Dévoilé en 2019 par le président Joko Widodo, le projet de déplacement de la nouvelle capitale indonésienne à Nusantara, sur l’île de Bornéo, est présenté comme la construction de la première “smart city” en pleine forêt tropicale. Sortie de terre en trois ans, cette nouvelle ville qui devrait accueillir deux millions d’habitants d’ici 2045 sur plus de 250 000 m2, vise à décongestionner Jakarta, une mégapole asphyxiée par la pollution et menacée par la montée des eaux. Nusantara promet d’incarner un modèle écologique moderne. Pourtant, derrière la façade prometteuse d’une capitale verte, la réalité du terrain est bien plus sombre : des milliers d'hectares de forêt tropicale sur l'île de Bornéo sont sacrifiés, entraînant des conséquences écologiques et humaines désastreuses.
Le désengorgement d’une capitale qui fait naufrage
La mégalopole de Jakarta, située sur l’île de Java, concentre 56 % de la population indonésienne. Peuplée de plus de 10 millions d’habitants, c’est l’une des capitales les plus polluées et congestionnées au monde. En plus du déséquilibre démographique et économique, la vulnérabilité climatique fait partie des raisons du projet de déplacement.
En effet, l’actuelle capitale est en proie à un affaissement des sols accéléré par l’exploitation des eaux souterraines. Un phénomène, qui couplé à la saison des pluies, un réseau d’égouts défaillant et à la montée des eaux de l’océan, provoque des inondations récurrentes.
Selon Heri Andreas, chercheur de la faculté des sciences et technologies de la Terre de l’Institut de technologie de Bandung, le mur construit le long de la côte pour protéger certains quartiers ne suffit pas et le déploiement d’une digue maritime ne permettra pas de contenir les inondations à long terme. Il préconise de dépolluer les cours d’eau de Jakarta pour freiner l’extraction de l’eau souterraine ainsi que l’enfoncement de la ville.
La ville, dont 40% se trouve déjà sous le niveau de la mer, menace d’être engloutie d’ici quelques décennies. Chaque année, elle s’enfonce jusqu’à une dizaine de centimètres, voire même quarante sur certaines zones. Le scénario catastrophe, initialement estimé pour 2050, a vu son échéance s’avancer à 2030, d’après un rapport de Greenpeace en 2021.
La promesse illusoire d’une capitale verte
Le déplacement de la capitale vise à faire de Nusantara un modèle alternatif à la capitale Javanaise. Quatre fois plus grande, Nusantara entend se positionner comme la première ville forestière intelligente au monde, alliant haute technologie et écologie, avec 75% de son espace dédié à des infrastructures vertes et une gestion énergétique optimisée grâce à des technologies avancées. L’objectif : devenir une ville futuriste, neutre en carbone, alimentée par des énergies renouvelables.
Loin de la réalité, les promesses de Nusantara semblent bien minces face aux dégâts écologiques et humains déjà constatés. La première phase de ce projet a été inaugurée en août 2024 depuis un palais présidentiel à l’architecture évoquant l’homme-oiseau Garuda, l’emblème national.
Les ONG et experts en environnement dénoncent un double-discours de la part du gouvernement indonésien qui vend un projet de ville verte en détruisant toute une biodiversité. Des centaines de milliers d’arbres ont déjà été abattus pour laisser place aux infrastructures nécessaires à l’implantation de la ville. Actuellement, de vastes plaines défrichées accueillent le chantier d’un nouveau port et d’un aéroport réservé au gouvernement.
Cette déforestation massive détruit des habitats naturels essentiels pour des espèces en voie de disparition, dont les orangs-outans. Ce symbole de Bornéo a déjà vu sa population divisée par deux en un siècle sur cette zone.
Des peuples autochtones sont également impactés. Peuplé à l’origine par plusieurs de ces communautés, l’Est de Bornéo est d’abord tombé entre les mains des industriels dans les années 90, transformant les terres en monoculture de palmiers à huile, chassant ainsi les peuples premiers.
En première ligne de cette catastrophe, ces communautés font maintenant face au chantier qui détruit leurs terrains agricoles. En plus de voir leurs terres se transformer et se détériorer, ils sont menacés de déplacement forcé et dénoncent une expropriation brutale et sans consultation préalable. Ne possédant aucun titre de propriété officiel, il est impossible pour eux de recevoir une compensation financière.
Un projet pharamineux à court de financement
Estimé à plus de 32 milliards de dollars, le projet suscite également des critiques sur son coût colossal. Dans un pays où de nombreuses régions manquent encore d’infrastructures de base, comme l’accès à l’eau potable et à l’électricité, les fonds publics pourraient être utilisés pour résoudre les problèmes urgents du pays, comme la lutte contre la pauvreté, l’amélioration des services de santé ou encore l’éducation.
Malgré sa première inauguration, cette ville fantôme n’abrite que des chantiers loin d’être terminés, qui prennent du retard. Des raisons financières en sont à l’origine, puisque seulement 20% des travaux dépendent des fonds publics. Nécessitant une compensation par des fonds privés, les investisseurs étrangers manquent pourtant à l’appel. Pour Jilal Mardhani, auteur du livre “ autocritique de l’urbanisme : une capitale pour qui ? ”, l’hésitation des entreprises s’explique par le manque de perspective.
Malgré les critiques, le gouvernement indonésien compte toujours mener à bien la construction de la nouvelle capitale. Le décret officialisant Nusantara comme capitale de l’Indonésie et actant le transfert du siège du pouvoir n’a pas encore été adopté. La signature pourrait être laissée au successeur du président, Prabowo Subianto, qui prendra ses fonctions en octobre.
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