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Dans les Landes, la première ferme agro-écologique à donner une seconde chance aux femmes détenues

« On pense que la prison a fait son temps et que ça ne fonctionne pas. La prison n’aide pas des personnes à se relever, à de très rares exceptions. Mais ici, à travers le travail, le lien social et humain, nous redonnons une chance à ces femmes. Il faut passer d’un système qui sanctionne à un système qui relève les gens. La prison est contre-productive, ça fait 200 ans qu’on le sait. Toutes les études le prouvent. Et même d’un point de vue strictement économique : en prison, une cellule coûte 100 euros par jour et par personne. Ici, une détenue nous coûte 35 euros par jour ! »

Il s’agit d’une première unique en France. A Tarnos, dans le sud des Landes, la ferme Emmaüs Baudonne accueille des femmes en fin de peine d’incarcération pour leur offrir un endroit où se ressourcer et retrouver leur autonomie avant leur retour dans la société. Sans aucun barreau aux fenêtres, ni barbelé ou clôture autour de la ferme landaise, la confiance est le maître-mot qui régit la démarche de la structure. Ici, les femmes sont salariées, travaillent dans les champs et peuvent soigner leurs stigmates laissés par la prison pour construire en douceur leur nouvelle vie.

Une première en France

Rien n’existait en France pour l’accueil des femmes en aménagement de peine qui soit respectueux de leurs particularités propres. Ce constat avait été partagé par Christiane Taubira, alors garde des Sceaux, à Gabi Mouesca, le directeur de la Ferme Emmaüs Baudonne.

« Emmaüs a une longue tradition d’accueil et d’accompagnement des personnes les plus précaires, alors lorsqu’est venue l’opportunité de récupérer le site d’Emmaüs Baudonne, ça a fait tilt tout de suite. Nous avions déjà les fermes de Moyembrie (Aisne) et Lespinassière (Aude) qui accueillent des hommes ; ici, nous accueillons des femmes détenues en prison pour leur offrir un aménagement de peine avec hébergement. Une solution rarissime en France qui sera sûrement amenée à se répliquer au fur et à mesure étant donné que le Ministère de la Justice observe qu’il y a moins de récidive avec ce genre de solutions. » raconte-t-il pour La Relève et La Peste

Ce sont aux prisonnières de faire la démarche pour postuler, et envoyer elles-mêmes leur candidature. Les entretiens sont menés par Maude Candolini, Responsable sociale à la ferme, qui s’est rendue dans plusieurs prisons en France pour les rencontrer chacune.

Ensuite, les femmes sous main de justice sont venues visiter le lieu pour déterminer si elles se sentaient prêtes à respecter la démarche. C’est finalement le juge d’application des peines qui a eu le dernier mot pour valider ou pas leur arrivée dans Les Landes.

« Nous sommes ouverts à tous les profils pour avoir le plus de diversité possible, on visait surtout les peines longues pour leur éviter au maximum les stigmates de l’incarcération. » explique Maude pour La Relève et La Peste

Aujourd’hui, la Ferme accueille déjà sept femmes pour des placements de quatre mois à deux ans. A terme, la structure prévoit d’héberger 12 personnes et même une possibilité d’accueil de femme avec enfant(s) dans des studios. Un recrutement prend plus d’un an, les candidates étant sélectionnées avec précaution et soin pour l’équilibre du groupe.

Entrée du bois de 8ha de la Ferme Emmaüs Baudonne

Soigner les stigmates de l’incarcération

Ouverte depuis le 1er juin 2020, la Ferme Emmaüs Baudonne a accueilli sa première femme placée sous main de justice le 16 novembre 2020.  Il s’agit d’Aïcha, une détenue transgenre qui, placée dans une prison pour hommes par l’administration pénitentiaire, a passé les 17 mois de son incarcération à l’isolement total à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, le plus grand établissement pénitentiaire d’Europe.

« C’est une véritable victoire qu’elle soit la première détenue à être accueillie après des mois de combat pour l’intégrer dans un établissement pour femmes, conformément à son identité de genre et pas à son Etat civil. Elle a été placée à l’isolement pendant 17 mois pour « sa protection » ce qui est pourtant contraire aux droits humains ! Ici, on ne veut pas leur mettre des étiquettes, cette communauté fonctionne autour des valeurs du féminisme et de la confiance pour qu’elles se sentent respectées et pas jugées. Pour ces femmes, le regard des autres est encore plus dur que pour les hommes détenus, notre société patriarcale leur renvoie encore l’image de la « mauvaise femme » qui agit contre l’ordre social établi. » explique Maude à La Relève et La Peste

Banderole accrochée lors de la Journée des Droits des Femmes

Pour ces femmes profondément marquées, l’objectif premier est de guérir des stigmates laissés par la prison. En premier lieu, la Ferme Emmaüs Baudonne a souhaité lutter contre la précarité économique des femmes détenues. Les résidentes sont donc sous Contrat à Durée Déterminé d’Insertion (C.D.D.I.) de 26h/semaine pour 900€ net par mois.

