La Sécurité Sociale de l’Alimentation veut faire de l’alimentation un commun universel, choisi, de qualité et de bon goût. Charles Fournier et Boris Tavernier, députés du groupe Écologistes et Social, portent un projet de loi visant à une large expérimentation dans l’Hexagone afin de créer un "véritable changement de société".
Nous sommes en 2025 et la malbouffe bat son plein. 10 millions de Français sont obèses en 2024, Selon l’OMS, les deux tiers des décès qui surviennent avant l’âge de 70 ans en Europe sont dus à quatre maladies non-transmissibles : les maladies cardiovasculaires, le cancer, les maladies respiratoires chroniques et le diabète.
20% des étudiants ne mangent pas toujours à leur faim (Fage) et ⅓ des Français saute des repas pour affronter l’inflation. La biodiversité s’effondre, l’eau va devenir une denrée rare et le climat se dérègle. Nombre de paysans peinent à gagner leur vie quand d’autres sont subventionnés pour produire des céréales destinées à l’exportation.
Les pêcheurs ne trouvent plus de poissons à pêcher dans des eaux polluées aux pesticides et aux microplastiques quand d’autres râclent les fonds, détruisant les habitats des poissons et crustacés. La biodiversité marine s’effondre à une vitesse vertigineuse.
La Sécurité Sociale de l’Alimentation
Une des façons de traiter l’ensemble des constats ci-dessus passe par la mise en place de la Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA). Contrairement à ce qu’on lit ici et là, l’objectif de la SSA n’est pas de lutter contre la précarité alimentaire. C’est un projet systémique, c’est-à-dire qu’il vient modifier le fonctionnement de l’ensemble du système.
« Je pense que c’est un projet très important et vraiment ambitieux. Pour moi, c’est un vrai changement de société » confirme Boris Tavernier pour la Relève et la Peste.
Et c’est parce que la SSA est un sujet d’ampleur que le groupe Écologistes et Social a déposé un projet d’expérimentation et non un projet de mise en œuvre directe.
« Je pense qu’il faut d’abord prouver que ça fonctionne tant en termes de soutien à une agriculture pérenne que d’accessibilité à une alimentation choisie et de qualité pour tout le monde. »
Les premières expérimentations très locales ont commencé en 2019 et le collectif SSA est né. Il s’agissait d’échanger sur les différentes formes que pouvait prendre la réflexion et la mise en œuvre des expériences de terrain.
La proposition de loi sur la SSA s’inspire de l’expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée » lancée en 2016. Elle vise à renforcer les initiatives existantes ou en gestation et de permettre à d’autres initiatives locales de sécurité sociale de l’alimentation d’émerger dans les prochaines années : trente expérimentations au maximum dans vingt territoires.
Ces expérimentations locales visent à permettre à toute personne rattachée à une caisse locale de l’alimentation d’acheter des produits alimentaires auprès de professionnels conventionnés à cette fin, qu’il s’agisse de producteurs, de distributeurs ou encore de restaurateurs.
Tout commence sur le terrain
Car ce qui caractérise la SSA, c’est que tout démarre du terrain et du collectif.
« On voit bien que notre système alimentaire actuel est à bout de souffle. Les paysans souffrent, l’aide alimentaire ne suffit plus à faire face à la pauvreté, et nombre de citoyens mangent des aliments délétères pour la santé. La première fois que j’ai entendu parler de Sécurité Sociale de l’Alimentation, le concept m’a conquis. Enfin, nous tenons là un vrai changement de système sans contraintes qui touchait tout ce qui est important.
Ce qui est intéressant, c’est qu’au-delà de remplir nos ventres et de faire vivre nos paysans, ça vient aussi influer sur les questions de santé, de modes agricoles, de biodiversité, de climat, de partage et de plaisir » s’enthousiasme Boris Tavernier.
La SSA coche toutes les cases de nos modes de vie ou presque. Quant à sa mise en œuvre, s’il est important d’en valider les fonctionnements démocratiques, nous avons un exemple réussi : la Sécurité Sociale.
« On parle de la Sécu de 1947 à 1967, celle issue du Conseil National de la Résistance sous l’impulsion d’Ambroise Croizat, ministre du Travail. Il s’agit d’un régime général unifié, universel, et géré par les travailleurs eux-mêmes, » insiste Bruno Fialho pour la Relève et la Peste.
Car toutes les expérimentations reposent sur un principe de conseil citoyen représentatif qui se réunit régulièrement pour décider de ce que cette communauté sur un territoire donné considère comme bon pour se nourrir. Bien sûr, des experts, des documents les informent au préalable des connaissances scientifiques en matière d’alimentation afin qu’ils fassent un choix éclairé.
« Et ils le font toujours, » affirme Bruno Fialho. « Je ne supporte plus d’entendre qu’il faut apprendre aux pauvres à se nourrir car si les riches mangeaient bien, ça se saurait ! Ce que les expérimentations montrent, c’est que les citoyens qui participent deviennent de super experts dont les choix peuvent être très radicaux afin de pousser les magasins et les producteurs vers le meilleur pour tous. »
« En fait, on a toutes et tous à apprendre et à comprendre notre système alimentaire et ce qu’on fait entrer dans notre corps. Nous vivons dans un monde ou un gamin n’est pas capable de citer plus de 10 légumes quelque soit sa catégorie sociale, » s’indigne Boris Tavernier.
