Claudia Sheinbaum, la présidente mexicaine qui résiste à Trump

Claudia Sheinbaum, la résistance face à Trump

Elle s’était déjà faite remarquer en menaçant de poursuivre en justice Google sur le changement du nom du Golfe du Mexique en « Golfe d’Amérique » sur GoogleMaps. Lors d’une conférence de presse, Claudia Sheinbaum s’était mise en scène debout devant une ancienne carte, rappelant que les USA s’appelaient « Amérique mexicaine » au XVIIe siècle et qu’elle pourrait aussi demander à revenir à cette ancienne dénomination.

Alliant fermeté polie et humour impassible, Claudia Sheinbaum a récemment remporté une victoire commerciale énorme. Cette ancienne physicienne de renom, co-autrice du GIEC, et première femme présidente du Mexique a neutralisé l’offensive commerciale de Trump, qui souhaitait augmenter de 25% les droits de douane pour tous les produits mexicains destinés aux États-Unis.

Surnommée « la doctora », la docteure, cette femme de gauche a ainsi rallié à sa cause 300 chefs d’entreprises mexicains, au Palais présidentiel le 4 février 2025, pour qui ces droits de douane auraient été catastrophiques, comme dans le reste du pays. Les exportations vers les Etats-Unis représentent en moyenne 40% du PIB du Mexique.

Face à la même menace, le dirigeant colombien, Gustavo Petro Donald, avait insulté l’occupant du bureau ovale avant d’abdiquer. Le calme et le pragmatisme de Claudia Sheinbaum ont rebattu les cartes. Trump a accepté de reporter cette décision d’un mois, au 2 avril. Si ce report paraît dérisoire, il pourrait bien signifier l’abandon pur et simple du chantage trumpiste.

En effet, la présidente mexicaine a fait mine de concéder à ses exigences sur les questions d’immigration et de lutte contre la criminalité en envoyant 10 000 soldats supplémentaires à la frontière. Cette opération n’a en fait rien d’exceptionnel puisque le Mexique l’avait déjà fait. Surtout, elle a renvoyé à la face de Trump la responsabilité de l’addiction au fentanyl qui sévit aux Etats-Unis.

« L’épidémie d’opioïdes synthétiques aux États-Unis trouve son origine dans la prescription indiscriminée de médicaments de ce type, autorisée par la Food and Drug Administration, appelée FDA, comme l’a démontré un procès intenté à une société pharmaceutique. (…) Le médicament à l’origine de la crise des opioïdes synthétiques est toujours vendu dans leurs pharmacies avec une autorisation officielle de leur agence de santé » a-t-elle rappelé lors d’une allocution audiovisuelle.

Face aux accusations de complicité du gouvernement mexicain avec les cartels, la présidente a été magistrale en renversant complètement la situation. Tenant en main les documents du « Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives », rattaché au Ministère de la justice étasunien, Claudia Sheinbaum a rappelé que 74% des armes utilisées par le crime organisé au Mexique proviennent illégalement de l’industrie militaire américaine

« Si une telle alliance existe quelque part, c’est chez les armuriers américains qui vendent des armes de gros calibre — oui, des armes à l’usage exclusif de leur armée — à ces groupes criminels » a-t-elle lourdement accusé.

La présidente a rappelé qu’en quatre mois, le gouvernement mexicain a saisi plus de 40 tonnes de drogue, dont 20 millions de doses de fentanyl. Plus de 10 000 personnes liées à ces groupes ont également été arrêtées.

Résultat, les États-Unis se sont engagés « à travailler pour éviter le trafic d’armes lourdes vers le Mexique ». Une prouesse diplomatique qui laisse entrevoir l’abandon des frais de douanes supplémentaires ? Les accusations de complicité entre le crime organisé et le gouvernement mexicain était utilisés comme arguments principaux pour augmenter les tarifs.

Surtout, l’augmentation des droits de douane pourrait être également néfaste au marché étasunien. Le Mexique est le premier partenaire commercial mondial des Etats-Unis, destination de plus de 80 % de ses exportations. A tel point que dans certains secteurs comme l’automobile, « des pièces peuvent passer 7 à 10 fois la frontière » rappelle Jean-Louis Martin, chercheur associé à l’Ifri, pour 20minutes.

Claudia Sheinbaum, en ayant mis les Etats-Unis face à leur dépendance, vient peut-être de sauver les intérêts mexicains. Le président américain a déclaré que le mois de report dans l’application des droits de douane sera mis à profit pour « tenter de parvenir à un ‘deal’ entre les deux pays ».

Une inspiration pour la guerre commerciale USA / UE ?

En plus d’avoir été acclamée par la population mexicaine lors d’un grand rassemblement, l’habileté diplomatique de Claudia Sheinbaum a fait forte impression sur les observateurs internationaux. Au point d’inspirer les pays souffrant des mêmes menaces du gouvernement Trump ?

Entre l’UE et les Etats-Unis, c’est une guerre commerciale qui est en train de s’enclencher. Pour protéger l’industrie sidérurgique américaine, Donald Trump a imposé des droits de douane de 25% depuis mercredi sur l’acier et l’aluminium et de produits dérivés.

En réponse, la Commission européenne a présenté une liste de produits sur lesquels des droits de douane seront appliqués avant d’entrer sur le marché européen. Une liste de 99 pages s’attaque ainsi à des produits extrêmement symboliques comme le bourbon, les Harley Davidson ou les chewing-gums. 

Ces nouvelles taxes entreront en vigueur dans le mois d’avril. Une stratégie risquée, Donald Trump menace à son tour d’appliquer des tarifs douaniers de 200 % sur les vins et spiritueux européens. S’il l’exécute, cela pourrait être particulièrement préjudiciable pour la France et l’Italie, deux principaux producteurs de vins au monde. Le Monde estime à 3,8 milliards d’euros le chiffre d’affaires généré par l’exportation de vins et spiritueux français vers les Etats-Unis.

Une chose est sûre, alors que les rouages de la mondialisation se crispent sous les caprices du président de la première économie mondiale, « la souveraineté n’est pas négociable » martèle la présidente mexicaine. « Oui à la coordination. Non à la subordination. »