Des scientifiques alertent sur la potentielle disparition du lynx en France

Une espèce réintroduite

Le lynx était historiquement présent sur tout le territoire français. En régression depuis la fin du Moyen Âge, du fait des déboisements, de la diminution des populations de ses proies et de la chasse, l’espèce a disparu d’Europe occidentale au début du XXe siècle.
À partir des années 1970, des programmes de réintroduction en Suisse, en Allemagne et en France, ont permis le retour de l’espèce dans l’hexagone et la recolonisation progressive du Jura ainsi que, dans une moindre mesure, des Alpes et des Vosges. Aujourd’hui, l’espèce est strictement protégée en France et en Europe.

Commanditée en 2022 par le ministère de la Transition écologique, l’Expertise scientifique collective sur la viabilité des populations de lynx boréal en France a été rendu publique le 3 décembre dernier, soit le même jour que la décision du Comité permanent de la Convention de Berne d’abaisser le statut de protection du loup. Depuis des décennies, certains acteurs du monde agricole et du monde de la chasse jouent sur la hausse relative des populations de grands prédateurs – ours, loups, lynx – due aux programmes de conservations de ces espèces, pour demander leur régulation.

En septembre 2008 déjà, la Fédération Nationale des Chasseurs, à travers un livre blanc sur les grands prédateurs, demandait explicitement la régulation du lynx en mettant en avant “l’abondance de l’espèce”. Elle accusait le prédateur de “fragiliser le devenir des populations de chevreuils et de chamois, voire de les mettre en péril localement”. En février 2024, une association de chasse, dans un courrier destiné à la Fédération Départementale des Chasseurs du Doubs, sollicitait cette dernière pour “faire bouger les lignes quant au classement du lynx boréal”. Une demande rejetée par cette même fédération dans un communiqué.

Pourtant, le rapport publié par l’OFB et le Muséum National d’Histoire Naturelle fait état d’une situation préoccupante pour le devenir de l’espèce.

Des menaces qui pèsent sur les lynx

Si depuis les années 1970 les populations de lynx augmentent globalement en effectifs et voient leur aire de répartition s’accroître, “la viabilité des populations de lynx boréal en France reste fragile” selon les auteurs de l’étude qui lie écologie et sciences humaines et sociales.

Selon les estimations, le territoire français compterait moins de 150 lynx de plus de deux ans, donc en âge de se reproduire. Concernant la population globale d’Europe occidentale, elle ne comprendrait qu’environ 300 individus adultes, répartis entre la France, la Suisse et l’Allemagne.

À ce faible nombre de lynx, s’ajoute la problématique de la fragmentation de leur habitat par des infrastructures humaines, qui entraîne une très faible connexion entre les différentes populations. Ainsi, la population vosgienne, relativement isolée, connaît un lent déclin et est menacée de disparition. Les chercheurs pointent également l’absence de liens avec d’autres populations européennes trop éloignées, comme celle des Carpates. Cela conduit à une faible diversité génétique chez les individus.

De plus, les lynx font face à une importante mortalité, due majoritairement aux collisions avec des véhicules : selon l’association FERUS, ces dernières ont causé la mort de 40 lynx au cours des deux dernières années. Un facteur qui explique en partie les difficultés de déplacement des individus entre les noyaux des populations. Les lynx sont également victimes de “destructions illégales” : en octobre 2024, une enquête a été ouverte par le parquet de Strasbourg suite à la mort d’un jeune lynx dans le Bas-Rhin, “tué à coup de pelle”, selon une information relayée notamment par FERUS. Ces différents facteurs – faible connectivité des noyaux de populations, destructions des individus et faible diversité génétique – conduisent les auteurs de l’étude à envisager “un fort risque de disparition à l’horizon 2130 en France”.

Quelles solutions pour sauvegarder les populations de lynx en France ?

Si la pérennité des populations de lynx semble compromise en Europe occidentale, les auteurs de l’étude présentent différentes pistes qui pourraient permettre la conservation de ces prédateurs. Ils préconisent ainsi de prendre en compte “les aspects écologiques et sociaux” des territoires où vivent des lynx, et “d’appréhender la situation actuelle de la population dans l’histoire longue de ses relations avec les populations humaines”. Selon les chercheurs, “favoriser la disposition des humains à vivre avec le lynx” passerait notamment par “l’amélioration des relations entre et avec les acteurs locaux” comme les éleveurs, les associations de protection de la nature ou les chasseurs. En parallèle, les auteurs de l’étude appellent au “renforcement des moyens d’action de la police de l’environnement”, en première ligne notamment sur la question du braconnage.

Ces scientifiques appellent à associer simultanément différentes stratégies de conservation : améliorer “la connectivité des zones d’habitat favorable”, réduire “les destructions légales et illégales” et réintroduire des individus d’autres populations afin de favoriser le brassage génétique. “La France est positionnée au carrefour de plusieurs populations transfrontalières de lynx boréal et de territoires propices potentiellement colonisables, estiment les chercheurs, en mentionnant le Morvan, le Massif central, et les Alpes françaises. Elle joue de ce fait un rôle important pour la conservation de l’espèce à large échelle”.

Enfin, les chercheurs soulignent la nécessité de “combler les lacunes de connaissance” en renforçant le partage de données de suivi des lynx et en coordonnant les actions entreprises dans les différents pays couverts par les populations d’Europe occidentale. Ces recommandations sont désormais entre les mains du comité de pilotage du Plan national d’action (PNA) Lynx.

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