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En Haute-Vienne, 45 hectares de terres agricoles bio vont être artificialisés au nom de la « croissance verte »

Dans ce cas, pourquoi rogner sur des terres agricoles, alors que la France regorge de zones déjà artificialisées, qui n’aspirent qu’à se rendre utiles ? Le fait est qu’en pleine campagne, les terrains sont bien moins chers à la location, et plus simples d’accès. L’opérateur n’a pas besoin de débourser de l’argent pour remettre en état le site, réaménager, casser et recouler le béton, éventuellement dépolluer.

Dans le petit département de la Haute-Vienne, à Oradour-sur-Vayres, des citoyens se battent pour empêcher l’installation d’une centrale photovoltaïque sur des terres agricoles biologiques. Immersion au cœur de ce débat local, représentatif des incertitudes qui secouent notre société.

« Le vert est dans le bio »

« Le vert est dans le bio. » C’est ainsi que Jean-Pascal, sur un ton ironique, qualifie le paradoxe voulant que l’État favorise l’artificialisation des sols au nom du développement durable. Depuis une dizaine d’années, ce grand voyageur a jeté l’ancre à quarante kilomètres de Limoges, au beau milieu du parc naturel régional Périgord-Limousin.

Avec plusieurs amis, Jean-Pascal a acheté les trois quarts d’un hameau abandonné, un étang, des prairies et quelques hectares de bois. Les compagnons ont mis sur pied un collectif, « Terra Nostra », et espèrent atteindre l’autonomie alimentaire, hydrique et énergétique d’ici quelques années.

« Chacun a son habitat, mais tout le monde travaille au bien commun. »

C’est au cours des élections municipales que Jean-Pascal, comme d’autres habitants des villages alentour, a découvert avec stupeur le nouveau projet d’implantation « durable ». Incitée par les pouvoirs publics, la mairie d’Oradour-sur-Vayres (1 500 âmes), qui rassemble de nombreux lieux-dits, serait en train de négocier la construction d’une centrale photovoltaïque de 45 hectares, dont les panneaux devraient recouvrir des terres agricoles ayant pourtant accompli le grand saut vers l’agriculture biologique.

« C’est incompréhensible ! proteste Jean-Pascal. Au prétexte de fabriquer de l’énergie verte, on s’apprête à détruire des terres agricoles, alors qu’elles sont essentielles à la paysannerie et à la résilience territoriale. C’est fou ! »

La nouvelle centrale sera développée par une entreprise lyonnaise, Corfu Solaire, spécialisée dans l’exploitation de ce type d’infrastructures au sol, en toiture et en ombrière. Grâce à la participation du groupe BPCE (Banque populaire et Caisse d’épargne), cet opérateur en pleine croissance vient de lever 18 millions d’euros, afin de financer la réalisation de douze programmes photovoltaïques, dont celui d’Oradour-sur-Vayres.

Avant
Après

Un projet sans l’aval de la population

Les négociations entre la mairie, le propriétaire et la société se sont déroulées dans le plus grand secret, sans enquête publique (pour le moment), sans communication, sans consultation des citoyens. Selon Laurent Martin, président de l’association Vayres Oradour Défense Environnement (VODE), créée pour promouvoir les pratiques écologiques locales, le projet aurait été présenté à la précédente équipe municipale dès décembre 2019, dans un contexte d’une opacité complète.

« C’est notre association qui s’occupe de prévenir les habitants, que ni la collectivité, ni la préfecture, ni les porteurs du projet n’ont trouvé judicieux d’informer, à aucun moment. Pour vous dire, la maire de Vayres, une commune limitrophe donnant directement sur le terrain, n’avait pas même connaissance de cette centrale avant qu’on lui en parle ! »

Situées en bordure du lieu-dit des Brégères, un paisible hameau entouré de champs, les terres agricoles en question appartiennent à un particulier ne vivant pas dans la région. Depuis une petite décennie, on y cultive le sarrasin biologique, une céréale peu exigeante et rentable, bien connue des Bretons.

Pour ce faire, le propriétaire aurait touché les aides de la Politique agricole commune (PAC), de l’ordre de 500 euros par hectare et par an. Plutôt chef d’entreprise qu’agriculteur, ce familier des affaires publiques délègue l’ensemble de ses travaux agricoles à des sous-traitants locaux qui plantent, récoltent, commercialisent à son compte.

