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En France, 1 ménage sur 5 sur-vit dans une passoire thermique

« La conséquence immédiate de ce nouveau DPE, c’est que […] 600 000 logements chauffés à l’électricité quitteront leur statut de passoires énergétiques pour passer en E, et ce sans avoir le moins du monde réduit leurs consommations de chauffage ! Les occupants continueront à vivre dans l’inconfort et à faire face à des factures astronomiques, mais ils auront la satisfaction de ne plus habiter une passoire thermique, au sens officiel du terme. À l’inverse, 800 000 autres chauffés au fioul ou au gaz vont être rétrogradés en F ou G, devenir passoires thermiques, sans pour autant que leur consommation d’énergie augmente. […] Ce nouveau DPE est au final calibré pour pénaliser les émissions de gaz à effet de serre, […] pour avantager le bois mais aussi l’électricité qui est l’énergie de chauffage la plus onéreuse. ».


Les 150 citoyens mobilisés par la Convention Citoyenne pour le Climat se réunissent depuis le 26 Février 2021 pour évaluer le projet de loi « Climat et résilience ». Ce texte donne suite aux 149 propositions que ces derniers ont adressé au gouvernement en Juin dernier pour élever l’action politique et économique française à la hauteur des défis écologiques internationaux, et ce « dans un esprit de justice sociale ». Pourtant, comme le rapporte une enquête de l’Observatoire des multinationales, le projet de loi aujourd’hui discuté est un véritable désossement des 149 propositions initiales. Des avocats, des élus et des lobbyistes se sont hâtés de garantir la sécurité des intérêts privés mis en cause. Constat tragique, puisque ce démantèlement discret concerne directement l’avenir de cinq dimensions de la vie quotidienne : se déplacer, se loger, se nourrir, produire/travailler et consommer. En chacune de ces dimensions, une lutte entre multinationales et citoyens, capitaux privés et sociétés vivantes, se cristallise. La dimension du logement n’a pas échappé à la règle. C’est ce que rend visible les mesures prises par cette loi pour agir contre les « passoires thermiques ». En quoi cette situation qui pose aujourd’hui des problèmes écologiques, économiques et existentiels à environ 1 ménage sur 5 en France en est-elle venue être négligée ?  Premier volet d’une enquête en deux parties.

Les enjeux de la précarité thermique

Qu’est-ce qu’on appelle une « passoire thermique » ? Il s’agit, tout simplement, d’un logement mal isolé, qui laisse fuiter la chaleur en hiver et ne conserve pas l’air frais en été. Le problème est alors triple : existentiel, écologique et économique.

D’abord, habiter dans un logement mal isolé, c’est devoir mettre en place une multitude de stratégies pour rester au chaud en hiver (garder son chauffage allumé à fond, s’habiller chaudement chez soi…) et rester au frais en été (climatiser en continu, prendre des douches froides…). Ces stratégies pèsent sur le quotidien et font du lieu d’habitation un lieu plus hostile qu’accueillant, plus pénible qu’agréable.

Ensuite, la surconsommation de climatisation et de chauffage a pour conséquence des frais d’habitation surélevés. A cela s’ajoute que ces appartements sont les moins chers sur le marché de l’immobilier (puisque mal isolés), ce qui crée un effet pervers : ce sont ceux qui ont le plus de difficultés économiques qui sont voués à louer ou acheter des logements mal isolés. En retour, ces logements destinent ceux qui les habitent à dépenser plus que la moyenne en facture de gaz et d’électricité.

Habiter dans une passoire thermique, c’est devoir dépenser plus d’argent que les autres pour vivre confortablement. Bref, ces habitations sont destinées aux plus précaires et agrandissent leur précarité économique.

Enfin, ces surconsommations d’énergie posent un problème écologique. L’énergie utilisée pour chauffer ou rafraîchir un lieu de vie n’est pas illimitée, et dépend de la production totale rendue disponible en France. Ce total combine différents procédés de transformation des ressources naturelles en énergies utilisables.

