estime qu’entre 50 000 et 60 000 enfants sont instruits en famille.

« C’est vraiment l’année de vérité, une nouvelle phase de l’application de la loi, là où nous allons voir quelles sont les intentions réelles du gouvernement », commente Marianne Cramer, l’une des porte-parole d’Enfance Libre, pour La Relève et la Peste.

L’association, née en 2022 dès les premières mesures entrées en vigueur, s’affiche comme un mouvement de désobéissance civile travaillant sans relâche à lutter contre la dérive liberticide que représente l’interdiction de l’IEF pour tous.

“Il n’est pas tolérable qu’un gouvernement ait, de jure ou de facto, un contrôle complet sur l’éducation des gens. Posséder ce contrôle et surtout l’exercer est le propre d’un comportement despotique.” John Stuart Mill, Principes d’économie politique, (1848, livre V, ch XI)

Des critères restrictifs pour l’instruction en famille

Ainsi, à compter du 1er mars et jusqu’au 31 mai, toutes les familles souhaitant faire bénéficier à leurs enfants de l’école à la maison ’devront déposer des demandes d’autorisation préalables selon quatre critères définis et restrictifs.

Dès septembre 2024, il faudra désormais justifier de « l’état de santé de l’enfant ou son handicap », de « la pratique d’activités sportives ou artistiques intensives », de « l’itinérance de la famille en France ou l’éloignement géographique de tout établissement scolaire public », ou de « l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif ». 

Ce dernier concernant ainsi toutes les familles souhaitant pratiquer l’IEF pour des raisons personnelles, idéologiques, morales, philosophiques… finalement libertaires, individuellement, comme collectivement.

« C’est un motif flou qui a été mis en place. Le gouvernement s’est rendu compte que l’interdiction pure et dure de l’instruction en famille ne passait pas institutionnellement, donc on est passé à un régime d’autorisation préalable », continue la porte-parole pour La Relève et La Peste.

© Unsplash

L’entrée en résistance

Face à ce qu’elles considèrent comme une injustice, les associations et collectifs ont tenté de rentrer en contact avec les députés, les services académiques, et « rétablir la vérité », mais en vain. 

« Les motifs avancés pour justifier cette loi sont complètement erronés. Il n’y a aucun lien entre séparatisme et instruction en famille, même les chiffres de la Direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) le disent », ajoute Marianne Cramer pour La Relève et la Peste.

Pour rappel, seulement 1,4 % des familles déclarent scolariser leurs enfants à domicile pour des raisons religieuses, ce qui ne signifie pas que celles-ci soient radicalisées. Alors, face à la sourde oreille institutionnelle, les familles optent pour différentes solutions, toutes par contrainte, pour la majorité radicales.

« Certaines décident de quitter le pays, ça va jusque là. D’autres scolarisent leurs enfants contre leur gré, mais c’est une démarche difficile. Des familles choisissent de passer hors radar et d’autres de s’opposer frontalement en entrant en désobéissance civile », détaille Marianne Cramer, qui se trouve dans cette situation, comme 56 autres familles en France. 

« Ce n’est pas évident, il faut être assez solide pour s’afficher et ça fait peur, puisque la menace sous-jacente, c’est que l’on nous retire nos enfants. »

Pour les familles, assumer de faire l’école à la maison est une prise de position politique et ne les concerne pas exclusivement. Il s’agit bien là de défendre une liberté, collective, qui leur paraît « cruciale pour la démocratie ».

Deux familles condamnées

Cet acte fort d’opposition à la loi a d’ailleurs valu à 28 d’entre elles d’être poursuivies pénalement. Deux procès en tribunal correctionnel ont eu lieu, où les quatre parents se sont vus condamnés respectivement à des amendes avec sursis de 500 euros par personne et 300 euros par personne.

« On constate que les peines sont légères, car le risque encouru est de 7500 euros d’amende et 6 mois d’emprisonnement. Cela démontre à quel point les juges ne savent pas quoi faire de nous. Ils ne peuvent que constater que l’on ne met pas en danger nos enfants. Il y a deux ans encore, on les éduquait simplement à la maison », précise la membre d’Enfance Libre pour La Relève et La Peste.

Pour les familles en résistance, il est à ce jour difficile de savoir si la mise en application réelle va compliquer les choses et alourdir les peines. Elles misent alors sur le fait qu’il existe, encore, une indépendance entre la justice et l’exécutif.

« À côté des poursuites au pénal, il y a aussi une forme de persécution d’un certain nombre de familles sur le volet civil, puisque certaines ont même subi des enquêtes sociales », continue la porte-parole pour La Relève et La Peste.

© Unsplash

Des procédures judiciaires chaotiques

Jalil Arfaoui et sa compagne sont bien placés pour le savoir. Après avoir déclaré l’IEF pour la plus grande de leurs deux filles en septembre 2021, le couple dépose un dossier pour la plus petite, cette fois en 2022 après l’entrée en vigueur de la loi, qu’il se voient refuser, sans explications.

« Nous avons décidé de déposer un Recours administratif préalable obligatoire (RAPO), mais le refus a été confirmé par la commission du rectorat. Le fait que notre autre fille fasse déjà l’IEF n’était semble-t-il pas suffisant », raconte Jalil Arfaoui pour La Relève et la Peste.

Alors, en septembre 2022, la famille entre en désobéissance civile, pour permettre aux deux filles de pratiquer l’école à la maison, selon leurs souhaits respectifs. S’ensuit alors un parcours administratif et judiciaire laborieux, passant d’une audience au tribunal administratif sur le fond à une convocation en vue d’une enquête sociale, qui sera finalement classée sans suite.

Cette résistance civile a valu à Jalil Arfaoui et sa compagne un passage devant le tribunal correctionnel, prévu en juin prochain.

« Finalement, dans tout ce parcours, à aucun moment nous n’avons senti que quelqu’un se souciait du bien-être des enfants, car c’est avant tout de cela qu’il s’agit », s’indigne Jalil Arfaoui auprès de La Relève et La Peste.

Par ailleurs, la loi prévoit que les allocations familiales soient soumises à la présentation d’un certificat de scolarité ou d’une autorisation préalable d’IEF.

« C’est le volet social qui est aussi attaqué. Certaines familles se retrouvent privées d’aides, avec des enfants supprimés des calculs du RSA ou des primes d’activité », analyse Marianne Cramer pour La Relève et La Peste

Pendant ce temps, le Ministère de l’éducation nationale, au cœur d’une crise du système éducatif mêlant difficultés de recrutements de professeurs et frasques ministérielles sur fond de défense de l’enseignement privé, maintient sa position et scelle un retour péremptoire de l’autorité à l’école. 

Selon Nicole Belloubet, fraîchement nommée à la tête du ministère et invitée au micro de France Inter le 13 février dernier, ce durcissement « est indispensable dans l’école. [… ] Si nous n’avons pas de règles et le respect de ces règles […] tout cela ne peut pas fonctionner. On ne peut pas faire de l’école un lieu où le cadre n’est pas respecté ».

À l’heure où l’on connaît les difficultés des enfants victimes de harcèlement, de phobie ou de manque d’inclusion scolaire, l’instruction en famille s’inscrit pourtant comme un véritable refuge pour les familles en souffrance.

Sources : « L’instruction dans la famille », Ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse, 03/2023 / L’invité de 8h20 : le grand entretien, France Inter, 13/02/2024

Juliette Boffy

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