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Incendies en Argentine: un drame, symbole de notre modèle de civilisation

Comme le dit un proverbe finlandais, « le feu est un bon serviteur mais un mauvais maître » : en voulant le supprimer totalement, nous lui avons laissé le champ libre, avec une puissance que nous ne pouvons désormais plus maîtriser.

Les alentours de Córdoba et de Rosario, deux des plus grandes métropoles argentines, ainsi que le delta du Paraná, un des réservoirs de biodiversité du pays, sont ravagés par les flammes depuis plusieurs semaines. Ces incendies incontrôlables menacent aussi bien la biodiversité que la santé humaine et nous renvoient à la nécessité de reconsidérer notre rapport au feu.

De terribles incendies

L’Argentine affronte des incendies tels qu’elle n’en avait pas connu depuis des décennies. Pour réaliser leur ampleur, il suffit de se rendre sur le site de la NASA qui répertorie tous les foyers en temps réel.

Le peu de pluie tombée il y a quelques jours n’a évidemment pas suffi à endiguer les départs de feu multiples, à proximité immédiate de Córdoba et de Rosario, les deux plus grandes métropoles argentines après Buenos Aires, mais aussi dans le delta de Paraná, un des réservoirs de biodiversité du pays.

Des centaines de milliers d’hectares sont déjà partis en fumée ; des espèces endémiques sont menacées, comme le capybara, le plus gros rongeur du monde, le chat sauvage, mais aussi d’innombrables oiseaux, insectes, amphibiens… Aux abords de Rosario, les fumées sont si denses que les humains se terrent.

Les autorités argentines et les ONG s’accordent sur le principal facteur de cette catastrophe naturelle : la sécheresse est telle que la moindre étincelle peut causer un départ de feu.

« Les rives du Paraná sont tellement sèches qu’elles mettent à nu des sols extrêmement riches en carbone et hautement inflammables. », précise à La Relève et la Peste Guillermo Defossé Turcato, écologue des feux à l’Université de Patagonie. 

Incendie dans le Nord de la Province de Cordoba – La Voz

La main visible de l’homme

Autre facteur-clé : l’accumulation de biomasse, qui créé un continuum entre les broussailles et les arbres et permet le développement de méga-feux, incontrôlables par nos moyens de lutte traditionnels (avions, hélicoptères…), malgré les images spectaculaires qu’ils produisent pour la télévision en continu.

« En Argentine, comme dans la plupart des zones où l’on connait des méga-incendies, analyse Dominique Morvan, physicien des feux de l’Université d’Aix-Marseille, les pouvoirs publics mènent des politiques de suppression totale des feux. En clair, dès qu’un incendie débute, on l’éteint. Le feu ne peut plus jouer son rôle de régulation des écosystèmes, qu’il assure pourtant depuis l’aube de l’humanité. »

Comme le dit un proverbe finlandais, « le feu est un bon serviteur mais un mauvais maître » : en voulant le supprimer totalement, nous lui avons laissé le champ libre, avec une puissance que nous ne pouvons désormais plus maîtriser.

Les incendies argentins sont aussi liés à des actions plus directes des humains. Une partie non négligeable des départs de feux provient en effet de mégots ou de feux de camp mal éteints. Mais les ONG argentines comme Greenpeace ou Taller Ecologista dénoncent surtout les ravages de l’agrobusiness, comme elles l’ont détaillé au Guardian

« Une pathologie socio-écologique »

« Nous sommes passés d’une pratique agro-pastoral, explique Dominique Morvan, avec un grand savoir-faire et une maîtrise du feu comme outil d’aménagement de l’environnement, à un élevage intensif sur d’énormes surfaces, où le feu est propagé par hélicoptère pour pouvoir nourrir les bêtes. La tradition orale s’est perdue en cours de route, ce qui aboutit parfois à des comportements désastreux…»

Pour Guillermo Defossé Turcato, le risque d’incendies graves est devenu « une pathologie socio-écologique », complexe et multi-factorielle. Il se réfère ainsi aux travaux de chercheurs du monde entier, notamment américains et australiens – deux pays où les méga-feux sont de plus en plus nombreux.

« Le nombre d’habitations construites dans des zones périurbaines (wildland urban interfaces-WUI) à haut risque d’incendie a explosé ces dernières décennies, même en Patagonie ! Contrairement aux inondations ou aux cyclones par exemple, les habitants sont très peu conscients du potentiel de catastrophe liée à l’élément feu, alors que leur environnement y est surexposé. »

C’est le cas aussi en Europe, où les incendies de grande ampleur se multiplient, du sud de la France à la Corse, du Portugal à la Grèce, de plus en plus près des villes.

Source

Comprendre et réhabiliter le feu

Pour limiter la survenue de ces méga-incendies, il n’y a pas de solution miracle…

« Pour réduire le risque, détaille Dominique Morvan, il faut d’abord appréhender le rôle du feu dans un écosystème, perturbé par les politiques de suppression. Il faut aussi comprendre ce qu’on appelle « le triangle du feu », trois facteurs interdépendants qui déterminent la puissance d’un incendie : les conditions météorologiques (pluie, vent, température de l’air…), la topographie du terrain (plus la pente est forte, plus l’incendie se propage vite) et la quantité de biomasse. On voit bien que le seul facteur sur lequel nous puissions réellement agir, pour prévenir, c’est la régulation de la biomasse, en réapprenant aux différents acteurs à vivre avec le feu et à l’utiliser à nouveau comme un outil d’aménagement du territoire… »

Pour Guillermo Defossé Turcato, « nous pouvons aussi agir en sensibilisant les populations des zones périurbaines aux risques qu’elles encourent, qui augmentent avec le dérèglement climatique, et limiter l’expansion des villes dans ces interfaces vie sauvage – vie urbaine. Cela ne règle pas les feux qui résultent des mauvaises pratiques agricoles et de l’agro-business – qu’il faudrait aussi pouvoir réguler – mais cela limite les autres facteurs qui s’y conjuguent. »

L’écologue argentin des feux conclue : « C’est difficile à entendre pour des citoyens qui voient leurs proches mourir ou leurs maisons partir en fumée, mais nous devons cesser de voir le feu comme un ennemi. Nous devons lui redonner sa place de facteur naturel, nécessaire à l’équilibre des biotopes, et nous devons réapprendre à vivre avec lui. »

Flora Clodic-Tanguy

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