Au Sud de Toulouse, sur le Canal du Midi, environ 75 bateaux sont habités à l’année. L’une de leurs grandes problématiques est la gestion des eaux noires, notamment celles des toilettes. Celles-ci se trouvent généralement rejetées dans le Canal, pourtant classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Une problématique dont s’est saisie l’association Picojoule, spécialiste des questions d’énergie et de traitement des déchets.
Crée en 2012, celle-ci se déploie sur 3 pôles : Animation & sensibilisation, Formation, Recherche & développement. Constituée de salariés, de bénévoles et de volontaires en Service Civique, l’association s’emploie à étudier la méthanisation et à publier sur son site internet toutes ses recherches en libre accès. Entretien avec Félix Dupuy, ingénieur de formation et salarié de Picojoule, afin de comprendre le projet d’autonomie pour les bateaux logements du Canal du Midi.
Les toilettes sèches
« Le point de départ, c’est lorsqu’on a constaté que les habitants sur les bateaux n’avaient pas vraiment de solutions pour le traitement de leurs toilettes », commence Félix Dupuy. « Actuellement, la plupart sont contraints d’utiliser des WC semi-broyeurs, ce qui relâche les déchets dans le Canal et pose des problèmes au niveau de la propreté et des pathogènes. Cette solution ne convient pas non plus aux habitants des bateaux d’ailleurs, d’où notre idée de généraliser l’utilisation des toilettes sèches ».
À l’aube du projet, les membres de Picojoule ont d’abord constaté que certains habitants des bateaux avaient déjà essayé les toilettes sèches, avant de cesser de les utiliser. Ils ont voulu comprendre pourquoi.
« Le point bloquant est souvent : qu’est-ce que je fais lorsque mes toilettes sont pleines ? », précise Félix Dupuy. « Il y a des stations de compostage, mais les gens se voient mal faire toutes les semaines plusieurs centaines de mètres avec leur seau de caca… ».
C’est ainsi qu’émerge la deuxième partie du projet : la collecte. Il s’agit de mettre en place une petite navette fluviale qui va venir récupérer auprès de chaque bateau les litières, l’urine et éventuellement les biodéchets. La collecte doit ensuite être transmise à un vélo et sa remorque pour parcourir les dernières centaines de mètres jusqu’aux unités de méthanisation de Picojoule.
La méthanisation
« Pour traiter ces toilettes sèches, on propose de les méthaniser », explique Félix Dupuy. « Actuellement, la seule manière de traiter les toilettes sèches est par compostage. La méthanisation, c’est comme un compost, mais dans une cuve fermée. Vu qu’il n’y a pas d’oxygène, les micro-organismes qui vont se développer vont dégrader de la matière. Et au lieu de libérer de la chaleur comme dans le compostage, ils vont libérer de l’énergie sous forme gazeuse ».
Cette forme gazeuse est le biogaz, qui est constitué de méthane, un gaz inflammable qui libère de l’énergie. En méthanisant ces toilettes sèches, Picojoule va d’un côté créer du biogaz, et de l’autre, la matière qui sera digérée servira de fertilisant agricole.
« Ça tombe bien, une ferme agroécologique est en train de se construire à 500m de Picojoule… » note au passage Félix Dupuy.
Quant au gaz, il sera stocké, comprimé, mis en bouteille et redistribué aux habitants des bateaux. Ce qui constitue là aussi un impact positif.
Plus de sécurité
Actuellement, le gaz utilisé sur les bateaux est du propane, servant principalement pour la cuisine et le chauffage. Cependant il s’agit d’un gaz fossile, donc nocif pour l’environnement.
D’autre part, le propane est un gaz plus lourd que l’air. Ainsi, en cas de fuite, il vient se stocker sous le plancher au fond des cales des bateaux, où il devient pratiquement impossible à enlever. À la moindre étincelle, le bateau explose.
« C’est une grosse problématique pour les habitants des bateaux. Il y a un an et demi, un bateau a explosé dans le coin, et c’est un phénomène assez fréquent. L’avantage du biogaz, c’est qu’il est plus léger que l’air. En cas de fuite il va se coller au plafond…et sur les bateaux il y a souvent des ventilations au plafond ».
Un projet créateur de liens
Le projet s’étend sur 3 ans.
« On est à la fin de la 1e année. En 2022 l’objectif était de construire le projet, rencontrer les parties prenantes et trouver des financements. On a eu un financement de la Région pour l’accueil de volontaires en Service Civique, pour leur faire découvrir le milieu de l’environnement ».
Autour de ce projet vont en effet se fédérer diverses associations et entreprises : Ecosmose sur les toilettes sèches, Vélorution sur le travail du métal, Le 100e Singe sur l’agriculture urbaine, l’association de quartier Caracole, Un Petit Coin de paradis sur la fabrication des toilettes sèches… Rejoindre Picojoule permettra donc à ces jeunes de se familiariser avec plusieurs acteurs du secteur de l’environnement.
La 2e année verra le début de l’expérimentation avec 10 bateaux. Celle-ci s’étendra en 2024 aux autres bateaux du Canal situés dans un rayon d’1km autour de Picojoule, soit une centaine de personnes concernées. Fin 2024, l’objectif est que l’expérimentation se pérennise et soit autonome financièrement.
Avec sa démarche open source, cette recherche de solutions durables, créatives et peu coûteuses en énergie, Picojoule se pose comme l’un des acteurs centraux du réseau low-tech de Toulouse. C’est donc tout naturellement que le projet d’autonomie des bateaux du Canal a aussi pour ambition d’être créateur de lien social.
« La remorque du vélo sera fabriqué via un chantier participatif ouvert aux habitants des péniches et du quartier. Beaucoup sont intéressés pour apprendre la soudure, puisqu’ils en ont souvent à faire sur les bateaux. Et enfin, nous prévoyons d’organiser des évènements pour sensibiliser et promouvoir l’utilisation des toilettes sèches ».