Face à l’arrachement systématique des haies et la disparition des arbres dans les champs, l’association « Des enfants et des arbres » organise des chantiers de plantation d’arbres par les enfants auprès d’agriculteurs pour les reconnecter au vivant et recréer du lien entre la jeune génération et les gardiens de nos communs.
Entre 1955 et 1975, la France a connu son plus grand remembrement. Sur 2 millions de kilomètres de haies, plus des trois quarts ont été arrachés pour parachever ce que l’on a nommé la modernisation de l’agriculture. Les paysages ruraux ont subi de profondes transformations dont a découlé un écroulement de la biodiversité.
En effet, l’arbre, génie de la vie, symbole de l’enracinement mais aussi du lien entre le ciel et la terre est en quelque sorte le couteau suisse du vivant. Il permet des microclimats favorables aux cultures, nourrit et protège les animaux, coupe du vent, stocke le carbone et surtout est un moteur de biodiversité incroyable.
Pourtant, chaque année la France perd 8500km de haies alors même qu’il faudrait en planter 25 000km par année d’ici à 2050 pour atteindre les objectifs des Accords de Paris. On constate que seuls 3000 km sont actuellement plantés et 10 000 continuent d’être arrachées.
Face à cet écocide patent, des acteurs se réunissent pour recréer du lien entre ces trois piliers fondamentaux à la préservation du vivant et de son bon fonctionnement que sont les enfants, citoyens de demain, les agriculteurs et l’Arbre. Parmi eux, on peut citer l’association « Des enfants et des arbres », fondée par Marie-France Barrier. Son projet : faire participer des enfants à des chantiers de plantation d’arbres auprès d’agriculteurs pour les reconnecter au vivant et recréer du lien. Voici son interview.
LR&LP : Quel est le but de l’association « Des enfants et des arbres » ?
Marie-France Barrier : L’idée est de créer une synergie vertueuse entre une jeune génération qui a besoin de croire en l’avenir, de s’engager et de se reconnecter au vivant et un monde agricole qui a besoin d’être soutenu pour se ré-inventer, d’être supporté financièrement, émotionnellement, techniquement pour évoluer dans ses pratiques et ses habitudes. Enfin, d’engager une synergie avec l’arbre, le génie de la vie et notre meilleur partenaire pour demain.
LR&LP : Quelle est l’importance de créer du lien entre eux ?
MF B. : Parce qu’il y a une trinité entre les enfants, les agriculteurs et l’arbre. La jeune génération représente les dirigeants, consommateurs et parents d’élèves de demain. En un mot, l’avenir. Le monde agricole est le socle de notre civilisation. Il nous parle de collectif au sens large. C’est lui qui nous nourrit et garantit de la qualité de notre eau, de notre air, de notre paysage. L’arbre, parce qu’il n’y a pas eu de passé sans arbre et nous, sapiens, on est ce que l’on est grâce à l’arbre et il n’y aura pas de futur sans lui.
C’est cette idée qu’ensemble, ils créent des solutions et des dynamiques pour avancer main dans la main. Les enfants ont besoin d’être reconnectés à leur alimentation ainsi qu’à leur capacité de changer les choses.
Le projet est né quand j’ai fait le film « Le temps des arbres » quand des acteurs importants ont posé des diagnostics et pressenti que l’arbre était la solution. Ils nous amènent des clés très fortes socialement, économiquement et écologiquement. Ils mettent en avant le fait que l’on n’a plus à choisir entre produire et protéger mais que l’on peut faire les deux en même temps. Ensuite, il faut réfléchir à la manière de le mettre en place et d’en faire une évidence collective. C’est le moment où la prise de conscience se transforme en action. Comment la vivre et non plus seulement la penser.
Selon moi, le monde agricole est le reflet de la société autant dans ses difficultés que dans ses avancées. Il s’agit de nous en tant que collectif. La société reprendra racine quand le monde agricole aura retrouvé sa juste place au sein du collectif et se sera réconcilié avec la nature. Il en découlera vitalité, confiance, estime de soi.
Les enfants sont des acteurs de ce changement. Le monde agricole sait qu’il a des pratiques nocives pour lui mais il n’arrive pas à les changer. Un des principaux freins à la transition écologique c’est l’Agribashing. Le fait qu’il y ait une lecture polarisante entre l’agriculteur en conventionnel et l’agriculteur en bio alors que la réalité est beaucoup plus complexe et subtile.
