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Canicule, eau et électricité : seule la sobriété pourra nous sauver

« Les températures annoncées sont bien un saut dans l’inconnu pour les systèmes électriques en place. Jamais, ils n’ont été conçus et ont fonctionné à de telles chaleurs. La dégradation de leur production pourrait bien être plus brutale que les quelques évolutions assez linéaires décrites précédemment. »

Plus il fait chaud, plus il y aura des problèmes d’approvisionnement en eau et en électricité. La technologie ne pourra pas tout régler car elle a ses limites dans un environnement extrême, à l’image de ce qu’observent les frigoristes et les ingénieurs dans les centrales nucléaires. Face aux aléas climatiques, la sobriété énergétique semble la piste la plus pérenne pour adapter le fonctionnement de nos sociétés.

Canicule et record d’électricité

En pleine canicule, mercredi 24 Juillet 2019, la France a battu son record de consommation estivale d’électricité selon RTE, le gestionnaire du réseau à haute tension. La pointe de consommation a été atteinte à 12h45, avec 59.715 mégawatts, légèrement plus que le précédent record saisonnier du 22 juin 2017 à 59.500 mégawatts.

L’explication de ce record réside dans l’utilisation accrue des climatiseurs et ventilateurs en période de canicule. A chaque degré supérieur aux températures normales de saison, RTE relève ainsi une hausse de consommation de 500 mégawatts, l’équivalent de la consommation d’une ville comme Bordeaux ! Au total, climatiseurs et ventilateurs utilisent 10 % de la consommation mondiale d’électricité, selon un rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) publié en 2018.

Et les climatiseurs engendrent leur lot de conséquences : un milliard de tonnes de CO2 selon un expert de l’AIE interrogé par franceinfo, la fuite de fluides réfrigérants (les hydrofluorocarbures)  qui sont des gaz à effet de serre au potentiel réchauffant 1 000 à 9 000 fois supérieur au CO2 une fois relâchés dans l’atmosphère, et le réchauffement de l’air extérieur… entraînant ainsi un cercle vicieux, comme l’observent sur le terrain les frigoristes qui ont dû adapter les circuits frigorifiques à +8°C en 16 ans !

Face à ces problématiques, Genève a déjà instauré des règles restrictives concernant l’utilisation de la climatisation. Avec sa loi sur l’énergie, seules les climatisations « de procédé », c’est à dire indispensables au bon fonctionnement d’un service comme la conservation de d’aliments ou le refroidissement de serveurs informatiques, peuvent être mises en place. En revanche, les climatisations « de confort » pour les particuliers ou les commerces sont soumises à autorisation assez sévère.

« Le serpent se mord la queue »

Toujours à cause de la canicule, EDF avait dû arrêter les deux réacteurs nucléaires de la centrale de Golfech, dans le Tarn-et-Garonne. En effet, les centrales nucléaires fonctionnant en circuit ouvert ne peuvent plus rejeter de l’eau chaude dans les cours d’eau lorsque la température est trop haute, afin de ne pas mettre en danger la survie des écosystèmes. Si de tels arrêts sont fréquents et considérés sans danger, cet épisode illustre que le recours à une plus grande consommation d’énergie en cas d’épisode climatique extrême n’est pas une réponse durable à long terme.

Dans les régions du monde plus durement touchées par les épisodes climatiques extrêmes, l’accès de plus en plus difficile à l’électricité et à l’eau se fait déjà ressentir. Sur son compte Instagram, DearLobbies a ainsi recueilli le témoignage de personnes habitant les quatre coins du globe comme cette personne vivant au Burkina Faso depuis six ans et vivant des saisons toujours plus chaudes et pénibles.

« Cette année, nous sommes allés jusqu’à 45°C de jour comme de nuit, pas vraiment d’ombre pour se protéger de ce soleil de plomb, et cette chaleur a duré trois mois. Le pire : tu paies une fortune, environ un tiers voire la moitié de ton salaire, pour avoir du courant 15h sur 24h environ… »

Dans un autre témoignage, une personne ayant travaillé au Malawi a ressenti sur place l’effet domino du dérèglement climatique sur l’approvisionnement en eau et en électricité. Et les inégalités de l’accès aux ressources frappent d’autant plus la population dans ces cas-là.

