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Ile Maurice : Manifestation historique suite à la découverte de 39 cétacés morts après la marée noire

« Nous ne faisons pas confiance au gouvernement et aux informations qu'il nous fournit au compte-goutte concernant sa gestion et ses réactions à la marée noire. » a déclaré Fabiola Monty, spécialiste de l'environnement, selon TheGuardian

Il n’en fallait pas plus pour jeter le feu aux poudres : des dizaines de milliers de Mauriciens ont investi les rues de Port-Louis samedi 29 août suite à la découverte d’une quarantaine de cétacés morts ou agonisants sur la côte sud-est de l’île, à quelques kilomètres du lieu du naufrage du pétrolier Wakashio. Alors que le gouvernement a pour l’instant réfuté tout lien entre les deux événements, le peuple mauricien l’accuse d’incompétence et de mensonges.

Une catastrophe écologique sans précédent

Entre 50 000 et 75 000 personnes se sont regroupées samedi en fin de matinée sur la place de la cathédrale, en plein cœur de la capitale pour dénoncer la gestion par le gouvernement de la marée noire qui a ravagé la côte sud-est de leur île au début du mois.

Avec une longueur de 300 m, le Wakashio faisait partie des 1% des plus grands navires au monde, plus long que le Titanic, et proche en taille d’un grand porte-avions américain. Les citoyens exigent une véritable enquête pour comprendre les causes et les responsables du naufrage du Wakashio,  qui transportait 3 800 tonnes d’huile lourde et 200 tonnes de diesel, mais aussi la mort d’une quarantaine de cétacés retrouvés près du site.

Près de 1 000 tonnes de fioul se sont déversées dans un sanctuaire pour la biodiversité après que le vraquier japonais m/v Wakashio ait heurté un récif de corail à Pointe d’Esny le 25 juillet : « la pire catastrophe écologique » qu’ait jamais connue l’île Maurice, selon Greenpeace Afrique.

Et pour cause, le fuel qui s’est échappé du bateau a gravement pollué une forêt de mangroves de la zone humide d’Esny, qui abrite de nombreux papillons rares et protégés, ainsi que le parc marin de Blue Bay, habitat du plus grand corail-cerveau connu de la planète avec ses 7 mètres de large, organisme vieux de plus de 1000 ans. Les satellites de l’ONU ont révélé que plus de 30 km de plages, de mangroves et de côtes de Maurice ont été « sévèrement touchées ».

Les manifestants ont exigé la démission du Premier Ministre Pravind Jugnauth, avec le slogan en créole « Lév paké aller » (« quitte le pouvoir »). La majorité de la population estime que le gouvernement n’a pas su anticiper l’ampleur de la catastrophe et a trop tardé pour organiser le pompage du fioul. En effet, le navire est resté échoué sur le récif du 25 juillet au 6 août, jour auquel le premier réservoir de carburant s’est rompu.

Le Wakashio échoué – Scubadiver Magazine

« La première réaction qui a été de déployer des boudins flottants pour absorber le pétrole était inadéquate. Le gouvernement avait deux semaines pour commencer à pomper le carburant, mais a refusé d’agir jusqu’à ce que le pétrole ne commence à fuir. Les trois quarts du carburant ont pu être récupérés et un quart s’est déversé dans la mer, soit environ 1 000 tonnes. Si des mesures avaient été prises dès le premier jour, le déversement aurait pu être entièrement maîtrisé et le carburant retiré. » explique ainsi Sea Shepherd France dans un communiqué

Pour l’organisation de protection des océans, il est clair que ce triste naufrage est le résultat d’une « stupidité humaine et d’une grave négligence ». Interrogé par radio, le capitaine Sunil Kumar Nandeshwar aurait assuré aux garde-côtes mauriciens inquiets que son cap était sûr et qu’il n’y avait aucun danger. Quelques minutes plus tard, le Wakashio heurtait le récif, et sa coque s’écrasait sur le corail à une vitesse de 11 nœuds. Il n’avait pas ralenti. Depuis le capitaine du navire et son second ont été arrêtés. Ils risquent 60 ans de prison.