Si l’on remet l’agronomie au cœur du sujet à savoir la vie des sols ; tu peux être bio et avoir des sols morts puis tu peux être en conventionnel et avoir des sols vivants. Pour dépolariser le débat, il faut que chacun sorte de ses positions dogmatiques.
Je pense que certains grands conventionnels aimeraient changer mais ils se sentent attaqués et jugés. Il faut commencer par s’exprimer à l’autre avec empathie. Et quand tu l’exprimes sincèrement, elle débloque quelque chose dans le cœur et rend accessible de nouvelles connaissances au cerveau.
A mon sens, beaucoup d’agriculteurs seraient aptes à changer mais cette vision clivée les en empêchent. Parler de planter des arbres etc. ce serait un truc d’écolo-bobo alors que non. C’est prendre soin de son outil de travail, le sol. Mon diagnostic est passé par le fait d’amener cette vision de manière non frontale qui serait le lien à l’autre car la solitude est l’un des autres malheurs du monde agricole.
La réflexion tourne autour de comment recréer autour de ces enjeux un moment de convivialité, de solidarité de rencontre où chacun est valorisé. Les agriculteurs vis-à-vis de leur travail effectué sur le territoire et les enfants dans leur action. Parce que finalement en venant planter des arbres, ils vont en planter 200 et faire qu’il y ait un avant et un après.
Quel est le profil des agriculteurs avec qui vous travaillez ?
MF B. : En bio, en conventionnel. Même si c’est une réalité, la majorité est en bio. On en a aussi une bonne partie en agriculture de conservation qui se donne comme mission de ne plus labourer les sols pour prendre soin de la vie souterraine.
Ces agriculteurs produisent souvent de façon industrielle, c’est à dire sur des 300/400 hectares. Ils peuvent utiliser encore un peu de produits mais ils tendent à introduire les principes de la permaculture. Ils essayent de trouver comment les appliquer à des parcelles dites industrielles. Ici, il y a un nouveau pan de connaissances à créer.
Pour nous, l’idée, c’est de les accompagner dans cette démarche. On va faire de la pédagogie au monde agricole, on va les aider à se ressaisir de ces connaissances qui ont disparu en 70 ans.
Parce qu’en terme historique, cela fait 70 ans que l’on a dit au monde agricole qu’il faut raser tous les arbres, c’est ce qu’on a appelé le remembrement. Que le progrès technologique, nos machines, nos produits etc. vont faire que l’on n’a plus besoin de la nature et que le sol est juste un substrat, un support neutre. Sans jamais se poser la question de ce qu’il y a en dessous et de comment ça fonctionne.
C’est ainsi qu’à un moment on arrive aux limites de cette manière de réfléchir. Mais il y a quand même ce formatage très profond du monde agricole à qui on a donné des milliards d’euros pour qu’ils fassent table rase. Il faut aussi comprendre que quand subitement on leur dit de faire l’opposé de ce qu’on leur a toujours appris, c’est déstabilisant. C’est une forme de dissonance cognitive. Ils portent beaucoup les symptômes du mal-être moderne.
Qu’est-ce que l’arbre apporte aux cultures ? Quelle est la place de l’arbre dans le paysage agricole français ? (Quand on repense au remembrement entre 1955 et 1975. Quelles en ont été les conséquences ?).
Le point de départ du remembrement, ce sont 750 000 km de haies qui ont été arrachées depuis les années 50. 750 000 km c’est 2,5 fois la distance qui nous sépare de la lune.
Cet arrachage de haies, c’était l’expression d’une civilisation, une expérience à faire. On se rend compte aujourd’hui que ces arbres que l’on considérait comme des intrus ou des obstacles à la modernisation permettaient des microclimats, de nourrir et d’abriter la biodiversité, de nourrir et de retenir le sol, créer de l’ombrage et du fourrage pour les animaux.
Tous les problèmes liés au changement climatique, à l’érosion des sols, les amplitudes thermiques ou encore la souffrance des animaux face aux trop grandes chaleurs ont un impact majeur sur les baisses de rendement.
