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Instruction à la maison : les familles entrent en résistance

“Il n'est pas tolérable qu'un gouvernement ait, de jure ou de facto, un contrôle complet sur l'éducation des gens. Posséder ce contrôle et surtout l'exercer est le propre d'un comportement despotique.” John Stuart Mill, Principes d'économie politique, (1848, livre V, ch XI)

Suite au discours d’Emmanuel Macron, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a publié mardi le texte du projet de loi contre le “séparatisme”, renommé « projet de loi renforçant la laïcité et les principes républicains » dans un bel exercice de novlangue. Parmi ses cinq axes principaux se trouve la fin de la scolarisation à domicile pour tous les enfants. L’occasion de questionner qui est légitime pour les instruire, et comment sont définis et incarnés ces fameux principes républicains. 

La Relève et La Peste a donc invité Lénie Cherino, maman d’une “non-sco”, une enfant non-scolarisée, Thierry Pardo, chercheur indépendant associé au Centre de recherche en éducation et formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté de l’Université du Québec à Montréal et auteur du livre “Une éducation sans école” ainsi que l’association UNIE, spécialisée dans l’Instruction En Famille, pour mieux expliquer cet enjeu de société primordial.

Une annonce liberticide

Le discours d’Emmanuel Macron a frappé comme un coup de tonnerre pour les nombreuses familles et les 50 000 enfants qui ont choisi l’instruction en famille (IEF). Si l’association UNIE avait bien conscience par expérience que le dispositif, et notamment les familles non déclarées, étaient dans le viseur du gouvernement, la décision d’interdire purement et simplement l’IEF est vécu comme une véritable mesure liberticide.

Pour Lénie Cherino :

Ce n’est pas l’école qui est obligatoire mais l’instruction ! La majorité des familles françaises n’avaient pas conscience de cette nuance et  ignoraient ce droit… jusqu’à ce que le président Emmanuel Macron décide de changer la donne. 

Ce que je vois derrière cette annonce, au-delà du coup de massue que cela représente pour la maman « non sco » que je suis, c’est une des libertés les plus élémentaires, de TOUT.ES les français.e, se faire piétiner.

Aujourd’hui, pour les familles dont les enfants sont en souffrance à l’école, il est possible de choisir l’IEF… déscolariser son enfant et opter pour l’instruction à domicile est un droit légal pour TOUT.ES. Un droit menacé. Un de plus. 

Opter pour l’éducation à la maison serait ainsi l’une des plus belles façons d’incarner le principe républicain de la Liberté, ainsi que le rappelle Thierry Pardo :

L’éducation sans école est principalement un projet libertaire. Bien sûr, en se penchant à bâbord ou à tribord on peut trouver d’autres motivations que de saines aspirations à des horizons à perte de vue.

Mais pour l’essentiel, les pratiquants d’une éducation libre aspirent à découvrir le monde, rencontrer, se frotter aux quatre vents et apprendre tous les jours un peu plus de la diversité des paysages humains et naturels.

C’est pour cela qu’on ne trouve que très peu de soutien dans le monde politique, dans les institutions, l’école bien évidemment, mais aussi la justice. Nos alliés ne sont pas parmi ceux dont la mise en boîte est la fonction. À l’heure où notre mode de vie, nos choix éducatifs, la liberté de nos enfants sont menacés, qui, parmi ceux qui détiennent la règle et le bâton, le programme et le contrôle, ou parmi ceux qui aspirent à les détenir, nous soutiendra? Qui se lèvera pour dire qu’un enfant ne s’appartient qu’à lui-même?

Être libertaire dans le monde d’aujourd’hui ce n’est pas poser des bombes, ce n’est pas refuser toute forme d’État et beaucoup d’entre nous sont bien heureux de pouvoir compter sur les services publics, les musées, les routes et les transports comme moyens de parcourir la vie en famille. 

Mais que cette jouissance de l’espace public soit inféodée à une pensée unique, une vision étatique pour l’éducation de nos enfants, nous ne pouvons l’accepter. Que le gouvernement nous intime la « bonne » philosophie éducative, celle que tous les enfants devraient connaître, sous peine de nous faire passer pour des séparatistes de la République, cela revient à reconnaître que la République est un mot d’ordre et non plus le résultat de la convivialité d’un peuple.

Crédit : Ben White

Un amalgame raciste

Pour Lénie Cherino :

Cette allocution d’Emmanuel Macron, pétrie d’incohérences, ouvre la voie à des amalgames douteux. Elle aura provoqué de vives réactions chez certaines familles IEF et, peut-être,  l’air de rien, encouragé un racisme d’une fourbe discrétion. Ce racisme contesté mais en vérité, toléré par de trop nombreux citoyens français encore aujourd’hui. 

Ce racisme systémique qui imprègne encore et toujours la moelle de nos institutions républicaines. Ce racisme qui s’impose discrètement telle une ombre derrière une phrase du genre : « C’est  dégueulasse, nous on n’est pas musulmans et on se retrouve pénalisés ». 

Je n’accuse personne d’être raciste, je m’interroge sur les intentions de Mr Macron qui invite malencontreusement des pensées islamophobes dans des foyers qui n’en avaient peut-être pas auparavant. Qui au prétexte d’unir, divise… Pour mieux régner. 

Au sein des réseaux d’IEF, il y a beaucoup de parents laïques, catho, musulmans, bref ! Français, qui ont choisi l’instruction en famille précisément au nom des valeurs républicaines « Liberté, égalité, fraternité », pour ne citer que celles-ci. Des valeurs dont ils estiment qu’elles sont mal, voire pas du tout, respectées à l’école de la République.

