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Désobéissance civile : une directrice d’école se met hors-la-loi en hébergeant une famille sans-abri

« C’est en tant que citoyenne que je l’ai fait. La décision a été prise pour tirer la sonnette d’alarme. Cela faisait trois semaines qu’on ne proposait pas de solution et que des familles étaient à la rue. »

Le vendredi 12 janvier au matin, la directrice de l’école élémentaire Simone-Veil, au sud-ouest de Toulouse, a été convoquée par le Rectorat de Toulouse (Haute-Garonne). Sa faute ? Avoir autorisé une famille qui n’avait pas pu obtenir de places d’hébergement d’urgence à dormir dans son école du quartier prioritaire du Mirail.

Le droit au logement, hors-la-loi ?

Le 27 novembre, les locaux de Simone Veil ont été ouverts à cette famille composée de deux parents et de trois enfants âgés de 7 à 15 ans, selon une initiative par le collectif « Jamais sans toit dans mon école » composé de parents d’élèves et d’enseignants, dont la directrice et plusieurs membres du personnel de cette école élémentaire.

La directrice d’école a indiqué à l’AFP : « C’était une convocation pour me questionner sur le procès-verbal de l’huissier qui a eu lieu suite à l’occupation le 27 novembre. C’était pour savoir si c’était en tant que directrice que j’ai ouvert l’école ou en tant que citoyenne. C’est en tant que citoyenne que je l’ai fait. La décision a été prise pour tirer la sonnette d’alarme. Cela faisait trois semaines qu’on ne proposait pas de solution et que des familles étaient à la rue. »

Pour l’heure, aucune sanction n’a été évoquée par le Rectorat. Le maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc, a pour sa part estimé pour France Bleue Occitanie : « Cette directrice d’école s’est mise hors la loi. »

En octobre 2023, selon l’Unicef, en France, parmi les 330 000 personnes sans domicile fixe, près 3000 enfants dorment dans la rue. En Haute-Garonne, ils sont 300. 330 000 personnes, c’est 41 % de plus que l’année précédente. Le budget dépensé en 2023 pour l’hébergement s’élevait à 3,1 milliards d’euros, est n’est prévu qu’à hauteur de 2,1 milliards en 2024.

En France, la crise du logement est devenue une véritable bombe sociale, malgré son statut de 7ème puissance économique mondiale. Alors qu’il est grand temps que le gouvernement prenne des mesures adéquates, il n’y a même plus de ministre du logement depuis le dernier remaniement.

La valeur constitutionnelle du principe de solidarité

Laetitia Vitaux, spécialiste en justice sociale, rappelle que la légitimité de la résistance à l’oppression figure pourtant parmi les droits de l’homme reconnus par les déclarations de 1789 et de 1948 et inspire les constitutions.

Un article du sociologue Albert Ogien, publié dans Cairn.info, se penche sur la question : la désobéissance civile peut-elle devenir une manière de se comporter pleinement reconnue en droit ? Ou bien sa « normalisation » contrevient-elle à sa nature propre, puisque cette forme d’action politique est vouée à faire un « usage sauvage » du droit ?

Il explique : « John Rawls affirme que la désobéissance civile est essentielle à la démocratie. Pour lui, être en démocratie, c’est, pour ses citoyens, éprouver quotidiennement le fait que les « institutions de base » de la société dans laquelle ils vivent sont justes, c’est-à-dire que les libertés de conscience, d’association, d’expression des opinions et de manifestation de la désapprobation y sont effectivement garanties ; que la justice y est réellement un pouvoir indépendant et intègre ; que l’alternance politique s’y réalise régulièrement. Dans un tel système, le respect de la loi ne devrait pas être problématique. »

Cédric Herrou, agriculteur français, avait été condamné par la justice pour avoir aidé environ 200 migrants à la frontière entre la France et l’Italie. Le 6 juillet 2018, après un combat acharné, le Conseil constitutionnel a reconnu pour la première fois la valeur constitutionnelle du principe de solidarité. La preuve que le combat pour une fraternité sociétale à travers des actes de désobéissance civile nécessite toujours d’être mené.

Henry David Thoreau et Ralph Waldo Emerson revendiquaient par la désobéissance une forme d’individualisme démocratique. Pour eux, le vrai individualisme, ce n’est pas l’égoïsme, mais l’attention à l’autre en tant que singulier, et à l’expression spécifique de chacun selon ses propres principes. C’est l’observation des situations ordinaires où sont pris les autres. Pour eux, la voix est forcément dissidente, et le dissensus est propre à la démocratie.

Lorsque 300 enfants sont à la rue en Haute-Garonne, et que l’État n’agit pas, il y a dissonance. Pour Albert Ogien, la désobéissance civile ne peut pas être un droit reconnu, parce qu’elle dévoile les failles de la démocratie en place. Elle engage une empathie et une attention portée aux situations qui nécessitent une entraide, une solidarité spontanée et sauvage, au-delà des lois.

Sources :  « À Toulouse, une directrice convoquée au rectorat pour avoir hébergé des sans-abri dans son école », 12/01/2024, Ouest-France / « Enfants à la rue : « Il est temps de faire de chaque enfant sans abri une priorité nationale »», 13/12/23, Le Monde /Albert Ogien, « La désobéissance civile peut-elle être un droit ? », Mars 2015, cairn.info / Sandra Laugier, « La désobéissance comme principe de la démocratie », Avril 2015, cairn.info

Maïté Debove

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