Ses nombreux détracteurs l’avaient prédit, un rapport tout juste publié vient de le confirmer : la suppression de l’ISF et l’instauration de la flat tax ont enrichi à une rapidité sans précédent les 0,1 % les plus fortunés de France ! Des sénateurs vont s’emparer du dossier pour peser dans le débat sur le budget 2021 et lutter contre la progression grandement inquiétante de la pauvreté en France.
Accaparement des richesses renforcé
Le verdict est sans appel. Publié le 8 octobre, le deuxième rapport du comité d’évaluation des réformes de la fiscalité a confirmé que les réformes fiscales menées par le gouvernement Macron ont fait exploser les revenus des 0,1% les plus riches de France.
Mené sous la direction de France stratégie, un organe de prospective rattaché au Premier ministre, le rapport indique que les dividendes ont augmenté de plus de 60% entre 2017 et 2018, passant de 14,3 milliards d’euros à 23,2 milliards d’euros.
En 2018, « deux tiers des 23 milliards d’euros ont été reçus par 38 000 foyers (0,1 % des foyers), dont un tiers par 3 800 foyers (0,01 % des foyers), alors que l’année précédente la moitié des 14 milliards avaient été reçus par 38 000 foyers, dont un petit quart par 3 800 foyers ».
En clair : par rapport à 2017, la fortune des 0,1 % des Français les plus riches a augmenté d’un quart ! Une exacerbation de la concentration du capital incompréhensible alors que la pauvreté continue d’augmenter à un rythme alarmant dans le pays.
« Ce rapport souligne de façon caractérisée et solide : pour les très hauts revenus, le gain est considérable », note le sénateur socialiste Vincent Eblé, ex-président de la commission des finances au Sénat. « Les chiffres sont absolument hallucinants. En une seule année, l’inflexion est énorme. C’est un changement de nature démentiel. »
Cette tendance en France se vérifie également dans le reste du monde. Un rapport de la banque UBS et du cabinet de conseil PwC, publié mercredi 7 octobre, précise ainsi quela fortune des milliardaires a atteint la somme inédite de 10 200 milliards de dollars durant la crise sanitaire.
Un accroissement de richesse qui illustre à quel point les marchés financiers jouent un rôle d’accélérateur des inégalités pendant les crises, analyse France24.
Un retour en arrière fiscal
A la source de cet enrichissement des plus riches dans le territoire français : la sulfureuse suppression de l’ISF (impôt de solidarité sur la fortune) pour le remplacer par un IFI (impôt sur fortune immobilière), et l’instauration d’une « flat tax » ou prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30% sur les revenus du capital.
« Contrairement à l’Impôt sur le Revenu (IR), le PFU est un impôt proportionnel. Autrement dit, le PFU avantage les contribuables les plus aisé·e·s puisque les quelques centimes d’intérêts générés par le PEL d’une personne aux revenus modestes sont taxés au même taux que les milliards obtenus sous formes de dividendes par les plus grosses fortunes. Plus grave, le PFU augmente la différence de taxation entre revenus du travail et revenus du capital. » explique l’organisation Attac dans une note de travail
Résultat, la distribution des richesses fait un véritable retour en arrière en France. Les auteurs précisent ainsi que la « forte progression des dividendes déclarés par les ménages au titre de 2018 (…) est comparable par son ampleur à la chute enregistrée en 2013, au moment où les revenus mobiliers ont été intégrés au barème progressif de l’IR (impôt sur le revenu) ».
Plus simplement : les dividendes versés ont retrouvé leur niveau de 2012. L’instauration d’une progressivité de l’imposition des dividendes avait fait chuter la distribution de ces derniers de 22 milliards en 2012 à 13 milliards en 2013.
Ces mesures avaient été justifiées par Emmanuel Macron comme un moyen d’inciter les plus riches à investir dans l’économie française grâce à l’illusoire théorie du ruissellement. Et sur ce point, le rapport n’est pas bien plus optimiste, même s’il se montre plus prudent.
