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Hauts-de-France : un projet de canal prévoit une méga-bassine colossale de 14 000 m3

Les opposants au projet redoutent des « conflits d'usage de l'eau », à l'heure où l'accaparement de cette ressource fait de plus en plus débat. D'autant que 14 millions de m3 d'eau, « c'est 22 fois la bassine de Sainte-Soline ».

Dans les cartons depuis près de 40 ans, le projet de canal Seine-Nord Europe entend décarboner le transport de marchandises grâce au fret fluvial. Un projet qui, pourtant, inquiète tout particulièrement les militants pour la préservation de l'environnement.

Île-Saint-Denis, mai 2024. Dans les rues de la commune de Seine-Saint-Denis, en banlieue parisienne, des centaines de manifestants défilent contre Green Dock, un projet d’entrepôt logistique XXL. Parmi eux, Pana* a fait le déplacement depuis Compiègne (Oise) pour « montrer [sa] solidarité avec tous ceux qui luttent contre les grands projets inutiles et destructeurs », dit-elle.

Depuis Compiègne, où elle est étudiante, la jeune femme fait partie du collectif « Méga canal non merci », qui lutte contre un projet colossal, le canal Seine-Nord Europe. Long de 107 kilomètres pour une largeur de 54 mètres, ce canal artificiel, dont le budget est estimé à 5,1 milliards d’euros, doit relier Compiègne (Oise) à Aubencheul-au-Bac (Nord), dans les Hauts-de-France.

L’objectif : que le canal, en projet depuis près de 40 ans, constitue le maillon central de la liaison fluviale Seine-Escaut, et rende ainsi possible la circulation de péniches à grand gabarit entre la France, la Belgique et les Pays-Bas, ce que l’actuel canal du Nord, trop petit, ne permet pas.

Un projet écologique ?

Soutenu par l’Union européenne (UE), l’État et les collectivités territoriales, et porté par la Société du Canal Seine-Nord Europe (SCSNE), le canal se veut avant tout être un « outil qui contribuera à la transition écologique et énergétique », entame la SCSNE pour La Relève et La Peste. Il a pour objectif la décarbonation du transport grâce au développement de la part du transport fluvial dans les échanges de marchandises dans les Hauts-de-France », poursuit le porteur de projet.

De fait, les bateaux de fret fluvial destinés à naviguer sur le canal, d’une longueur maximale de 185 mètres, pourront « transporter jusqu’à 4 400 tonnes de marchandises chacun [contre 800 tonnes de marchandises sur l’actuel canal du Nord, NDLR], soit l’équivalent de 220 camions », détaille le porteur de projet via son site, avec, « à la clé, un bilan carbone qui démontre, sur 40 ans, une économie de plus de 50 millions de tonnes de CO2 ».

Sans compter les atouts économiques du projet, continue la Société du Canal pour La Relève et La Peste, pour qui « la compétitivité apportée par le fluvial, mode économique grâce à la massification des marchandises, va pérenniser les activités des territoires et donc l’emploi ».

Une mégabassine de 14 millions de m3

Présenté comme une alternative écologique au transport routier de marchandises, le canal, qui va nécessiter la construction de sept écluses, trois ponts-canaux et 62 franchissements routiers et ferroviaires, inquiète pourtant les militants pour la préservation de l’environnement. Réunis au sein du collectif Méga canal non merci, ces derniers s’insurgent d’abord de la quantité d’eau nécessaire au projet.

De fait, si le canal sera alimenté par la rivière Oise, « dont le débit est suffisant plus de 90% du temps », assure la Société du canal pour La Relève et La Peste, et qu’« aucun prélèvement ne sera effectué dans les nappes phréatiques », une réserve de 14 millions de m3 doit être creusée dans la vallée de Louette, à Allaines (Somme), afin d’assurer l’alimentation en eau du canal « en période de trop faible débit de l’Oise, particulièrement l’été ou en période de sécheresse ».

