A Menton, « l’Oignon fait la force » ! Variété paysanne sauvée de peu de l’extinction par un collectif, l’Oignon Rose de Menton est désormais précieusement protégé. Paysans, jardiniers, cuisiniers et mangeurs se sont engagés à le sauvegarder et le défendre des convoitises de l’agroindustrie grâce à une déclaration participative de Commun. Cet acte symbolique à haute valeur politique a pour objectif de créer un précédent juridique.
L’histoire de l’Oignon Rose de Menton est une histoire de vies, de goût, d’amour pour son terroir et de résistance. Robe rubis, gros comme une boule de pétanque, écailles épaisses et juteuses, l’Oignon de Menton est le seul oignon local des Alpes-Maritimes, cultivé depuis bien longtemps par la famille de Nicole Lottier.
« Mon grand-père le semait au mois d’août. Au moment de le repiquer, ma mère et ma grand-mère faisaient des bottes de 100 oignons, chargeaient un âne, et mon grand-père partait tôt le matin pour aller livrer les paysans de Sospel par les chemins muletiers » raconte Nicole Lottier pour NiceMatin
« Dernière héritière de ce patrimoine végétal cultivé localement depuis « aussi longtemps que l’on s’en souvienne », Nicole avait transmis ses graines et son savoir à Arnaud Valentin, paysan Bio de Contes, dont le décès brutal dans un accident en 2018 a mis en péril la sauvegarde de cette variété. La Maison des Semences Paysannes Maralpines s’est fait un devoir de poursuivre les intentions d’Arnaud » explique la MSPM sur le site internet dédié au précieux alliacée
Dès qu’ils ont commencé à cultiver cet oignon, en suivant les recommandations précises de Nicole, les membres de la MSPM ont vu un engouement immédiat pour son type, son goût, et son histoire. Marqueur fort de l’identité culinaire locale, dont plusieurs plats typiques comme la pissaladière ou l’oignon farci, des chefs cuisinent désormais l’Oignon Rose de Menton avec passion comme Mauro Colagreco du restaurant Le Mirazur.
« L’enthousiasme a été tel qu’on a eu très vite peur de la récupération. Victime de son succès, des abus commerciaux peuvent arriver : faux labels, semenciers ou industries qui voient un intérêt commercial dans cette variété et décident d’apposer un certificat de variété végétale, faire de la biopiraterie, ou s’accaparer le nom en le déposant pour en avoir l’exclusivité » raconte Maxime Schmitt, co-fondateur de la MSPM, pour La Relève et La Peste
Difficile également pour ce collectif de résistants de déposer eux-mêmes le nom à l’INPI, « l’organisme qui brevète le Vivant », et financer ainsi le système qu’ils dénoncent au quotidien. De surcroît, face aux ravages du changement climatique, l’Oignon Rose de Menton doit pouvoir évoluer librement pour s’adapter à un contexte pédoclimatique de plus en plus instable.
« M’intéresser aux semences en général part d’un questionnement personnel sur l’autonomie alimentaire. Je me suis rendu compte qu’avec un jardin c’est impossible de gérer ça tout seul vu l’immense diversité du végétal. La bonne gestion des semences paysannes dépend forcément d’un collectif ; et s’intéresser aux semences est une nécessité pour qu’on puisse aller à la racine du problème, au tout début de la chaîne alimentaire qui est la graine » explique Maxime Schmitt, co-fondateur de la MSPM, pour La Relève et La Peste
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C’est la rencontre de Joceba, le coordinateur du Réseau de Semences du Pays basque Espagnol, qui leur donna la solution. Avec l’oignon rouge de Zalla, les basques ont répliqué une méthodologie de protection des communs utilisée en Amérique du Sud (pas seulement sur la semence mais aussi sur la forêt, les terres, etc.) grâce à une Déclaration Participative des Communs.
Cet engagement oral permet de déclarer publiquement l’existence de l’oignon rose de Menton comme un Commun protégé par une communauté entière : la Maison des Semences Paysannes Maralpines et leurs soutiens. Cette déclaration a été faite lors de la fête organisée en l’honneur de l’Oignon Rose de Menton, le 10 juillet 2022.
« Conscients des enjeux dramatiques qui pèsent chaque jour un peu plus la biodiversité cultivée, notre volonté vise à apporter une réponse à l’urgence de recouvrer une résilience alimentaire dans notre territoire. Engagés dans la lutte contre l’appropriation du vivant exercée par les multinationales désireuses d’un usage exclusif sur les semences, nous avons à cœur de protéger l’oignon rose de Menton » ont ainsi déclaré les protecteurs de l’Oignon
Aujourd’hui, plus d’une dizaine de paysans cultivent et conservent l’Oignon Rose de Menton. Un manifeste agroécologique a été rédigé et la juriste du Réseau Semences Paysannes les accompagnent pour surveiller qu’il ne soit pas récupéré. Avec cet acte fort, le collectif espère créer un précédent ouvrant la voie de la liberté et du statut de Communs à d’autres semences paysannes.
« Nous déclarons que :
- L’oignon rose de Menton est notre Commun. C’est un nom de variété libre de droit dont personne ne peut s’approprier l’usage exclusif.
- Cette variété, préalablement décrite, est une population dont le patrimoine génétique est inappropriable par quiconque souhaitant en avoir un usage commercial exclusif. Par exemple : aucun Certificat d’obtention végétal ne peut être apposé sur cette variété.
- La variété et la circulation de sa semence sont indissociables des savoir-faire paysans nécessaire au maintien de son identité et de son unicité.
- La commercialisation d’un produit portant le nom de l’oignon rose de Menton doit respecter la description de la variété et venir d’une souche authentifiée collectivement de la variété. »
« On peut aussi voir cette initiative par le fait de combler un gap générationnel tellement vaste… Une Nicole, on n’en a pas 15 comme elle : des personnes ayant encore le savoir-faire, la variété et l’explication sur la gestion des semences. Il y a seulement 5 ans elle faisait encore un petit jardin pour maintenir son Oignon, mais plus maintenant. On est au dernier moment du gap générationnel pour sauver les dernières semences locales. On a besoin que tout le monde s’y intéresse et s’y investisse. C’est pourquoi nous mettons l’Oignon à l’honneur pour réunir toutes les parties de la société civile et sauver les semences paysannes » conclut Maxime
Photo couv : Maxime Schmitt sur le Char de l’Oignon Rose de Menton – Crédit : Coline Ciais-Soulhat
Pour retrouver le site de L’Oignon Rose de Menton
Celui de la Maison des Semences Paysannes Maralpines
Celui de la photographe Coline Ciais-Soulhat