Crédit : Andrew Ebrahim

De fait, les associations ou les regroupements de famille ayant opté pour l’instruction à la maison sont souvent un bel ensemble éclectique de personnes d’horizons et d’opinions variés, comme en témoigne Armelle, l’une des co-fondatrices de l’association UNIE :

Je pense que la seule fois où l’on a pu noter une vague plus marquée de nouveaux arrivants, c’est suite aux attentats terroristes où de trop nombreuses familles ont été victimes de racisme à l’école… Chez UNIE, nous avons depuis notre création des familles de tous bords, de toutes religions, de tous partis politiques. 

Des familles dont tous les enfants font l’instruction chez eux, tandis que d’autres sont mixtes avec certains enfants scolarisés et d’autres pas. Chacun fait comme cela lui convient ! Je n’arrive pas à comprendre la notion de séparatisme qui est un terme flou et vague, dans le séparatisme j’entends plutôt une divergence d’opinions avec l’Etat…

Or, on sait très bien qu’une majorité de personnes est en désaccord avec la politique menée par le gouvernement, ça ne fait pas d’eux des terroristes en puissance ! Notre association se définit comme apolitique dans le sens où notre but est que les droits de la famille soient respectés peu importe son obédience religieuse et son parti politique. 

Le fait qu’on soit pluriels et multiples est extrêmement intéressant car cela permet aux idées d’être échangées et débattues paisiblement. Avec leurs différences, nos adhérents travaillent ensemble sous la même bannière autour d’un but commun : l’éducation et le bien-être des enfants.

Crédit : Danielle Rice

Les valeurs républicaines hors de l’école

Pour Lénie Cherino :

Pour certains parents, il est difficile d’entrevoir la liberté dans un système qui contraint les enfants à rester assis à la même place parmi 30 autres, 6 heures par jour. 

Difficile aussi de reconnaître l’égalité quand l’âge est un motif d’injonction à se taire et à poser des questions à l’adulte uniquement quand celui-ci les y autorise. 

Difficile de reconnaître la fraternité quand le regroupement par tranche d’âge et le système de notation incite à la comparaison et à la compétition. Quand échanger lors d’un temps de travail est perçu comme un acte de tricherie plutôt que comme un acte d’entraide.

Tout le monde est d’accord pour reconnaître que les conditions d’enseignement, et donc d’apprentissage dans les écoles publiques des cycles primaire et secondaire sont de plus en plus affligeantes. Le système scolaire français comporte bien des incohérences, dues pour une grande part à la négligence du gouvernement et de l’Etat. 

Je me sens profondément solidaire du personnel enseignant qui réclame plus de moyens et plus de considération. Notre famille n’a pas choisi l’IEF contre l’école mais pour vivre une autre aventure ! 

Je souhaite de tout mon cœur cultiver un lien de qualité avec l’école de ma fille. Je souhaite profondément que les écoles et les familles en IEF se côtoient et échangent. Ce serait incroyablement enrichissant pour tous le monde. 

Crédit : Ben White

Pour Thierry Pardo : 

Le monde de l’éducation est un domaine de pensées, de recherches, de pratiques dont nul ne peut prétendre détenir des réponses définitives. Quand des parents sont concentrés sur les besoins de leurs enfants, les connaissent par cœur, les devinent, il n’est quand même pas aisé d’intervenir de façon toujours appropriée et nombre d’entre nous allons nous coucher le soir avec le regret de ne pas avoir été assez patient ou attentif. 

Nous naviguons au plus juste de notre réalité familiale, des possibilités de l’environnement, nous avons confiance en notre boussole de parent. 

Ironie du sort, l’association UNIE a vu son nombre d’adhérents triplé suite au discours d’Emmanuel Macron. Avec une adhésion en prix libre et facultative, les familles et nombreux soutiens ont voulu montrer leur solidarité dans l’adversité. Et les familles pensent déjà à la suite, comme l’explique Armelle :

De nombreuses familles sont en pleurs et complètement désemparées. Nous avons désormais deux options si cette loi passe vraiment : ceux qui vont partir car ils ont les moyens de le faire, et ceux qui vont opter pour la désobéissance civile.

Également inquiètes, les écoles “hors contrat” comme les écoles Montessori et toutes les écoles alternatives redoutent de voir un durcissement des règles freiner leur développement. Mais la résistance s’organise déjà pour toutes celles et ceux qui sont convaincus du bien-fondé de la démarche.

Pour Thierry Pardo : 

Qu’un gouvernement décide qu’aucun parent sur le territoire national ne pourra plus éduquer son enfant sans école revient à entériner « l’incompétence parentale pour tous ».

L’État considère désormais qu’un parent n’est pas apte à véhiculer les « bonnes » valeurs, les « bonnes » dispositions pour la vie collective et partagée de la nation. À quand le diplôme de parent préalable à la naissance ?

Le libertaire et son drapeau noir a toujours été le paria de la mise en conformité des cités, des cadastres, des clepsydres, des boutiquiers. Il est le poil à gratter de tous ceux qui ne voit la gouvernance que comme une mise au pas, en conformité, en rang et en silence.

« Ne cherchez plus comment éduquer vos enfants, nous avons trouvé! Nous voulons votre liberté, et nous l’aurons » semblent chanter en chœur tous ceux, à droite comme à gauche, qui ne trouvent rien à redire à l’école obligatoire. 

Encore une fois, le libertaire devra reprendre la mer, hisser le pavillon noir et assumer sa condition de pirate. Ce n’est pas lui qui refuse la cité, c’est le monde des institutions, des instituteurs en chef qui criant au feu, au loup ou à la peste, profite du moment de panique qu’il a su créer pour fermer les portes de la ville et tourner ses canons vers la rue. 

Le projet de loi doit être examiné en Conseil des ministres le 9 décembre. A suivre.

La Relève et La Peste

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