Pour compenser, on va rajouter des produits qui coûtent cher, pour au final produire pareil. On en arrive au diagnostic que cette manière de fonctionner ne marche pas et qu’il faut remettre l’arbre ainsi que le CO2 à leur juste place. Parce que ce dernier pose un problème seulement quand il n’est pas au bon endroit.
Quand le carbone est dans les sols, c’est un élixir de vie, un activateur de fertilité. Aujourd’hui, la seule ingénierie dont on dispose pour le remettre à sa place, c’est l’arbre.
Il aide à la réactivation du cycle du carbone et de l’azote. De plus, il permet de couper du vent ainsi que de servir d’abri pour les animaux d’élevage, de nourrir toute cette biodiversité. En replantant des arbres, les agriculteurs passent du statut d’exploitant-dominant à celui de paysan qui fait le paysage.
L’idée, c’est de « Produire et protéger en même temps ». C’est boucler cette boucle civilisationnelle, revenir à une humanité en accord avec la nature, en se dirigeant vers l’agroforesterie. Apprendre le collectif à tous les étages. Avoir une vision holistique du vivant.
Quelle place selon vous doit prendre le monde agricole dans nos sociétés ?
MF B. : Il doit être remis en son coeur. Il n’y a pas de métier plus vital que celui-ci. Pour vivre, on a globalement besoin de quatre choses : l’amour, respirer, manger et boire. Les deux derniers points sont pris en charge par le monde agricole alors même qu’il est mis à l’écart du collectif. Et quand l’organe vital de notre survie n’est pas mis à sa juste place, la vie ne peut pas fonctionner.
C’est tout l’enjeu du projet. C’est de rappeler à la génération de nos enfants (celle de nos parents a oublié) que le métier le plus important de tous, c’est celui d’agriculteur car il est le gardien de tous les biens communs. Le gardien de ce que l’on va manger, respirer et boire.
Il va être le gardien de nos paysages, et ces derniers sont notre identité encore plus en France qu’ailleurs. Mettre des enfants en lien avec des agriculteurs, c’est les connecter à leur alimentation. Qu’ils comprennent la chaîne de production en quelque sorte.
Environ 98 % des enfants, même ceux issus du milieu rural, ne sont jamais allés dans une ferme.
Pour leur quasi-totalité, un ver de terre représente une expérience extrême. Et pourtant après une plantation, ils sont finalement très contents de pouvoir jouer avec eux et très fiers de les avoir en main. Ainsi, on a toute une génération capable de citer dix marques différentes de nourriture mais incapable de reconnaître cinq arbres à leur feuille. C’est à tout cela que le projet participe.
De plus, ce n’est pas une sortie en classe verte. Une fois que les agriculteurs font partie du projet, ils vont dans les écoles en amont de la plantation pour leur expliquer leur métier et les difficultés qu’ils rencontrent. Par exemple le gel, les abeilles qui n’ont pas de nourriture, etc . Ensuite, ils démontrent en quoi ils ont besoin d’un arbre pour pallier leurs soucis et par conséquent de bras et donc d’eux.
On ne dit jamais aux enfants que l’on a besoin d’eux, ils ne sont jamais valorisés comme des activateurs de changement. Pourtant quand tu donnes de l’estime à un enfant, c’est incroyable comme il devient un planteur génial !
Tous les agriculteurs sont bluffés sur la capacité d’investissement de ces derniers. A travers ce projet, ils apprennent le génie de l’arbre, l’importance du paysan et de la paysanne dans notre société ainsi que les valeurs de l’engagement et de la fierté de faire la différence. Il n’y aura pas de transition agroécologique s’il n’y a pas de la rencontre, de solidarité, de l’estime de l’autre où qu’il soit dans son chemin de prise de conscience.
Quelle place devrait prendre le fait de planter des arbres dans nos systèmes éducatifs ?
MF B. : Notre point de départ, c’est que planter un arbre fait partie des savoirs fondamentaux. Comme de savoir cuisiner, travailler le bois ou planter des graines. Cela fait partie des connaissances dont auront besoin les citoyens de demain pour vivre leur vie d’adulte.
L’école est là pour amener les enfants à vivre au mieux leur vie de demain. Vu les enjeux qui sont les nôtres collectivement, on peut se demander si savoir planter un arbre, le greffer ou le tailler ne fait pas partie des éléments vitaux pour devenir adulte, résilient, parent à son tour etc. Que cela devienne une connaissance fondamentale au parcours scolaire.
