Contre la bétonisation et les majors du BTP, pour la défense des squats et apporter des compétences architecturales aux luttes écolo, le collectif des Bâtisseureuses des terres se donne pour objectif de porter une parole politique commune pour « reprendre le bâtir au béton ». Il s’est retrouvé officiellement pour la première fois à Melle sur un chantier participatif en alliance avec les Naturalistes des terres. L’objectif : sauver une vieille ferme et héberger des espèces protégées. Un reportage de Pierre-Yves Lerayer.
Des architectes et des espèces protégées
Dans ce vieux bâtiment en pierre, à Melle (Deux-Sèvres), l’échelle en bois à laquelle il manque un barreau est encore vacillante. Elle permet d’accéder à l’étage – le seul – d’une ferme qui n’est pas passée loin de la destruction. Menacée par un projet de lotissement, la ferme de la Genellerie a finalement été rachetée par la mairie melloise, permettant d’y installer un maraîcher qui fournit ses produits au bistrot local. Depuis, sous les combles et à l’abri de la lumière, un cocon capable d’accueillir une foultitude de vie est sur le point de voir le jour.
Les naturalistes en sont certains : cet espace abrité, avec sa charpente en bois, pourrait facilement devenir un abri inestimable pour les chauves-souris, et plus particulièrement pour le grand rhinolophe, espèce protégée présente dans la région. En plus d’apporter un abri protecteur à ce chiroptère, l’installation d’un nid douillet pour l’espèce protégée permettrait également de pérenniser l’existence et l’activité de la ferme.
Une démarche militante contre l’accaparement et l’artificialisation des terres nourricières, et pour la production d’alternatives architecturales désirables. Mais pour mener à bien ce chantier de refuge pour chauves-souris, certains savoir-faire en matière de construction sont nécessaires. Cette mission, c’est justement celle que se donne le collectif de Bâtisseureuses des terres, principalement composé de personnes issues du secteur du bâtiment.
Concrètement, les naturalistes des terres ont ici apporté leurs connaissances du grand rhinolophe pour indiquer ses besoins aux bâtisseureuses, qui prennent ensuite le relais pour construire le refuge, selon les indications des naturalistes.
Outre les structures et le plancher renforcé pour l’occasion, « il a fallu construire des menuiseries spéciales pour la chauve-souris, avec une petite fente suffisamment grande pour qu’elle puisse s’y glisser sans que la chouette effraie, son prédateur, ne puisse y entrer », explique Ortie.
La jeune femme sait de quoi elle parle, elle qui est à la fois naturaliste, bâtisseuse artisane et membre du collectif. Débrouillarde et manuelle, celle qui se reconnaît mieux « dans l’agir dans la matière » est la pilote du chantier. Avec sa poignée de camarades, elle a ainsi testé plusieurs façons d’isoler phoniquement la petite pièce sous combles.
La meilleure solution trouvée est de produire un mélange de copeaux de bois issus d’une scierie locale, sur lequel est appliquée une couche de terre, afin de former une grande dalle isolante sur tout le plancher. La terre, elle, est récupérée à quelques dizaines de mètres de là, à proximité immédiate du ruisseau de l’Argentière. Elle y est argileuse à souhait, et les trous peuvent créer des mares qui deviendront rapidement autant de berceaux de biodiversité. Pour creuser ces mares au mieux, les naturalistes sont de nouveau intervenus pour expliquer comment favoriser l’épanouissement des espèces locales.
Un chantier vivant et solidaire
Cette entraide entre différentes luttes et différentes espèces est un autre pilier important du projet politique des bâtisseureuses des terres, notamment en replaçant la camaraderie sur les chantiers et en permettant à chaque compétence de se compléter : « Il faut rendre tout ça convivial, au sens de Illich », insiste Riri, mentionnant le théoricien de l’autonomie, qui se positionne contre la production industrielle.
« Tout ça peut converger », acquiesce son camarade. « L’heure est à la déconstruction collective pour se reconstruire ensemble », résume une brochure produite par les bâtisseureuses. L’idée est de prendre soin du collectif, des ouvrages et des milieux, à rebours de la culture de la charrette et des métiers éreintants du BTP et « prisonniers des logiques libérales des majors de la construction et de l’aménagement ».
Si jusqu’à présent « on a bâti notre manière d’habiter en opposition avec la nature par manque de connaissances », comme le déplore Ortie, « aujourd’hui, nous avons tous les savoirs qu’il nous faut pour explorer et créer de nouvelles formes de bâtir, de vivre et d’habiter qui fassent alliance entre les différents éléments du Vivant, humain comme non-humains ».
Repolitiser le secteur du bâtiment
Le tout jeune collectif des Bâtisseureuses des terres s’est d’abord formé de façon embryonnaire à l’été 2023, avant de se retrouver officiellement pour la première fois en juillet 2024 à Melle, autour du constat partagé qu’il manquait une conscience politique forte dans le milieu de l’architecture et de la construction.
« A l’époque, on s’est retrouvés autour d’un chantier « reprise de savoir » et on s’est demandé quel pourrait être l’équivalent de l’atelier paysan dans le secteur de la construction », se remémorent Riri et Fifi, tous les deux membres du collectif.
En référence à ces paysan.es qui veulent « reprendre la terre aux machines », « nous, dans le bâtiment, on voulait plutôt reprendre le bâtir au béton ».
Le but du collectif est de créer un réseau qui puisse porter une parole politique commune face aux majors du BTP, à la gentrification, au tout-béton ou encore pour défendre les squats par le biais par exemple d’un syndicat, d’une confédération, ou de toute autre structure.
« On veut créer des passerelles entre les luttes pour nous organiser, se soutenir, etc. Cette idée de réseau a quelque chose de très pragmatique, en partant des problèmes concrets », précise Riri.
Démanteler l’indésirable et bâtir du désirable
L’idée est aussi et surtout de venir en soutien aux luttes de façon plus ou moins directe.
« Les naturalistes des terres font des enquêtes et des inventaires de biodiversité pour défendre des espaces naturels. Chez les bâtisseureuses, on souhaite apporter des compétences de contre-expertise ou des contre-projets comme cela a été le cas sur l’A69 », explique à son tour Fifi, en référence à la proposition de La Voie est Libre pour remplacer le projet d’autoroute entre Toulouse et Castres.
Produire des ressources théoriques, analyser et défaire le greenwashing, expliciter les pratiques néfastes et la fabrique urbaine… Ces compétences pour « faire réseau » et apporter une conscience technique et politique sont complétées par des modalités d’actions plus directes.
Le chantier de refuge pour le grand rhinolophe, à Melle, s’insère ainsi dans une alternative désirable face à la bétonisation de la parcelle. En alliance avec les naturalistes des terres, le projet démontre l’importance de décloisonner les luttes et de croiser les multiples compétences, au-delà même du seul secteur de la construction.