En échange, elles doivent travailler tous les matins de 08h30 à 13h sur les terres agricoles du site, encadrées par Alex, le maraîcher en chef du lieu, salarié à temps plein.

« Je cherchais à m’installer comme maraîcher avec une dimension sociale et je n’aurais pas pu trouver mieux. Ce projet collectif va beaucoup plus loin que ce que j’aurais pu faire seul ! Ici, on prend soin de la Terre et des Femmes, sourit-il. Evidemment, le rythme de travail est plus lent. Mais ce n’est pas grave, c’est la notion d’apprentissage qui prime, pas le productivisme. »

Les serres de la Ferme

Un passage en prison peut briser des individus : désocialisation, plus de compte en banque pour certaines, difficulté d’accès à l’outil informatique, honte de soi, impacts de la vie en cage sur des surfaces planes, précarité menstruelle et aménorrhées…

La détention en prison laisse des traces physiques et psychiques que la Ferme Emmaüs Baudonne veut soigner.

« Parmi les stigmates corporels, la nourriture de faible qualité des prisons fait également des ravages sur leur organisme. Elles étaient nourries avec des produits loin d’être cultivés dans le respect de l’environnement. Un peu comme si vous mangiez la nourriture de l’hôpital pendant un an. Il y a donc aussi tout un travail à faire sur le rapport à soi et au corps. En prison elles ne se voient jamais de plein pied, les premières fois où elles se redécouvrent sont souvent douloureuses et s’accompagnent d’un manque d’estime de soi, c’est un volet important sur lequel on travaille ici aussi. » détaille Maude à La Relève et La Peste

Aperçu de la bibliothèque de la Ferme, des livres ressources pour aider les femmes

La Ferme Emmaüs Baudonne veut prouver qu’il existe des alternatives viables à l’incarcération. Gabi Mouesca, ancien président de l’Observatoire national des prisons, est résolument abolitionniste :

« On pense que la prison a fait son temps et que ça ne fonctionne pas. La prison n’aide pas des personnes à se relever, à de très rares exceptions. Mais ici, à travers le travail, le lien social et humain, nous redonnons une chance à ces femmes. Il faut passer d’un système qui sanctionne à un système qui relève les gens. La prison est contre-productive, ça fait 200 ans qu’on le sait. Toutes les études le prouvent. Et même d’un point de vue strictement économique : en prison, une cellule coûte 100 euros par jour et par personne. Ici, une détenue nous coûte 35 euros par jour ! »

Ancien militant indépendantiste basque, Gabi Mouesca a lui-même fait de la prison pendant 17 ans, et avait réussi à s’évader de celle de Pau avant d’être de nouveau arrêté. Aujourd’hui, il est toujours privé de certains de ses droits civiques et parle donc en connaissance de cause. Son engagement pour en briser les stigmates est mû par une expérience personnelle.

« Même en étant sorti de prison et en travaillant dans le milieu, j’ai fait face à des événements traumatisants comme ce discours d’un directeur de prison qui rappelait aux salariés « n’oubliez jamais qu’ici, nous sommes en guerre ». Effectivement, je me sens plus proche de ces femmes que de vous. Je revendique d’avoir réussi à faire tomber quelques murs de parloirs, mais je n’ai pas hélas réussi à abattre les murs d’une prison, un grand regret. Ici, elles sortent de longs mois de détention dans des cellules de 9 mètres carré pour retrouver un espace digne des droits fondamentaux humains. C’est un véritable soulagement pour moi de savoir que ces femmes vont désormais évoluer dans un espace où elles sont respectées dans leur dignité, travaillant et rigolant. »

Bien sûr, tout n’est pas rose, et les rapports de domination qui ont lieu au sein d’une prison peuvent parfois se retrouver au sein du groupe : l’inculcation du respect est donc une pierre d’achoppe de la réussite du projet pour la vie en communauté.