« Maintenant que les financements de la PAC arrivent à terme, nous confie Jean-Pascal, le bâilleur se recycle dans le photovoltaïque. »

Une opinion partagée par Laurent Martin, qui souligne que les installations solaires devraient lui rapporter environ 3 000 euros l’hectare à l’année, un chiffre incomparable avec l’exploitation agricole, plus coûteuse en matériel et en main-d’œuvre. Contacté par notre rédaction, le propriétaire des terrains nous a simplement répondu que le projet relevait d’une volonté municipale, en lien avec « l’urbanisation » de la commune.

« Aujourd’hui, il y a une alerte au niveau climatique qui est énorme. Ouvrons les yeux et écoutons ce que la nature nous dit. On veut tout le confort, mais pas la nocivité du confort » a-t-il ajouté en guise de conclusion.

Puisque aucune information ne circule, les membres des collectifs et des associations du secteur comme Jean-Pascal sont forcés « d’aller tirer les vers du nez, quand il y a des nez. » C’est ainsi que Laurent Martin se serait aperçu que, dans le plan local d’urbanisme (PLU) d’Oradour-sur-Vayres, ces terres agricoles étaient considérées comme « zones à urbaniser ».

« C’est une anomalie, nous indique le président de VODE, car en matière d’urbanisme les zones à urbaniser sont normalement situées autour des centres-bourgs, pas au milieu des champs. »

La préfecture de région (Nouvelle-Aquitaine) souhaite atteindre l’objectif de zéro artificialisation nette affiché par le gouvernement, tandis que la préfecture du département (Haute-Vienne) encourage la croissance économique, en suivant les instructions de l’État…

« D’où l’anomalie du PLU,commente Laurent Martin. Le propriétaire profite de cette erreur qui n’a jamais été rectifiée. »

Les champs à l’heure actuelle – VODE

Le difficile arbitrage entre énergie renouvelable et autonomie alimentaire

Pour Jean-Pascal, la problématique est la suivante : pour le moment, les hectares sont cultivés en agriculture biologique, ce qui est intéressant pour la conservation des sols, l’autonomie alimentaire, l’emploi dans le monde rural. Mais demain, toutes ces terres seront artificialisées et ne produiront plus aucun emploi, tout en soufflant 45 hectares de céréales made in France.

L’opérateur Corfu Solaire se défend en affirmant que le terrain ne comportera pas de béton au sol, qu’il sera transformé en « éco-pâturages » pour les troupeaux de moutons et qu’on pourra même y installer des ruches, ainsi que des essences pouvant être butinées.

« Autant de bénéfices pour le monde agricole », selon Franck Thierry, responsable du projet chez Corfu, qui estime que la zone sera plus « écologique » avec les panneaux solaires qu’avec le sarrasin, dont le réchauffement climatique, le manque d’eau, ferait effondrer les rendements.

« Avec la chambre d’agriculture, nous développons un laboratoire d’essai pour que ces terres redeviennent rentables. Des idées émergent. De plus, nous mettons en place une boucle locale de consommation d’électricité, ce qui est essentiel pour construire le monde de demain. »

« Les troupeaux de moutons, ce n’est pas de l’agriculture, c’est de l’entretien ! » s’exclame Jean-Pascal, qui cite l’un de ses amis, agriculteur de profession. « Quand on couvre un sol, quel que soit le mode de couverture, c’est une artificialisation. On interrompt un cycle naturel, un échange entre la terre, l’air, l’eau et le soleil, même si l’on place des ruches sous les panneaux. »

Si le prestataire de la centrale peut espérer que les moutons tondront gratuitement la pelouse de son site une fois par an, lors des transhumances, il paraît bien impossible de faire pousser du sarrasin sous des panneaux solaires, du moins en théorie.

En mars 2019, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) a publié un rapport d’évaluation sur le potentiel actuel « des zones délaissées ou artificialisées propices à l’implantation de centrales photovoltaïques » : friches industrielles, tertiaires ou commerciales, anciennes zones polluées puis abandonnées, dépôts de carburant, parkings, sites d’enfouissement de déchets, etc.