Une mégabassine qui inquiète les membres du collectif Méga canal non merci, à l’image d’Élias. Étudiant, comme Pana, à l’Université de technologie de Compiègne (UTC), ce dernier s’interroge :

« La mégabassine a notamment été pensée pour des épisodes exceptionnels de sécheresse, mais ces derniers vont se multiplier, comme le rappelle le Giec, insiste-t-il. A ce moment-là, la mégabassine sera-t-elle suffisante ? S’il y a deux années de sécheresse successive, qu’est-ce qu’on fait ? ».

Une situation à laquelle la Société dit avoir réfléchi, assurant pour La Relève et La Peste que « compte-tenu des effets prévisibles du changement climatique, des marges de sécurité importantes ont été intégrées dans les études de dimensionnement du schéma d’alimentation en eau ».

Pas de quoi rassurer pour autant les opposants au projet qui, à l’image d’Élias, redoutent des « conflits d’usage de l’eau », à l’heure où l’accaparement de cette ressource fait de plus en plus débat. D’autant que 14 millions de m3 d’eau, « c’est 22 fois la bassine de Sainte-Soline », s’insurgeait Julien Le Guet, porte-parole de Bassines non merci, auprès de nos confrères de Blast.

Des compensations qui interrogent

Répartis sur différentes communes le long du tracé du canal, les militants opposés au projet s’inquiètent également de l’impact du canal sur les zones humides et agricoles. Tandis que dans le cadre de la démarche Éviter – Réduire – Compenser (E-R-C), la Société du canal prévoit de réaliser plus de 1 200 hectares d’aménagements environnementaux dédiés à la biodiversité – à commencer par la plantation de 850 000 arbres, ainsi que la création d’une soixantaine de sites de compensation et de 25 kilomètres de berges écologiques –, ces compensations interrogent.

« Des zones de compensation, c’est bien, mais quelle sera leur efficacité ? » questionne Pana, bientôt rejointe par Élias : « ils disent que chaque zone impactée va être remplacée par une zone de compensation, mais ces zones ne remplacent par les écosystèmes anciens qui vont être détruits et qui prennent des années à se reconstituer », déplore ce dernier.

Des interrogations renforcées par le fait que le canal risque d’impacter l’habitat de nombreuses espèces, à l’image du papillon cuivré des marais, du crapaud calamite ou de la rainette verte.

L’impératif de sobriété mis à mal

Face à ce projet colossal, une première manifestation a été organisée à Compiègne en décembre dernier, suivie d’une soirée d’information à Lille à la mi-juin. Une nouvelle journée de mobilisation est désormais attendue à la rentrée. L’occasion, espèrent les militants, de sensibiliser la population à ce projet qui « répond aux besoins d’un autre temps, insiste Élias. Et comme Green Dock, le projet de canal Seine-Nord Europe se part d’un verni écologique alors qu’il ne fait qu’aller dans le sens d’un accroissement des flux, avec toujours plus de marchandises. »

Et à Pana de renchérir : « on n’est pas contre le fluvial, au contraire, mais contre ce projet démesuré qui va engendrer des dégâts énormes sur l’environnement, sans compter qu’il coûte extrêmement cher. Les recommandations du Giec disent qu’il faut aller vers plus de sobriété et avec ce type de projets, on fait tout l’inverse. »

Pour l’heure, suite à l’enquête publique qui s’est achevée en avril dernier, la commission d’enquête environnementale a donné un avis favorable pour le secteur entre Compiègne et Passel, dans l’Oise, soulignant néanmoins plusieurs réserves et recommandations au sujet, entre autres, de l’eau et de la biodiversité.

Des recommandations dont la Société assure qu’elle « tiendra compte », alors que de leur côté, les militants au canal continuent à se mobiliser contre l’ensemble des projets qu’ils estiment délétères pour la préservation des ressources en eau.

Une partie d’entre eux sera notamment présente ce mois de juillet dans le Marais-Poitevin, à l’appel des Soulèvements de la terre, pour manifester contre les méga bassines.

* Le prénom a été modifié.

Cecile Massin

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