La voie de l’autonomie et une prise de confiance en soi

A la Ferme Emmaüs Baudonne, la promiscuité qu’ont vécu les détenues peut devenir un lointain souvenir. Dans un bâti de 1000m2, elles disposent toutes d’une chambre individuelle avec salle de bain privative, et partagent les repas (nourriture végé/vegan bio locale de saison le midi, chacune mange ce qu’elle veut le soir) et les tâches de la vie quotidienne dans la salle à manger, la cuisine collective, la buanderie et les salles d’activité.

L’accès à ce bien immobilier a ainsi été un long parcours du combattant pour les porteurs de projet, notamment à cause de la SAFER qui voulait pré-empter les 3 ha de terres agricoles. La solution trouvée par Gabi : revendre les terres à la mairie de Tarnos et leur louer afin que le foncier agricole reste dans le droit commun.

La salle commune

Après le labeur aux champs le matin, elles préparent leur retour en société l’après-midi : formation, recherche d’emploi, rdv chez le médecin ou démarches administratives. Comme Maude le précise :

« C’est important qu’elles connaissent les outils du droit commun qui existent pour savoir quels sont les leviers et ressorts à leur disposition en cas de difficulté. Il s’agit de briser le côté infantilisant de l’incarcération et de les encourager à prendre leurs propres décisions. Au début, elles ont beaucoup de mal à nous dire « non » ou nous expliquer quand elles n’ont pas envie de faire une activité. L’infantilisation carcérale est radicalement opposée à l’autonomie. Le retour à la société s’accompagne malheureusement aussi de la charge mentale de la société de consommation. En prison, elles n’ont aucun choix. Alors dehors, comment vont-elles déterminer ce qui est vraiment bien pour elles face à la multitude de produits dans les supermarchés ? » 

Cet apprentissage de l’autonomie se transmet à travers les différentes activités qui leurs sont proposées : maraîchage donc, menuiserie solidaire à l’atelier de Clément où elles apprennent à bricoler, cueillette sauvage dans les 8ha de forêt, et même des balades autorisées, toujours accompagnées évidemment.

L’atelier menuiserie
La grange va bientôt être réhabilitée pour avoir un plus grand atelier menuiserie

Les travailleurs sociaux ne sont pas les seuls interlocuteurs des résidentes. L’ouverture sur le monde de la ferme se traduit aussi par l’implication joyeuse et déterminée d’une trentaine de bénévoles, majoritairement féminines, qui sont répartis dans plusieurs groupes avec chacun leur spécialité.

D’ailleurs sur place, l’association Emmaüs Baudonne a décidé d’accueillir l’école primaire alternative OSE qui promeut un « mode de vie émancipateur et durable » avec une pédagogie centrée autour de la Nature.

Cette idée a germé dans la tête de Gabi d’après une célèbre phrase de Victor Hugo : « Quand on ouvre une école, on ferme une prison. » Les détenues ont ainsi des temps de fêtes communs avec les écoliers, âgés de 3 à 12 ans.

« L’un des mots-clés du projet, c’est la rencontre. Je ne conçois pas l’idée d’insertion, même si nous n’aimons pas ce mot galvaudé, sans la rencontre. Le tout c’est d’être dans cette ouverture pour leur montrer toutes les options qui s’ouvrent à elles dans leur nouvelle vie. » explique Gabi

A terme, la Ferme Emmaüs Baudonne veut aussi ouvrir un point de vente directe qui permettra d’écouler leurs légumes et produits transformés (confitures de figues, crème de châtaignes et pain).

« On veut qu’elles mettent en œuvre leur vie, mais ça ne veut pas dire qu’elles vont toutes devenir maraîchères. Chacune est libre de choisir sa voie. Bien sûr qu’on a envie de leur transmettre des valeurs écolo, mais notre état d’esprit n’est pas d’être dogmatique, c’est de leur redonner goût à la liberté. Nous voulons être inclusif, pas exclusif. Et leur donner des clés de compréhension. On a mis à leur disposition une super bibliothèque d’ouvrages de critique sociale, de féminisme, d’écologie, etc. La majeure partie de ces livres ont d’ailleurs été écrits par des femmes. »

Des idées qui infusent tout de même. La 7ème résidente veut déjà passer son BPREA pour devenir naturopathe et cultiver des Plantes Aromatiques et Médicinales.

« Je n’ai qu’un vœu : les lieux comme ça, il faut les essaimer. Dans la mesure où sanction il doit y avoir, on doit arrêter ces pratiques moyenâgeuses pour donner les clés aux individus de devenir épanouis et solides face aux enjeux du XXIème siècle, on doit les éveiller. » conclut Gabi

Laurie Debove

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