« 40°C, pas de clim, régulièrement 8h d’affilée sans électricité et parfois des coupures de 72h. L’eau coupée sur de grandes plages horaires hors des quartiers de diplomates/ministres : ça veut dire plus de toilettes, des odeurs nauséabondes, pas de cuisine sauf au gaz, de longues heures amorphes, j’avais l’immense privilège d’avoir accès à une village ombragée et la possibilité d’utiliser un générateur et de stocker l’eau… J’ai compris le fait que tout fonctionne ensemble : réchauffement climatique = moins de pluie sur les lacs en Zambie = pas d’alimentation suffisante pour toute l’année pour les centrales hydroélectriques = pas d’électricité continue d’Août à Décembre et c’est de pire en pire… Mais le serpent se mord la queue puisque l’usage de générateur augmente chez les plus riches… »

Face à la crise climatique, la sobriété est la clé

Face à un réchauffement mondial « plus rapide que jamais », mettre en place des solutions pérennes pour créer des sociétés résilientes devient vital. Et les dispositifs les plus efficaces sont souvent les plus sobres, comme en témoigne Marjorie Musy, directrice de recherche au Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) à Nantes, pour qui planter des arbres est la solution la plus intéressante en ville pour éviter la montée des températures. De la même façon, l’ADEME recommande aux particuliers de créer de l’ombre, utiliser des végétaux, profiter de la nuit pour aérer pour se protéger de la chaleur chez soi.

« Les températures annoncées sont bien un saut dans l’inconnu pour les systèmes électriques en place. Jamais, ils n’ont été conçus et ont fonctionné à de telles chaleurs. La dégradation de leur production pourrait bien être plus brutale que les quelques évolutions assez linéaires décrites précédemment. Au-delà d’un certain seuil à venir, il est possible que la production hydraulique soit impossible sans mettre à sec des cours d’eau et la vie piscicole, que la production nucléaire devienne plus risquée et doivent être stopper sur certains sites, que les panneaux solaires voient leur production s’effondrer. Et ça, c’est l’inconnu, notamment l’interaction entre toutes ces moyens de production dans un système mis sous tension avec une consommation en hausse possible. Ce que l’on peut maîtriser par contre, ce sont les besoins. Il faut donc dès aujourd’hui construire les cadres de vie les plus adaptés à notre vie urbaine (car c’est là que ce sera le plus dur de s’adapter et où 80 % de la population française vit), en végétalisant massivement les villes et en recourant à des dispositifs de rafraichissement passifs (orientation de l’habitat, matériaux, place de l’eau en ville, etc,) qui ne s’appuient pas sur plus de consommation d’énergie pour plus de frais. » détaille ainsi Eric Vidalenc, expert en énergie

Même son de cloche pour l’association Negawatt qui a fait de la sobriété énergétique l’un des trois piliers de sa démarche et pour qui la réduction de la pointe électrique en France est nécessaire grâce à plusieurs méthodes : favoriser la rénovation thermique, remplacer les convecteurs électriques par des pompes à chaleur performantes ou tout simplement arrêter les nombreux appareils qui restent inutilement allumés dans les bureaux (ventilation, éclairage, etc.), supprimer les publicités lumineuses, modérer l’éclairage public.

« Réduire la pointe c’est avant tout retrouver des marges de manœuvre sur le parc de production, permettant par exemple de fermer les dernières centrales à charbon et d’envisager plus sereinement la fermeture de centrales nucléaires vieillissantes, et sur les réseaux de transport et de distribution, ouvrant la voie à de nouveaux usages de l‘électricité. » précise l’association.

La sobriété énergétique veut ainsi réduire nos consommations d’énergie par des changements de comportement, de mode de vie et d’organisation collective. Cela implique de modifier et repenser nos normes sociales, besoins individuels et imaginaires collectifs au profit d’une « réduction volontaire et organisée des consommations d’énergie », pour mieux anticiper les chocs climatiques à venir.

Laurie Debove

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