À Hendaye, dans le Pays basque, le collège Saint-Vincent a installé des toilettes sèches et des urinoirs masculins et féminins. En plus d'économiser l'eau, ils permettent de récolter l’urine des 400 élèves pour le recycler en fertilisant agricole.
Le pipi utile
C’est la révolution du « pipi utile » au collège privé Saint-Vincent, à Hendaye. Depuis un an et demi, la direction a remplacé les anciennes toilettes par des toilettes sèches. Mais ici, pas de sciure, ni de cabanes, prévient d’emblée le directeur Philippe Bancon lorsqu’il nous fait visiter les lieux.
« Quand on dit toilettes sèches, on imagine une cabane en bois avec de la sciure et des odeurs. Au collège, nous avons du carrelage, de l’inox, du papier, des éviers, et pas d’odeurs grâce à une VCM descendante », précise-t-il. « C’est intéressant parce que cela fait beaucoup bouger la représentation des toilettes sèches. »
En France, très peu d’établissements ont passé le cap. Inspiré par son homologue Saint-Germé, dans le Gers, le collège Saint-Vincent est allé plus loin en ajoutant des urinoirs féminins et une cuve de récupération pour l’urine.
L’urinoir pour garçons avec un panneau pédagogique « pipi utile »
Après un an et demi, les élèves du CM1 à la 3ème sont habitués à ces nouvelles toilettes. C’est surtout pour les filles que l’adaptation à l’urinoir reste encore à jouer. « C’est dur de faire pipi debout », nous précise Chloé, 11 ans, avec ses copines dans la cour du collège. « Mais j’aime bien parce c’est écologique, c’est un peu rare, et c’est bien de réutiliser. »
« Quand c’est pratico-pratique, les enjeux, comme le fait de ne pas déféquer dans de l’eau potable, sont plus vite assimilables que les grands objectifs de développement durable », confirme Imanol Rattinacanou, professeur de SVT, pour La Relève et La Peste.
Les toilettes sèches enrichissent ainsi le contenu des cours, notamment sur la physiologie végétale avec la circularité des nutriments, « l’occasion de penser le cycle de la matière en sixième, puis des ressources renouvelables en cinquième » précise Imanol. « Ce n’est pas juste une gestion des déchets, c’est surtout ce qu’on appelle le pipi utile, c’est-à-dire produire une ressource. »
Car au-delà des économies d’eau, estimées entre 350 et 500 mètres cubes par an, les toilettes sèches ont surtout été mises en place pour créer de l’engrais agricole à destination des espaces verts communaux et maraîchers locaux.
Chloé et ses amies dans la cour du collège
L’urine, un engrais agricole naturel puissant
Le collège Saint-Vincent enrichit depuis plus de dix ans un grand projet écologique et social : repair café, potager pédagogique, aide aux sans-abri, etc. Un vélo-école, avec une flotte de 30 vélos, permet de donner une formation de six semaines, avec 3 heures d’apprentissage du vélo, aux élèves, dont certains sont formés à la mécanique pour entretenir les vélos.
« On a des élèves qui sont cycloposteurs : ils transportent les biodéchets de la cantine ici, sur le site de la plage où se trouvent les composts des jardins partagés, entre midi et deux » explique Philippe Bancon à La Relève et La Peste.
Les cycloposteurs du collège sur leurs vélos
Grâce aux toilettes sèches gravitaires, le collège Saint-Vincent va encore plus loin. L’établissement est le tout premier en France à mettre en place la collecte des urines de ses élèves. Conçues avec l’écocentre Pierre & Terre, et le laboratoire LEESU, les toilettes sèches permettent de transformer l’urine en lisain.
« On est partis sur le low-tech absolu, selon ce que prône le LEESU », rembobine Philippe Bancon pour La Relève et La Peste. « L’urine pure est stockée à 20 degrés, durant un mois, de manière hermétique, pour l’hygiénisation, c’est-à-dire les bactéries ».
Tandis que les urines vont dans une cuve, les matières fécales sont directement compostées en sous-sol, sur un lit de broyat de bois de 20 cm dans des composteurs « calibrés pour n’avoir jamais besoin d’être vidés ».
« Les matières fécales sont pathogènes, pas l’urine », précise le directeur. « Surtout on défèque une fois par jour, alors qu’on produit entre 1,5 et 2 litres d’urine au quotidien. Et c’est là qu’il y a toute la qualité biologique : azote, potassium, mais aussi phosphore, magnésium, calcium, etc. Tout cela est dans l’urine, pas dans les matières fécales. »
Une fois le lisain constitué, il est utilisé en tant qu’engrais agricole par les communes d’Hendaye, de Biriatou et d’Urrugne, qui a un gros projet avec 1 700 m² de serres pour un maraîchage en gestion municipale pour sa cuisine centrale et ses écoles, mais aussi par le lycée agricole Saint-Christophe de Saint-Pée-sur-Nivelle. L’urine est également utilisée par les jardins familiaux d’Urrugne et La Forêt qui court, une association spécialisée dans les jardins-forêts sur Hendaye.
« Créer un engrais naturel à base d’urine permet de réduire les énergies fossiles, puisqu’on utilise du gaz pour fabriquer de l’engrais azoté industriel. On réutilise de l’énergie pour détruire l’azote qu’on a en trop dans les stations d’épuration. Une manœuvre vaine qui n’empêche pas la pollution des rivières et l’eutrophisation de l’eau. Ici, on ferme les plages un peu plus longtemps chaque année à cause de la pollution de l’eau », rappelle Philippe Bancon.
De plus, seulement 35% de l’engrais azoté consommé en France est fabriqué dans le pays, nous rendant totalement dépendant de l’étranger. « Et encore, ces 35% sont faits avec du gaz russe ! »
C’est pourquoi l’urine des élèves servira aux agriculteurs bio locaux du Civam local, en attente d’une validation règlementaire.
« Le maraîcher d’Hendaye sera notre partenaire le plus intéressant car c’est là qu’on va avoir la circularité », détaille Philippe Bancon. « L’idée, c’est que les enfants puissent aller voir comment il travaille, que lui puisse venir témoigner de ce qu’il fait, et que les parents puissent acheter ses paniers de légumes »
Les enfants peuvent voir, comprendre, expérimenter et réaliser que leur corps ne fait pas qu’ingérer, mais crée aussi des nutriments.
« Ce dispositif leur permet de prendre conscience qu’ils font partie de la nature. Quand on dit qu’il faut se reconnecter à la nature, faire comprendre aux enfants qu’on fait partie du vivant, c’est très intellectuel ou sensoriel lors de sorties en nature. Là, c’est une dimension supplémentaire de notre corps qui reprend sa place. Et qui produit quelque chose qui n’est plus un déchet », conclut Philippe.
Aujourd’hui, le collège de Saint-Vincent aimerait essaimer une dynamique sur tout le Pays basque, car il ne peut pas répondre à lui seul aux besoins de toutes les communes et agriculteurs. Urrugne prévoit déjà l’installation de toilettes sèches similaires, tandis que l’Agence de l’Eau locale pilotera le projet sur le reste du territoire.
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