Comme dans leur précédent rapport, le comité se dit « incapable de répondre par oui ou par non à la question de savoir si la réforme de 2018 a eu un impact positif sur l’économie ». Cependant, il « n’observe aucun effet significatif » de la flat tax « sur l’investissement de ces entreprises », de la même façon qu’aucun effet significatif n’avait été établi sur l’investissement après la réforme de 2013.
Sans surprise, le comité indique également qu’il y a eu « une baisse du nombre d’expatriations et une hausse du nombre d’impatriations fiscales de ménages français fortunés » depuis la suppression de l’ISF.
Explosion des inégalités et de la pauvreté en France
« Macron est devenu le président des très très riches, c’est confirmé », analyse le sénateur communiste Éric Bocquet, membre de la commission des finances du Sénat.
Ce rapport hautement subversif intervient à un moment où l’épidémie de Covid-19 a plongé de plus en plus de ménages dans la pauvreté alors que l’exécutif s’entête à accorder la priorité à des mesures pro-entreprises, sans conditions écologiques et sociales, dans son plan de relance pour l’économie et l’emploi.
Comme l’indique Le Monde : « la crise sanitaire a fait basculer dans la pauvreté un million de Françaises et Français, qui s’ajoutent ainsi aux 9,3 millions de personnes vivant déjà au-dessous du seuil de pauvreté monétaire – à 1 063 euros par mois et par unité de consommation, il concernait 14,8 % des ménages en 2018, selon l’Insee. »
Conséquence directe de cette pauvreté : les demandes d’aide au Secours Populaire et pour le RSA ont dramatiquement explosé partout dans le pays. Pendant le confinement, 1 270 000 personnes ont sollicité l’aide du Secours populaire tandis que les dépenses liées au RSA ont augmenté de 9,2% en août par rapport à la même période en 2019.
« Nous n’avons jamais vécu une situation pareille depuis la Seconde Guerre mondiale, et il y a urgence pour aider tous ces gens », témoigne Henriette Steinberg, secrétaire générale du Secours Populaire à FranceInfo. « Beaucoup n’avaient jamais demandé d’aide à personne. Et là, non seulement ils n’ont plus de quoi se nourrir, mais ils ne peuvent plus payer leur loyer ni l’électricité. »
Un enjeu sociétal fort au moment du vote sur le budget 2021
Malgré cette situation déplorable, un retour sur ces mesures fiscales n’est pas à l’ordre du jour selon le ministère des Finances cité par Le Monde.
« Il n’est pas question dans le contexte de crise actuelle de revenir à une instabilité fiscale nuisible ni d’augmenter les impôts, qui ont baissé de 45 milliards d’euros pour les ménages et les entreprises depuis le début du quinquennat. », prévient Bercy.
Cette annonce ne décourage pas pour autant deux sénateurs qui ont décidé de monter au créneau à l’approche du débat budgétaire du projet de loi de finances pour 2021: le sénateur socialiste Vincent Eblé, ex-président de la commission des finances au Sénat et le sénateur communiste Éric Bocquet, membre de la commission des finances du Sénat.
« On va évidemment utiliser ça politiquement », a annoncé Vincent Éblé à Public Sénat. « Le sujet est considérable ».
Le groupe socialiste au Sénat pourrait ainsi se saisir très vite des conclusions du rapport pour une prochaine question au gouvernement, dont Vincent Éblé dénonce « une vision absolument idéologique, contredite par les faits. »
« Il faut s’emparer de ça pour enfoncer le clou », affirme le sénateur Éric Bocquet, promettant que son groupe portera encore des amendements pour réintroduire un ISF. « Ce n’est pas un combat d’arrière-garde, c’est une des mesures de nature à donner des moyens pour s’attaquer à la pauvreté. La théorie du ruissellement qu’on nous revend depuis trois ans ne tient pas. »