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Bill Gates et Jeff Bezos financent une future mine de terres rares au Groenland

Bien qu’il dispose de vastes ressources naturelles sur ses 1 305 000 km carrés, le Groenland dépend chaque année du Danemark pour 591 millions de dollars de subventions, qui représentent environ 60 % de son budget annuel. Un accord officiel pour l’émancipation a été signé entre les deux nations en 2008, reste donc à trouver l’argent : grâce aux terres rares ?

La quête aux terres rares pourrait bien défigurer le Groenland. La société d’exploitation minière KoBold Metals, soutenue par les trois milliardaires Michael Bloomberg, Jeff Bezos et Bill Gates, a signé un accord avec Bluejay Mining pour lancer une mine de terres rares sur la côte ouest du pays. Leur objectif final : extraire du nickel, du cobalt et du platine afin de construire des batteries de véhicules électriques. Ce projet est soutenu par le gouvernement Groenlandais, à la recherche d’argent pour financer son indépendance. Des scientifiques ont lancé l’alerte sur son impact néfaste pour l’environnement.

L’autre visage de la « transition énergétique »

L’enfer est pavé de bonnes intentions dit-on… La face cachée de la « transition énergétique » en est sûrement l’exemple le plus flagrant. Alors que les constructeurs automobiles misent l’avenir sur les voitures électriques, les terres rares nécessaires à leur fabrication engendrent pollution et massacre des droits humains les plus élémentaires, selon les pays où sont situés les mines.

Ironie de cette histoire, ce serait justement pour avoir des terres rares plus « éthiques », c’est à dire ne dépendant pas du travail d’enfants au Congo, que la société d’exploitation minière américaine KoBold Metals a décidé d’investir 15 millions d’euros jusqu’en 2024 pour aider son homologue britannique Blue Jay Mining à créer une mine de terres rares au Groenland.

Bluejay (BLLYF) est une société d’exploration et de développement ayant déjà des projets au Groenland et en Finlande. Situé dans le centre-ouest du Groenland, sur une zone d’une superficie de 2.776 km², le projet Disko-Nuussuaq veut forer la zone en 20 endroits pour y trouver du nickel, du cuivre, du cobalt et du platine.

Bluejay a déclaré que les études montraient que la partie ouest et centrale du Groenland présentait des similitudes avec la ville russe de Norilsk, riche en nickel et en palladium.

Kurt House, le directeur général de KoBold, a ainsi affirmé que la région de Disko était au coeur d’une « convergence rare d’événements dans l’histoire, qui pourrait déboucher sur la découverte de gisements de métaux permettant la fabrication de batteries de classe mondiale ».

KoBold Metals détiendra ainsi 51 % du projet, tandis que Bluejay en détiendra 49 %. L’action de la société groenlandaise Bluejay Mining a décollé de 50% en moins d’une semaine après l’annonce du partenariat avec KoBold Metals.

Et pour cause, l’un des principaux investisseurs de KoBold Metal est Breakthrough Energy Ventures, le fonds climatique et technologique créé par Bill Gates et regroupant parmi ses investisseurs un panel d’autres milliardaires tels que Jeff Bezos (Amazon, Blue Origin), Jack Ma (Alibaba), Richard Branson (Virgin Group), Michael Bloomberg (Bloomberg LP), Mukesh Ambani (Reliance Industries Limited) ou encore le Français Xavier Niel (Iliad Group).

Breakthrough Energy Ventures a levé 2 milliards de dollars à ce jour, y compris un cycle de financement d’1 milliard de dollars achevé plus tôt cette année. L’organisation a déjà investi dans des dizaines de startups dans le domaine de « l’énergie durable ».

Une partie du site où auraient lieu les forages, pour l’instant épargné de toute activité humaine.

Un pays aux milles richesses sous tutelle occidentale

Le Groenland est le nouvel eldorado des promoteurs miniers avides de profiter de la demande toujours plus grande des sociétés occidentales ultra-numérisées pour les terres rares. On y trouve des terres rares lourdes, très chères à extraire, prisées par l’industrie militaire et automobile, et aujourd’hui essentiellement produites par la Chine. L’empire du milieu est leader du secteur avec 70% de la production globale de terres rares, et leader pour la transformation de ces métaux en aimant.

Les terres rares sont un groupe de 17 métaux aux propriétés voisines comprenant le scandium Sc, l’yttrium Y, et les quinze lanthanides. Une infime dose de ces terres rares, une fois industrialisée, émet un champ magnétique capable de générer davantage d’énergie que la même quantité de charbon ou de pétrole.

Le Groenland en regorgerait, et serait même la deuxième réserve mondiale de ces métaux derrière la Chine. Le site où se trouve le projet Disko attise ainsi de nombreuses convoitises comme en atteste la course à l’acquisition de licences pour exploiter ces sous-sols. Depuis les premiers permis octroyés à Bluejay, de nombreuses entreprises anglo-américaines ont à leur tour acquis des licences sur une surface de près de 10.000 km².

En août 2019, l’ex président américain Donald Trump avait même été la risée de l’opinion publique en proposant de racheter le Groenland. Cette proposition a été refusée par le gouvernement groenlandais qui avait fièrement rétorqué « ne pas être à vendre ».

