C’est une première : deux exploitants d’éoliennes ont été condamnés au pénal pour destruction d’espèces protégées. Un verdict que les défenseurs de la biodiversité espèrent dissuasif.
Les jugements du tribunal de Montpellier représentent une première au niveau pénal contre des exploitants d’éoliennes en France. Le 7 avril, la société EDF Renouvelables et 9 de ses filiales ont écopé d’une peine de 5 millions d’euros d’amende – dont 2,5 millions ferme – pour avoir illégalement construit 31 éoliennes ayant causées la mort d’au moins 160 animaux de diverses espèces protégées.
Le 9 avril, ce même tribunal a condamné la société Énergie renouvelable du Languedoc (ERL), filiale du groupe Valeco, qui exploite le parc éolien de Bernagues, dans le nord du département.
L’entreprise a été jugée responsable de la mort d’un aigle royal et condamnée à 200 000 euros d’amende, dont 100 000 avec sursis. Les deux sociétés ont annoncé faire appel de leur condamnation.
Des espèces menacées tuées par des éoliennes
Le parc éolien d’Aumelas, dans l’Hérault, compte 31 éoliennes. Depuis plus de 10 ans, des associations dénonçaient l’implantation de celles-ci dans une zone classée Natura 2000, riche en biodiversité et particulièrement importante pour les rapaces.
Ces associations pointaient également le contournement de la législation encadrant la destruction d’espèces protégées par le groupe EDF Renouvelables : ce dernier n’ayant pas demandé de dérogations.
Au total, selon France Nature Environnement Occitanie – Méditerranée, 160 cadavres d’espèces protégées ont été retrouvés sous les éoliennes entre 2017 et 2021 : ils appartenaient à 20 espèces d’oiseaux et 7 espèces de chauves-souris.
Parmi elles, l’un des rapaces les plus rares de France : le faucon crécerellette. Ce petit rapace migrateur avait frôlé l’extinction en France dans les années 1990 et ne serait aujourd’hui représenté que par 750 couples dans l’hexagone.
Mais pas moins de 65 d’entre eux ont été tués par les éoliennes d’Aumelas entre 2017 et 2023 : un chiffre qui ne représenterait qu’un tiers du total des faucons crécerellettes tués : la plupart des cadavres n’étant pas retrouvés selon des experts du CNRS de Montpellier et France Nature Environnement Occitanie-Méditerranée.
Le parc éolien de Bernagues, dans le nord de l’Hérault, avait quant à lui causé la mort d’un aigle royal – une espèce rare et protégée – en 2023. L’enquête de l’Office français de la Biodiversité (OFB) avait révélé un « dysfonctionnement du système de détection des oiseaux » .
Faucon crécerellette – Crédit : Rémi Rufer via Flickr
L’impact des éoliennes sur les populations d’oiseaux
Si ces deux condamnations mettent en évidence les destructions d’espèces protégées dues à des pratiques illégales, elles permettent aussi de pointer plus largement l’impact des parcs éoliens sur l’avifaune :
« Les impacts des éoliennes sont très variables en fonction de leur emplacement, explique l’ornithologue Maxime Zucca, co-auteur de notre livre-journal ANIMAL, pour La Relève et La Peste. Les parcs installés sur les cols, par lesquels passent les oiseaux migrateurs, vont par exemple avoir un fort impact. »
Le naturaliste explique aussi que l’impact de la mortalité due aux éoliennes varie en fonction des espèces et de la dynamique de chaque population. Celles des espèces de rapaces, qui se reproduisent beaucoup moins fréquemment que d’autres oiseaux – avec moins de petits par couples – sont ainsi plus fragilisées par la mort d’individus.
Enfin, Maxime Zucca rappelle que l’impact des parcs éoliens doit être appréhendé à large échelle : « Il y a un cumul de parcs, explique-t-il à La Relève et La Peste. Il faut dézoomer et penser à l’échelle de tous les parcs qui sont installés dans la région. Ça fait quand même une série de barrières qui commencent à être importantes pour les oiseaux. »
Enfin, l’ornithologue pointe un autre impact des éoliennes plus rarement évoqué car moins visible que les collisions : la perte d’habitat.
« Les rapaces cherchent quand même à éviter les parcs, explique-t-il à La Relève et La Peste. Il y a toujours un ou deux individus qui passent au mauvais endroit et qui se font tuer. Mais la majorité des aigles royaux par exemple, vont éviter les zones d’éoliennes. Finalement, cela supprime l’habitat de l’aigle royal local qui va déménager ou réduire son territoire de chasse, et donc moins pouvoir se nourrir. Cela amoindrit aussi les possibilités de se reproduire, et donc le renouvellement des populations. Cette mortalité indirecte est très importante. »
Si l’impact des éoliennes sur l’avifaune est bien réel, France Nature environnement Occitanie-Méditerranée rappelle néanmoins son attachement au développement des énergies renouvelables.
« Notre mouvement est pionnier dans la promotion du développement des énergies renouvelables pour décarboner et dénucléariser le mix énergétique, a déclaré Simon Popy Président de France Nature Environnement Occitanie-Méditerranée dans un communiqué de presse. Mais produire de l’énergie renouvelable ne doit pas se faire au détriment de la biodiversité ».
Aigle royal (Aquila chrysaetos) sauvage en vol à Pfyn-Finges (Suisse). – Crédit : Laurent Giles – Wikimedia Commons
Des condamnations dissuasives ?
Les deux condamnations par le tribunal de Montpellier sont lourdes de conséquences pour les deux parcs éoliens : EDF Renouvelables et chacune de ses 9 filiales exploitant le site d’Aumelas ont écopé de 500 000 euros d’amende chacune, dont 250 000 avec sursis.
Bruno Bensasson, ancien PDG d’EDF Renouvelables, a quant à lui été condamné à de six mois de prison avec sursis et à 100 000 euros d’amende – dont 30 000 avec sursis – Ils devront également verser 80 000 euros pour le préjudice écologique.
En plus de ces 2,5 millions d’euros fermes d’amende, les condamnés doivent verser, 114 000 euros de dommages et intérêts à FNE Occitanie-Méditerranée au titre du préjudice moral et la même somme à sa maison mère : France Nature Environnement.
Enfin, ils devront verser 74 087 euros à l’Etat, au titre de réparation du préjudice écologique. Le tribunal a également suspendu pour quatre mois l’activité du parc éolien d’Aumelas.
En plus de sa condamnation à 200.000 euros d’amende, dont 100.000 avec sursis, le parc éolien de Bernagues à quant à lui écopé d’une suspension d’activité pour une durée d’un an : avec exécution provisoire « pour éviter la réitération de l’infraction ». François Daumard, président de Valeco a également écopé d’une amende de 40.000 euros, dont 20.000 avec sursis.
Pour les associations de protections de la nature et des naturalistes, cette condamnation pourrait avoir un effet dissuasif :
« Les développeurs éoliens cherchent absolument à éviter ces dérogations parce que ça leur prend du temps et ça les oblige à mettre en place des mesures de compensation, explique l’ornithologue Maxime Zucca. Ils mettent donc la pression aux services de l’État pour faire passer leurs parcs sans dérogations.
Ils prennent le risque derrière, de se faire attaquer en justice, mais ils préfèrent prendre ce risque : on espère qu’avec ce genre de jugement, les prochains ne feront plus ça. C’est vraiment l’enjeu » conclut-il.