Thomas Julienne, 24 ans, est étudiant en biologie et réalisateur de documentaires. Naturaliste passionné, il s’intéresse à la cohabitation entre l’humain et les prédateurs sauvages. Son dernier film documentaire Coexistencia, retrace son parcours à vélo sur les routes de Patagonie à la rencontre des éleveurs et des pumas.
LR&LP : Comment est né le projet et votre envie de réaliser un film sur la coexistence avec les pumas en Patagonie ?
Thomas Julienne : Au début de mes études de biologie, je me suis mis au naturalisme, mais aussi à faire des voyages à pied, en montagne. Je faisais des photos et de petites vidéos. Après un premier film plus conséquent en Laponie, ce projet sur les pumas a germé.
Le sujet des grands prédateurs m’intéresse depuis toujours, notamment car il provoque des conflits typiques des interactions Homme-nature. Je m’étais beaucoup documenté, j’avais fait du bénévolat en Suisse avec l’association Oppal pour détecter la présence de loups aux jumelles thermiques près des troupeaux et éviter les attaques.
À l’occasion d’un stage dans les Pyrénées, j’ai parlé avec des bergers sur l’ours. Et puis, j’ai fait un Erasmus en Finlande où j’ai échangé avec les locaux sur le sujet des grands prédateurs et de l’élevage de rennes en Laponie. J’avais donc déjà pas mal enquêté sur la question des grands prédateurs en Europe, et j’étais assez curieux de voir comment ça se passait dans d’autres continents.
Avant de me rendre sur place, j’ai d’abord écrit à des scientifiques, ce qui m’a m’a permis d’avoir des contacts sur place. Le fait de se déplacer à vélo engendre plus facilement des rencontres : cela fait beaucoup rire “le gringo” qui vient à vélo. Le fait d’avoir du temps, car j’y suis resté 6 mois, est un atout pour créer un vrai lien. Plusieurs fois, je suis resté une semaine chez un éleveur ou un scientifique. Ce temps plus long permet d’avoir des interviews authentiques et de mieux comprendre leur point de vue.
Thomas Julienne lors de son périple à vélo en Patagonie
LR&LP : Quelle est la situation du puma et de l’élevage d’ovins en Patagonie ?
Thomas Julienne : Dans différentes zones, notamment au nord de l’Argentine, le puma a été exterminé avec l’arrivée des colons européens. Aujourd’hui, ils reviennent depuis les zones où ils étaient encore présents, du fait de l’exode rural en cours depuis 50 ou 60 ans et diminue le nombre d’élevages.
Le modèle d’élevage est en questionnement là-bas : notamment du fait du surpâturage. La steppe patagonienne est dévastée : les sols sont érodés. C’est donc le recul de l’élevage qui a permis le retour du puma.
Or, les élevages là-bas sont beaucoup plus grands qu’en France : la surveillance humaine est impossible. J’ai un exemple d’un éleveur qui avait 4000 ou 5000 moutons sur 20 000 hectares. Ce sont des énormes steppes très sèches et battues par le vent. Les éleveurs ne peuvent pas du tout aller cloîtrer les moutons tous les soirs.
Prochaines séances du film Coexistence : 20 juin à Rueil Malmaison (92) à 20H30 au cinéma Ariel Centre Ville et 25 Juin à Cayenne (Guyane) à 19H30 au cinéma Eldorado.
LR&LP : Comment se passe la coexistence entre les éleveurs avec les pumas ? Qu’as-tu constaté comme similitudes et comme différences par rapport à la coexistence avec les grands prédateurs en Europe ?
Thomas Julienne : Ce retour du puma dans les zones où il avait disparu provoque un conflit avec les éleveurs, comme pour les loups en France. Parfois, les pumas tuent 10 ou 15 moutons, mais n’en mangent que deux. Comme en France, les éleveurs disent qu’ils jouent, qu’ils tuent juste pour s’amuser.
Un des premiers éleveurs que j’ai rencontrés, pour qui la présence des pumas est nouvelle, pense que la solution la plus efficace est de les tuer, mais il n’est pas fermé à implanter d’autres moyens de protections.
Alors que deux éleveurs rencontrés à la fin du voyage ont toujours eu des pumas et ont déjà différents moyens de protection de leurs troupeaux, même si une grande partie d’entre eux continuent d’abattre des pumas.
C’est un peu ce qu’on remarque en France. Sur les fronts de colonisation du loup, il n’y pas encore beaucoup de moyens de protection. Mais les prédateurs recolonisent le territoire : des solutions arrivent progressivement, en même temps que le prédateur. La nouvelle génération d’éleveurs a appris le métier en présence du puma : ils l’acceptent donc davantage.
Globalement, ils tentent tous de mettre en place des moyens de protection, car ils savent que tuer les pumas n’arrête pas les prédations : en Patagonie, on ne m’a jamais parlé de le ré-exterminer. Ils ont compris que le puma était là et qu’il n’y a plus assez d’éleveurs maintenant. En France, encore pas mal d’éleveurs aimeraient revenir à l’extermination du loup.