C’est pourtant bien pour racheter son indépendance au Danemark que le Groenland ouvre aujourd’hui ses portes à autant de projets d’exploration minière. Un véritable retournement de situation après plusieurs engagements forts pris par le gouvernement groenlandais cette année. 

Au printemps dernier, la nation de 56 000 personnes s’était rendue aux urnes pour s’opposer à l’exploitation d’un énorme gisement de minerais et d’uranium situé dans une région agricole et touristique. En fin de compte, le parti de gauche Inuit Ataqatigiit a gagné.

Réputé comme étant écologiste, le nouveau gouvernement a même interdit la prospection pétrolière dans le vaste territoire arctique, au motif que les rendements allaient être deux fois inférieurs à ce que les compagnies en attendaient. Il défend pourtant l’exploitation des terres rares du pays, qu’il imagine « verte », et a même rejoint l’Alliance Européenne des Matières Premières.

« Naalakkersuisut accorde une haute priorité à l’industrie minière. Le développement de l’industrie est souhaité pour enrichir l’économie du Groenland au profit de sa population. L’accent mis par l’UE sur la transition verte – ainsi que sur l’extraction de minéraux responsable sur le plan environnemental et social – s’harmonise avec les objectifs du Groenland. J’attends donc avec impatience que le ministère des Ressources minérales entame une coopération avec les membres de l’Alliance européenne des matières premières et explore les opportunités qu’il peut offrir au Groenland. » a déclaré la Ministre du Logement, des Infrastructures, des Matières Premières et de l’Égalité des genres, Naaja H. Nathanielsen

Bien qu’il dispose de vastes ressources naturelles sur ses 1 305 000 km carrés, le Groenland dépend chaque année du Danemark pour 591 millions de dollars de subventions, qui représentent environ 60 % de son budget annuel. Un accord officiel pour l’émancipation a été signé entre les deux nations en 2008, reste donc à trouver l’argent : grâce aux terres rares ?

Signe de la haute importance stratégique de la nation, le Danemark va mettre en œuvre un plan d’investissement pour renforcer la surveillance militaire au Groenland et dans l’Atlantique Nord. Une mesure saluée par le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken.

Crédit : Aningaaq Rosing Carlsen

Les impacts néfastes du projet

Si l’entreprise KoBold affirme que la technologie qu’elle utilise sera plus « respectueuse de l’environnement » en ciblant des gisements nécessitant des méthodes d’extraction « moins intrusives », l’annonce du projet fait frémir les scientifiques spécialistes de la Région.

« Essentiellement, ils sont juste au-dessus de l’océan », explique Jeffrey Welker, professeur à l’Université d’Alaska Anchorage qui a passé plus de deux décennies à étudier l’écosystème arctique de l’ouest du Groenland. « Cela crée potentiellement des situations dangereuses pour l’environnement ou l’écologie en cas de contamination de ce fjord … N’importe quelle perturbation de ce système marin par une activité industrielle pourrait être catastrophique pour cette communauté. »

Or, la Région Arctique est déjà durement touchée par le réchauffement climatique,et le Groenland se rapproche dangereusement d’un point de bascule. Sa surface s’est réchauffée de 2,7 °C depuis 1982 et sa calotte glaciaire fond déjà sept fois plus vite que prévu, à un rythme jamais observé depuis 12 000 ans.

« Nous sommes au bord du gouffre, alertent les chercheurs Niklas Boers et Martin Rypdal. Chaque année passée sans baisser nos émissions de CO2 augmente de façon exponentielle la probabilité de franchir un point de non-retour. »

Lire aussi : La calotte glaciaire du Groenland a déjà entièrement fondu dans le passé, sous un climat à peine plus chaud que l’actuel

Surtout, le raffinage des terres rares est extrêmement polluant. Il rejette des déchets toxiques, voire radioactifs. Bien que les déchets générés par l’exploitation des métaux rares présentent un faible taux de radioactivité selon l’agence internationale atomique, ces déchets nécessiteraient normalement d’être isolés pendant plusieurs centaines d’années.

De plus, la purification de chaque tonne de terres rares requiert l’utilisation d’au moins 200 mètres cubes d’eau qui se charge au passage d’acides et de métaux lourds…

La course aux terres rares aura-t-elle raison du Groenland ? Les alternatives pour trouver les métaux tant convoités n’étant guère plus prometteuses ni réjouissantes. Ainsi, Elon Musk veut envoyer un vaisseau dans l’espace pour forer les astéroïdes qui en seraient porteurs, tandis que les fonds de l’océan deviennent une cible de choix pour les industriels, une menace hors-norme pour ces milieux fragiles.

Avant de partir à la conquête des étoiles, des fonds marins ou de défigurer le Groenland, les sociétés occidentales feraient bien de se rappeler qu’il n’y a jamais eu de transition énergétique au cours des dernières décennies, simplement de nouveaux moyens de produire de l’énergie qui se rajoutent au mix énergétique existant.

Parmi tous les mots utilisés par les décideurs politiques et économiques pour justifier leurs choix au nom de la « transition énergétique », le plus important est toujours délaissé, oublié et ignoré : il s’agit de la sobriété énergétique.

Laurie Debove

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