Pire encore, les autorités mauriciennes ont finalement décidé de délibérément couler le navire, après avoir concerté trois experts envoyés par le gouvernement français, dans une zone inconnue du grand public. Ce manque de transparence a provoqué la colère des citoyens.

« De toutes les options disponibles, le gouvernement mauricien choisit la pire. Le naufrage de ce navire risque de mettre en péril la biodiversité et contaminer l’océan avec de grandes quantités de toxines de métaux lourds, menaçant également d’autres zones, notamment l’île française de La Réunion. Les Mauriciens n’avaient rien à gagner à la traversée du MV Wakashio et sont désormais priés de payer le prix de cette catastrophe. Plus de pollution met également en péril leur économie basée sur le tourisme et leur sécurité alimentaire à base de poisson. » a ainsi déclaré Happy Khambule, Senior Climate and Energy Campaign Manager de Greenpeace Afrique

La mort d’une quarantaine de cétacés

La marche de samedi a été organisée à l’appel d’un citoyen, Jean Bruneau Laurette, devenu populaire pour avoir osé s’opposer à Pravind Jugnauth dans cette affaire. Cet expert en sécurité maritime estime que le gouvernement a caché la vérité sur les circonstances de la marée noire, et a aussi porté plainte contre les ministres de l’économie bleue et de l’environnement.

Selon les premières autopsies réalisées sur deux cétacés par le gouvernement, il n’y aurait aucune présence d’hydrocarbures dans leur corps, ce qui écarterait le lien avec la marée noire du Wakashio. Une thèse improbable pour les citoyens mauriciens qui demandent une nouvelle autopsie en présence d’experts indépendants et de représentants de la société civile.

« Nous ne faisons pas confiance au gouvernement et aux informations qu’il nous fournit au compte-goutte concernant sa gestion et ses réactions à la marée noire. » a déclaré Fabiola Monty, spécialiste de l’environnement, selon TheGuardian

Face aux tergiversations des autorités, c’est la population de Maurice qui avait dû s’exposer en première ligne pour limiter la pollution en fabriquant des boudins à partir de canne à sucre et de cheveux, risquant sa santé à tenter de récupérer le fioul à l’aide de pelles, de seaux et de chiffons.

Les images et vidéos des mammifères marins morts ou à l’agonie ont augmenté la colère des insulaires qui se sont senti ignorés par les décisions gouvernementales, alors qu’ils ressentent fortement leur interdépendance avec la nature.

Pour vivre, les habitants de l’Ile Maurice dépendent effectivement du tourisme, de la pêche et de leur environnement, en particulier les systèmes de récifs coralliens qui agissent comme une barrière naturelle à l’érosion côtière. Tous les trois ont été négativement impactés par la marée noire et les opérations de sauvetage qui ont suivi.

Rassemblement du samedi 29 août – Ecosud

« Aucun rassemblement n’avait réuni autant de monde sur l’île depuis le meeting ayant suivi la victoire de l’opposition aux législatives de 1982. Cet événement avait marqué la fin de l’ère Seewoosagur Ramgoolam, qui avait conduit l’ex-colonie britannique à l’indépendance en 1968 avant d’en devenir le premier chef de gouvernement. » précise un article du Monde

Regroupant toutes les composantes de la société mauricienne dont beaucoup de femmes et de jeunes, la plupart des manifestants étaient vêtus de noir pour rappeler les ravages de la marée noire. Le cortège de dizaines de milliers de personnes a exprimé sa colère face à aux graves conséquences écologiques et économiques du désastre, mais aussi contre la corruption, les inégalités sociales, et l’accaparement du pouvoir par certaines familles avec un régime considéré comme étant de plus en plus autoritaire.

Les résultats de l’autopsie de 25 dauphins qui ont été retrouvés échoués mercredi et jeudi sont attendus dans les prochains jours, selon Jasvin Sok Appadu du ministère des Pêches. Les citoyens mauriciens ont de leur côté une prochaine manifestation déjà prévue le 12 septembre à Mahebourg.

Crédit photo couverture : Beekash Roopun / L’Express Maurice / AFP

Laurie Debove

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