Dans l’Hérault, sur le site du domaine de Calmels, un projet industriel envisage de recouvrir 200 hectares de terres agricoles – l’équivalent de 400 terrains de foot – pour y installer des panneaux solaires. Porté par Arkolia Energies, ce projet de centrale solaire suscite une vive opposition. Le 10 septembre dernier, des membres de l’association Terres du Larzac, soutenus par la Confédération Paysanne et des associations amies ont manifesté contre ce qu’ils considèrent comme un « projet industriel aberrant ». La Relève & La Peste a contacté Dominique Voillaume, paysanne référente sur ce dossier, afin de comprendre cette contestation.
Une menace pour l’agriculture
« Pour moi le gros souci est de prendre la terre agricole pour en faire quelque chose d’industriel, commence celle-ci. On a l’impression d’être des indigènes qui se font coloniser par des industries ».
Un tel projet constitue en effet une mise en danger de l’agriculture et de l’élevage puisqu’il augmente le prix des parcelles, tout en changeant leur usage.
« Tous les paysans proches de la retraite vont avoir envie de louer ou céder leurs terres, prédit Dominique Voillaume. Des propriétaires ne veulent plus faire de fermage et attendent de vendre au plus offrant, avec cet espoir que ça va partir avec des prix multipliés par 10, 20, 30 ».
Car les installations solaires rapportent généralement bien plus aux propriétaires des terrains qu’une exploitation agricole. Le problème, c’est que cette inflation empêche l’installation de jeunes paysans.
« C’était une priorité du gouvernement de multiplier par 2 le nombre de paysans » rappelle pourtant Dominique Voillaume.
Une artificialisation des terres
L’autre grand problème d’un tel projet réside évidemment dans l’impact sur l’environnement. Les panneaux solaires affectant durablement les sols, il s’agit d’une artificialisation des terres.
« Quand on couvre un sol, quel que soit le mode de couverture, c’est une artificialisation. On interrompt un cycle naturel, un échange entre la terre, l’air, l’eau et le soleil » pointe Jean-Pascal, en lutte contre un autre projet de centrale photovoltaïque, à Oradour-sur-Vayres, en Haute-Vienne.
Dans le cas du projet d’Arkolia Energies, la centrale photovoltaïque s’installerait sur des sites plusieurs fois classés et protégés.
La ferme de Calmels est par exemple localisée sur quatre zones protégées Natura 2000. Elle est aussi incluse dans le périmètre du Grand site de France de Navacelles, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2011. En ignorant ces labels, mener à terme ce projet reviendrait donc tout simplement à aller à l’encontre de la réglementation française et européenne.
D’autres possibles
Face à une mobilisation comme celle-ci, un questionnement surgit : la transition énergétique pourra-t-elle s’effectuer si chaque projet photovoltaïque suscite des oppositions ?
« On est vraiment favorables à la transition énergétique, souligne Dominique Voillaume. Le rapport de l’ADEME le montre, il y a énormément d’endroits où faire du photovoltaïsme sans empiéter sur les terres agricoles ».
En 2019, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) a effectivement dévoilé un rapport d’évaluation sur les « zones délaissées ou artificialisées propices à l’implantation de centrales photovoltaïques ». La France comporte une multitude de parkings, de friches industrielles, tertiaires ou commerciales, de sites d’enfouissement de déchets, d’anciennes zones polluées abandonnées, de dépôts de carburant…
En tout, 300 973 sites ont été détectés. Le travail des experts conduit à considérer 17 764 sites comme « propices à l’installation d’une centrale photovoltaïque », c’est-à-dire plusieurs dizaines de milliers d’hectares. En ne recouvrant de panneaux solaires que ces zones propices au photovoltaïsme, la France pourrait atteindre une puissance maximale théorique de 53 GWc – 6 fois plus que ses capacités de 2018, évaluées à 9 GWc.
Ce rapport ouvre ainsi d’autres possibles, en démontrant que la transition énergétique est possible autrement qu’au détriment de l’agriculture. Sachant cela, pourquoi s’acharner à s’installer sur des terres agricoles ? La raison est simple : en zone rurale, les terrains sont largement moins chers.
L’enjeu du photovoltaïque
Le photovoltaïque se trouve au cœur des enjeux énergétiques. A travers la Loi de Transition Énergétique pour la Croissance Verte (LTECV) de 2015, la France s’est engagée à développer les énergies renouvelables. L’objectif est de porter la part des énergies renouvelables à 32% de la consommation énergétique totale en 2030.
Concernant le photovoltaïque, la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie prévoit de passer de 365 à 44.5 GWc en 2028. Le développement des centrales photovoltaïques a déjà largement débuté. Alors qu’elles ne représentaient que 12% de la puissance cumulée installée en 2009, leur part s’élevait à 35% en 2015.
Cependant, si ces centrales se posent comme l’une des énergies renouvelables les plus compétitives économiquement, elles impliquent aussi une emprise au sol directe plus importante que la majorité des autres modes de production d’énergie renouvelable. Voilà pourquoi de nombreux projets suscitent des oppositions, comme à Oradour-sur-Vayres, en Haute-Vienne, où des citoyens s’engagent contre l’installation d’une centrale sur des terres agricoles biologiques.
Selon une étude de l’Observatoire national de la biodiversité, la France a perdu 590 000 hectares de terres agricoles et d’espaces naturels entre 2006 et 2018. Soit l’artificialisation d’un espace équivalent à la taille moyenne d’un département tous les dix ans.
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