« Sur les 300 973 sites détectés, indique le document, un travail d’analyse (…) conduit à considérer 17 764 sites comme propices à l’installation d’une centrale photovoltaïque », soit des dizaines de milliers d’hectares. Il existerait ainsi 115 sites disponibles en Haute-Vienne, 52 parkings et 63 zones délaissées.

En ne recouvrant de panneaux solaires que ces zones judicieuses, la France pourrait atteindre une puissance maximale théorique de 53 GWc, c’est-à-dire presque six fois plus que ses capacités actuelles, évaluées à 9 GWc à la fin de l’année 2018.

Dans ce cas, pourquoi rogner sur des terres agricoles, alors que la France regorge de zones déjà artificialisées, qui n’aspirent qu’à se rendre utiles ? Le fait est qu’en pleine campagne, les terrains sont bien moins chers à la location, et plus simples d’accès. L’opérateur n’a pas besoin de débourser de l’argent pour remettre en état le site, réaménager, casser et recouler le béton, éventuellement dépolluer.

« Ici, soupire Jean-Pascal, les terrains sont plats, on met les piquets et c’est droit. L’entreprise et la banque qui la soutient multiplient leurs bénéfices. »

L’ADEME a beau recommander d’investir en priorité les zones délaissées, son avis ne fait pas force de loi. La société Corfu Solaire, pour sa part, remarque que ces terrains répondent à tous les critères drastiques que pose l’État vis-à-vis de l’énergie.

« C’est une superposition de contraintes, affirme Franck Thierry. Ensoleillement, éligibilité, permis de construire, possibilité de se brancher au réseau, nous avons coché toutes les cases qu’exigeaient les pouvoirs publics. Si la DREAL ou l’ADEME s’étaient opposées, on ne l’aurait pas fait. »

À noter que la société n’est pas forcée de prospecter le territoire, pour y trouver les sites les plus respectueux de l’environnement, qui ne représente qu’un critère parmi d’autres.

Enfin, la centrale solaire poserait d’importants problèmes de paysage. Laurent Martin a identifié 70 maisons ayant une vue directe sur le projet, qui serait réalisé au centre d’une vallée.

« Le hameau des Brégères comporte quatre “monuments remarquables” : une maison du XVIIe, deux maisons du XVIIIe et un pigeonnier porche, construit en hauteur, au-dessus de l’entrée d’une ferme. L’intérêt des lieux en prendra un coup. »

Les alentours regorgent aussi de fermes et de gîtes ruraux. Dépendants du tourisme, ils risquent de perdre leur raison d’être.

« Ces gens-là vont avoir devant eux une marée noire, leur paysage sera complètement détruit », se désole Jean-Pascal. Mais ils n’ont visiblement pas leur mot à dire.

« On perd 45 hectares de terres cultivables, renchérit Laurent Martin. Elles pourraient pourtant servir des projets agricoles réels ! Si de jeunes agriculteurs veulent maintenant s’installer, le prix de l’hectare aura augmenté, ils devront acheter des terres beaucoup plus loin, ou déboiser d’autres parcelles. »

Mais ce point crucial ne semble pas intéresser Richard Simonneau, le nouveau maire d’Oradour-sur-Vayres, qui se félicite de contribuer à la transition énergétique. La mairie a même mis un bureau à disposition de Corfu Solaire, dans ses propres locaux. La frontière entre le bien public et l’intérêt privé semble ici bien poreuse… 

Entre 2006 et 2018, la France a perdu 590 000 hectares de terres agricoles et d’espaces naturels, selon une étude de l’ancien Office nationale de la biodiversité, ce qui équivaut à l’artificialisation d’un département moyen tous les dix ans. Chaque seconde, entre 25 et 30 mètres carrés de surfaces cultivables sont englouties par la croissance de l’habitat individuel, premier responsable, et de l’aménagement du territoire, commercial ou civil, qui implique de mener sans cesse de grands travaux.

Les terres qui disparaissent sont souvent les meilleures, puisqu’elles se trouvent en périphérie des grandes villes, qui se sont installées historiquement dans des zones fertiles. Parallèlement, la France importe environ 20 % de son alimentation, toutes catégories confondues. L’autonomie alimentaire représente l’un des plus grands enjeux de notre temps, tout comme l’énergie.

Augustin Langlade

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