Tout change sur le terrain
Pourquoi est-ce systémique ? Parce que le choix des citoyens fait bouger les lignes partout. Ce choix repose généralement sur plusieurs critères : le mode de production respectueux de la nature, l’empreinte carbone de la production à la livraison, le circuit de distribution, le respect des salarié.es et des fournisseurs et la qualité gustative des produits.
Ainsi, le système favorise et récompense naturellement ceux qui proposent une véritable qualité alimentaire durable. Le système, qui peut s’appuyer sur les dispositifs existants comme la loi Egalim, les plans alimentaires territoriaux mais aussi sur les collectivités territoriales, peut accompagner une transition écologique en profondeur et non brutale.
« Bien sûr, explique Bruno Fialho, il serait souhaitable que l’État rende aux collectivités territoriales les moyens d’intégrer les cantines scolaires et les EHPAD, et agissent sur tous les leviers possibles comme l’Éducation nationale ou l’Hôpital pour faire fonctionner le système. »
A Cadenet, la Fondation de France a accordé une subvention de 60 000 € à l’expérimentation et les 25 participant.e.s au CLAC (Comité local de l’Alimentation de Cadenet) ont conçu un système de conventionnement à 30, 70 ou 100%, pour les familles qui testent l’idée.
A Lyon et en Gironde, des centaines de participants reçoivent chacun 150 euros par mois pour s’acheter des aliments bio.
Des équilibres à long terme
Une fois la loi d’expérimentation votée par toutes les forces de gauche, Boris Tavernier sait qu’il aura toutes les cartes en main pour démontrer l’efficacité et la faisabilité d’une SSA nationale et universelle.
Si l’on tient compte des coûts cachés de notre alimentation, chiffrés par la FAO en 2023 à 156 milliards d’euros pour la France, dont 12 milliards d’euros rien que pour la santé, il y a tout à gagner à mettre en place une SSA, même évaluée à 180 milliards d’euros par Bruno Fialho et LFI. Notre agriculture agrochimique est un modèle qui ne peut pas durer, ainsi que le martèle le biologiste spécialisé en botanique et mycologie Marc-André Selosse.
Il est impératif pour la santé des agriculteurs comme pour notre santé à tous de pouvoir initier un changement en profondeur. Or, la mise en œuvre d’une Sécurité Sociale de l’Alimentation, comme en son temps la Sécurité Sociale de la Santé, permettrait d’asseoir à la fois la préservation, voire la reconstruction des milieux de culture, d’assurer une souveraineté alimentaire et de nourrir tous les habitants avec des produits de qualité et choisis par ceux qui les consomment avec ceux qui les produisent.
Une bonne alimentation accroît grandement les chances de vivre en bonne santé. Les ressources nécessaires, mais hélas insuffisantes, à la Santé passeraient progressivement vers un soutien au bien manger.
Aujourd’hui, des députés se soumettent aux desiderata de la FNSEA et privent les parlementaires d’un débat fondamental autour de la loi Duplomb qui s’attache à réintroduire les néonicotinoïdes dans les champs et à réduire toute action écologique pour une production de qualité.
L’espoir dans la démocratie
Pour Boris Tavernier, la SSA est en train de rallier des soutiens dans presque tous les camps. À gauche, même si certains socialistes restent à convaincre, « on arrive même à tenter quelques centristes comme Richard Ramos (MoDem), par exemple. Il est très intéressé par le sujet. Finalement, ça va assez vite. Il n’a fallu que 5 ou 6 ans avant d’entrer dans l’hémicycle, ce n’est pas très long. »
Mais l’opposition, elle, est assez brutale dans le mépris qu’elle exprime pour les citoyens et la démocratie. Les arguments financiers viennent contredire l’intérêt des citoyens dans la plus pure application de la recherche de profit quoiqu’il en coûte. (Voir la commission économique consacrée à la SSA)
« Mais quoi qu’en dise l’opposition au projet, ce qui est très, très beau et très, très fort, c’est de constater la participation populaire. C’est ce qui donne une force intérieure à ceux qui y croient, veulent voter cette loi et aussi la suivante. Nous avons rédigé un projet de loi qui fait une proposition de financement de la SSA comme la sixième branche de la Sécurité sociale, assise sur une cotisation des entreprises. »
La solidarité nationale ne repose pas seulement sur les finances de l’État car il s’agit de produire une alimentation de qualité pour tout le monde et de financer la transition vers un système résilient. Aujourd’hui, le premier texte de loi d’expérimentation attend son inscription à l’agenda parlementaire.
Le second doit être discuté démocratiquement au sein de LFI et avec les autres partenaires : les partis politiques concernés, le collectif SSA mais aussi l’institut La Boétie, des scientifiques et des intellectuels, des militants écologistes et tous les citoyens et les citoyennes qui veulent s’engager.
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