Pourtant, beaucoup tuent des Pumas sans se cacher : un éleveur m’a montré des pumas tués deux jours avant. Peu importe les lois, ces territoires sont tellement immenses, tellement incontrôlés qu’ils font ce qu’ils veulent. Alors qu’en France, c’est beaucoup plus réglementé.
Ce qui m’a étonné, malgré le fait qu’ils en tuent, c’est que les pumas servent moins de boucs émissaires aux difficultés des éleveurs que les loups en France. Beaucoup les considèrent comme un problème parmi tant d’autres, comme les chiens errants ou les rongeurs qui dégradent la végétation.
Il y a une haine des pumas chez certains éleveurs, bien sûr, mais ce n’est pas un sujet tabou comme le loup en France. Cela permet aux scientifiques de travailler directement avec les éleveurs. Ils vont très souvent les voir sur le terrain pour mieux comprendre la situation, leur apporter des données sur le puma et des solutions plus adaptées.
Un éleveur de Malargüe, Argentine
LR&LP : Quels moyens de protection les éleveurs mettent-ils en place pour tenter de limiter les prédations ? Sont-ils efficaces et quelles sont les difficultés ?
La solution la plus utilisée, ce sont les chiens de protection. Notamment les patous des Pyrénées, mais aussi les bergers d’Anatolie. Globalement, tous les éleveurs que j’ai rencontrés étaient très contents des chiens de protection, même si j’ai vraiment eu des chiffres très différents sur leur efficacité.
Un éleveur me disait qu’ils avaient réduit de 30 % les attaques, mais quasiment tous les scientifiques avec qui j’ai travaillé me disaient que ça les réduisait de 90 à 95 %. Je pense que cette différence vient surtout de la manière dont sont élevés les chiens, comme en France d’ailleurs, mais aussi de la taille du troupeau, et du contexte géographique.
Des éleveurs ont aussi mis en place des lumières dissuasives, ce qui est assez peu développé en Europe. Ce sont des lumières automatiques qui vont éclairer de manière aléatoire : à différents moments, avec différentes couleurs. En voyant des flashes lumineux, le puma va se dire qu’il y a un humain et ne va pas rentrer.
Pour les petits troupeaux en enclos, ça fonctionne bien. Mais un phénomène d’accoutumance peut apparaître : au bout d’un moment, le puma comprend que c’est juste une lumière. Il faut donc souvent la déplacer ou l’éteindre. Cette solution a des failles, mais il n’y a pas de solution miracle.
Une éleveuse avec son chien de protection
C’est l’association de plein de solutions qui permet de réduire les prédations, chaque éleveur et chaque contexte ayant ses propres spécificités. Évidemment, les petits troupeaux sont beaucoup plus simples à protéger que les gros situés dans de très grands espaces, même avec beaucoup de chiens de protection.
Tout le monde connaît la réelle utilité de ces moyens de protection. Le gros frein à leur mise en place, c’est l’aspect économique. L’Argentine traverse une grosse crise. Et nourrir les chiens revient très cher aux éleveurs, surtout que l’État ne fait rien. Ce sont plutôt les associations ou les scientifiques qui les aident parfois.
Une des solutions développées pour les accompagner, c’est la labellisation. Un peu le même concept que l’agriculture bio : des éleveurs mettant en place des solutions pour éviter la prédation, sans tuer le puma, sont certifiés par un label qui s’appelle Wildlife Friendly. Ils peuvent donc vendre leurs produits plus chers puisque ces pratiques plus respectueuses demandent plus de travail. Cette labellisation n’en est qu’à ses débuts en Argentine.
Enfin, une autre piste pour que les éleveurs s’y retrouvent financièrement malgré la présence des pumas, c’est le tourisme. Certains éleveurs accueillent des touristes à côté de l’élevage. C’est loin d’être la solution parfaite, il y aurait beaucoup à redire sur l’impact carbone des gens qui y vont, mais c’est une des solutions pour les éleveurs.
Un puma près de la tente de Thomas Julienne
LR&LP : Peux-tu nous parler de ta rencontre avec le puma ? Qu’as-tu ressenti au contact de cet animal ?
J’ai vu une dizaine de pumas en tout. Les premiers avec les scientifiques qui les suivaient par télémétrie, avec les colliers GPS : cela gâche un peu la magie de la rencontre.
Le premier que j’ai vu sans collier GPS, était juste à côté d’un camping dans un Parc National, assis à 20 mètres de la tente. C’était beau de voir un grand prédateur dans une zone humaine sans qu’il ne soit stressé. C’était une femelle avec son petit de 1 an : un animal tellement beau, tellement gracieux.
En croisant son regard, je n’ai ressenti aucune agressivité envers l’homme. C’était plus comme de l’indifférence ou presque du mépris. Comme ça fait 50 ans qu’ils sont protégés et qu’avec le tourisme, ils ont l’habitude de voir des humains, ils passent à côté de nous presque sans prêter attention : sûrs d’eux. Elle a même fini par s’allonger.
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