Et alors, pourquoi avec des agriculteurs ? Car on a souvent tendance à penser qu’il faut planter les arbres dans la forêt mais l’idéal c’est de lui laisser le temps de se régénérer toute seule, qu’on lui laisse de l’espace et qu’on réduise la pression exercée sur elle. Pour ça, il faut créer du bois et le meilleur endroit où le faire, la ressource en biomasse, c’est dans les champs, car l’arbre va avoir plein de fonctions. On parle du couteau suisse agricole.
Pour certains enfants, mettre les mains dans la terre, toucher des vers de terre, c’est une expérience compliquée, il y a une déconnexion très forte de notre humanité au sol. C’est pour ça que l’on ramène l’idée au fait que ce soit peut-être aussi fondamental que le théorème de Thalès ou de Pythagore.
Comment faire passer à un enfant le lien métaphorique « enraciner un arbre c’est s’enraciner soi » ?
MF B. : Il y a cette idée de devenir acteur du paysage. Quand il plante un arbre et qu’il prend, l’enfant transforme le paysage. A travers cette expérience, nous voulons les raccorder au monde agricole, à l’arbre mais aussi à la confiance en eux et leur capacité à changer les choses. A pouvoir le mesurer, avant, après et au fil des saisons.
Ils peuvent se dire : “c’est moi qui ai transformé le paysage et je fais la différence, je compte.” Ils apprennent à coopérer, à « collabourer ». Car le labeur et le labour, c’est cette même racine du lien au travail. Nous, notre projet c’est que l’agriculture ait moins à labourer car le collectif c’est aussi le ver de terre qui va le faire pour lui. C’est changer le lien au travail.
Ce qui nous intéresse avec les enfants quand ils viennent avec nous, c’est qu’ils s’enracinent dans un collectif. C’est-à -dire qu’ils jouent en équipe. Chacun à sa compétence, son talent. Rassurer l’égo et le remettre à sa juste place. Si je joue solo, je vais peut-être gagner une fois mais après je vais perdre mon équipe et je vais perdre.
On file cette métaphore en disant que dans notre équipe on va avoir des champignons, des bactéries, du végétal, des animaux, des insectes, un agriculteur et des citoyens. Tout le monde est nécessaire pour marquer ce but. Marquer ce but signifie l’abondance.
On veut enraciner le « collabourratif », la confiance en soi et pour clore tout cela, on leur demande d’enraciner au pied de l’arbre leurs rêves. Beaucoup les écrivent sur des petits papiers pour les mettre dans le trou où l’arbre va être planté. Planter un arbre c’est rêver demain. C’est faire un pari pour demain. Je crois que rêver, c’est être un optimiste obstiné. Il faut réhabiliter le rêve, l’utopie.
L’apprentissage par « le faire » ne se présente-t-il pas aujourd’hui comme une solution évidente pour la transition écologique ?
Si, mais l’apprentissage pour qu’il soit entier et réel doit assouvir toutes les strates de l’être. J’ai conçu le projet pour qu’il soit très holistique. Il faut que l’intellectuel soit satisfait, tout comme les connaissances et le mental mais aussi l’expérience du faire et des mains. Que l’émotion soit présente, la joie, l’excitation, la fierté.
Et je pense qu’une connaissance est complètement acquise et incarnée quand on arrive à aligner le mental, le cœur et le corps. Et c’est modestement ce que « Des enfants et des arbres » essaye de faire.”
Durant l’hiver 2021-2022, sur la période de décembre à fin mars, ce sont en effet plus de 2500 élèves issus d’une soixantaine d’établissement scolaires qui se sont engagés auprès de 64 agriculteurs-trices pour faire germer et éclore ensemble l’espoir d’un monde plus durable et solidaire ; où serait consolidée une vision holistique de ce dernier, remettant chaque être vivant à sa juste place et à sa juste fonction.
Ensemble, ils/elles ont planté plus de 10 000 arbres champêtres pour devenir les futurs gardiens de ces biens communs que sont le sol, l’air, l’eau, la biodiversité, la beauté des paysages. Somme toute, tout ce qui est nécessaire à la vie sur terre et à une reprise de confiance en un nouveau demain.