Problème : le plus souvent ces procédés épuisent leurs ressources plus vite qu’elles ne peuvent se régénérer elles-mêmes. C’est notamment le cas du charbon, du pétrole et du gaz, mais aussi de l’uranium, matière première du nucléaire.

Ainsi, selon ce document du ministère de la transition écologique, l’immobilier épuise environ 29% de l’énergie totale disponible en France, et 72% de cette énergie épuisée dépend de ressources non-renouvelables : 11% de pétrole, 27% de gaz naturels, 34% de nucléaire.

De là, les passoires thermiques sont vues comme aggravant nettement l’impact écologique du parc immobilier. C’est alors surtout la surconsommation de pétrole et de gaz qui pose problème, puisque cette dernière a comme effet direct d’augmenter le dioxyde de carbone (CO²) rejeté dans l’atmosphère, ce qui intensifie l’effet de serre (cause principale du réchauffement climatique) et pollue l’air respirable.

Crédit – Timothy Eberly

Accélération des mesures contre les passoires thermiques

La prise de conscience du phénomène des passoires thermiques en France date de 1973. Suite au choc pétrolier apparaît une volonté politique de réguler les dépenses en énergie des ménages. La motivation est alors financière : s’il faut économiser l’énergie (pétrolière) c’est d’abord et avant toutes choses parce qu’elle coûte cher sur le marché international.

Mais la même période donne aussi naissance à la conscience scientifique des effets du dioxyde de carbone sur l’atmosphère et ses conséquences sur les écosystèmes planétaires, dont humains.

Des recherches, d’abord isolées, aboutiront une dizaine d’années plus tard, en 1988, à la création du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). C’est ce dernier qui légitimera le sérieux des thèses concernant le réchauffement climatique auprès des autorités publiques.

Ce sera la rencontre de ces deux lignes argumentatives qui aboutira, en 2007, à la mise en place du « Diagnostic de Performance Energétique », ou DPE. Il s’agit d’un système de notation allant de A à G, et qui mesure les dépenses en KwH par an et par m² de chaque logement, ainsi que ses émissions de gaz à effet de serre.

Cet indicateur est imparfait et ne fait qu’informer les locataires et acheteurs du coût estimé de leurs dépenses énergétiques. Il n’a aucune valeur légale, mise à part qu’il doit apparaître sur le contrat de vente ou de location, et permet de ranger les bâtiments les moins bien notés (entre F et G) dans la classe des « passoires énergétiques ».

Feintes juridiques mises à part, ce n’est qu’en Novembre 2019, suite à la Convention Climat tout juste clôturée, que ce système de notation va devenir un point d’appui technique autour duquel devront s’articuler les transformations écologiques de l’immobilier.

En effet, la « loi énergie-climat » part du postulat que « l’habitat représente un cinquième des émissions de gaz à effet de serre de la France » et qu’il faut donc « rénover toutes les passoires thermiques d’ici dix ans ».

Pour cela elle propose une série de mesures : interdiction d’augmenter le loyer d’une passoire thermique entre deux locations dès 2021 – classification des passoires thermiques comme « logement indécent » à partir de 2023 – obligation de rénover tous les logements classés entre F et G à la hauteur de E avant 2028, sauf sanctions.

Cette direction ayant été inscrite dans la loi, les intérêts des uns et des autres se sont alors mis à jouer dans ce cadre, avec et autour de lui. Les représentants d’intérêts privés (avocats, lobbyistes, élus…) n’ont pas tardé à élaborer de nouvelles stratégies pour s’en accommoder, sinon pour le contourner. C’est ce qu’atteste le nouveau projet de loi, « Climat et résilience » : on y trouve des mesures surprenantes sur le sujet.

