Dans l’Arctique russe, la crise climatique est plus rapide qu’ailleurs. En conséquence, les ours polaires se tournent de plus en plus vers le cannibalisme pour se nourrir, alors que l’activité humaine rétrécit leurs terrains de chasse dans la région.
Souvent méconnus du grand public, les cas de cannibalisme sont observés depuis longtemps chez les animaux : les hippopotames, les salamandres tigrés, l’ours lippu, les chimpanzés et les ours polaires. Mais bien que le cannibalisme soit un élément reconnu du comportement naturel des ours polaires, sa fréquence a fortement augmenté ces dernières années alertent les scientifiques de l’Académie Russe des Sciences.
« Des cas de cannibalisme parmi les ours blancs sont avérés depuis longtemps. Mais alors qu’ils étaient auparavant rarement constatés, ils le sont maintenant assez souvent, ce qui nous inquiète. » a affirmé mercredi Ilia Mordvintsev, de l’Institut de l’écologie et de l’évolution Severtsov de Moscou.
Pour les chercheurs, c’est le développement effréné de la péninsule de Yamal et du golfe d’Ob par les sociétés pétrolières et gazières ayant dégradé les terrains de chasse de l’ours polaire qui ont ainsi perturbé leurs habitudes alimentaires.
En effet, la région est un haut lieu de développement pour les principaux producteurs de gaz et pétrole comme Gazprom et Novatek. L’Arctique est ainsi devenu une priorité économique et militaire stratégique de la Russie.
« Maintenant la glace dans le golfe de l’Ob, qui avait toujours été une terre de chasse pour les ours blancs, est brisée toute l’année. » a précisé la scientifique Ilia Mordvintsev
Les chercheurs n’ont pas donné de chiffres précis, mais se sont appuyés sur les témoignages de plus en plus nombreux de personnes ayant observé le phénomène. Ironie du sort, ce sont les employés des compagnies pétrolières et gazières, mais aussi les fonctionnaires du Ministère de la Défense Russe, qui en sont les principaux observateurs.
Le gouvernement russe a précisé que le pays se réchauffe 2,5 fois plus vite que le reste du monde. Selon un autre expert russe, Vladimir Sokolov, la taille des glaces arctiques en fin d’été a ainsi baissé de 40% lors des 25 dernières années. Il a évoqué la possibilité qu’à l’avenir les ours blancs ne chassent plus sur la banquise, mais uniquement sur les côtes ou les archipels de haute latitude.
Fait préoccupant : ce ne sont pas les ours polaires adultes qui sont menacés par cette augmentation du cannibalisme, mais les oursons qui se font manger par les mâles affamés. Moins grandes et moins fortes que les mâles, les mamans ourses n’arrivent pas à défendre leur progéniture de ce phénomène, et assistent impuissantes à leurs enfants dévorés sous leurs yeux, comme en témoigne une vidéo perturbante réalisée par National Geographic lors d’une expédition en 2015.
Déjà classés vulnérables sur la liste rouge de l’IUCN, les ours polaires affaiblis sont moins fertiles et les mères ont un taux de mortalité des nouveau-nés plus élevé, ce qui empêche les populations de se renouveler. Le cannibalisme sur les oursons risque de contribuer encore plus à ce phénomène.
Pour les scientifiques,si l’Arctique continue de se réchauffer, les deux-tiers des ours polaires pourraient mourir au cours de ce siècle. Et l’appétit des industries des énergies fossiles pour les ressources de la région ne font que précipiter leur perte.