Le DPE y est réformé, redéfinissant la « passoire énergétique » selon des critères discutables. Le seuil pour mesurer l’indécence des logements devient alors lui-même indécent. Une série « d’incitations financières », enfin, ôte au gouvernement toute garantie de la part des propriétaires immobiliers en termes de rénovation énergétique.

Crédit : Pierre Châtel-Innocenti

L’écueil du nouveau DPE

En défense des législateurs, il est vrai que le DPE était jusqu’ici un indicateur extrêmement imparfait, sur lequel il aurait été absurde de fonder une quelconque action de rénovation massive à l’échelle nationale, et qu’il fallait donc réformer.

L’UFC – Que Choisir l’a, à maintes reprises, démontré ces dernières années. Leur dernière enquête (2017) rapportait ainsi que « l’étude des 34 diagnostics réalisés dans 7 maisons situées aux quatre coins de la France [montre que] la classe énergétique est toujours à géométrie variable selon les diagnostiqueurs dont les prestations restent trop souvent folkloriques. […] le triste record s’établit à3 classes différentes pour un même bien : de E à G ! ».

Un indicateur plus qu’approximatif, donc. L’Union suit aussi de près l’actuelle réforme du DPE, et résume d’ailleurs ici les changements officiels qui y ont été faits. Leur conclusion y est la suivante :

« La conséquence immédiate de ce nouveau DPE, c’est que […] 600 000 logements chauffés à l’électricité quitteront leur statut de passoires énergétiques pour passer en E, et ce sans avoir le moins du monde réduit leurs consommations de chauffage ! Les occupants continueront à vivre dans l’inconfort et à faire face à des factures astronomiques, mais ils auront la satisfaction de ne plus habiter une passoire thermique, au sens officiel du terme. À l’inverse, 800 000 autres chauffés au fioul ou au gaz vont être rétrogradés en F ou G, devenir passoires thermiques, sans pour autant que leur consommation d’énergie augmente. […] Ce nouveau DPE est au final calibré pour pénaliser les émissions de gaz à effet de serre, […] pour avantager le bois mais aussi l’électricité qui est l’énergie de chauffage la plus onéreuse. ».

C’est qu’en effet, la nouvelle formule du DPE discrimine les logements usant d’énergies à hausse émission de carbone, comme le gaz naturel et le pétrole, et favorise l’énergie électrique (largement nucléaire) et boisée.

Une opération louable, au regard des objectifs de décarbonisation, mais aussi chargée d’intérêts économiques flagrants : discriminer le pétrole et le gaz (importés) permet de valoriser le parc nucléaire français (contributeur direct au PIB).

Aussi le tout s’est-il fait dans une espèce de discrétion politique, de telle sorte que la somme totale des passoires thermiques devant être rénovées par les propriétaires d’ici 2028 ne bouge pas.

« 600 000 logements chauffés au fioul et 200 000 au gaz, jusqu’ici notés E, vont être dégradés en F, mais 600 000 autres chauffés à l’électricité et 200 000 au bois vont remonter de F en E » relève ainsi Isabelle Rey-Lefebvre pour Le Monde. « Magie des chiffres, il reste toujours, en fin de compte, exactement le même nombre de passoires thermiques, 4,8 millions, mais ce ne sont plus les mêmes. 

« Ce chiffre de 4,8 millions est stratégique et politique car il ne fallait pas qu’il augmente et ajoute des obligations aux propriétaires » juge [une délégué de l’association des professionnels de la filière du gaz]».

A l’heure de la privatisation d’EDF, ce chiffre parviendra néanmoins à cacher l’augmentation des charges payées par les habitants de passoires chauffées à l’électricité. Le Cler (ou réseau pour la transition énergétique) estime ainsi que le nouveau calcul du DPE « revient à permettre aux logements chauffés à l’électricité de consommer 2,5 fois plus que le seuil du niveau G actuel », en précisant que « l’électricité est l’énergie de chauffage la plus chère pour les ménages avec des factures pouvant dépasser 5 000 € par an ! ».

Pierre Boccon-Gibod

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