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Au Pérou, le peuple se révolte depuis 2 mois contre la toute-puissance de l’oligarchie et des multinationales

Les protestataires, majoritairement issus de milieux pauvres et paysans, réclament de nouvelles élections, la destitution de la présidente actuelle et le renouvellement du Congrès, haï par la population. Ils demandent aussi plus de justice sociale et l’inclusion des populations amérindiennes.

C’est un soulèvement populaire historique au Pérou, désormais au bord de la guerre civile. Depuis la destitution du président populaire Pedro Castillo, le 7 décembre 2022, les Péruviens organisent des manifestations et blocages massifs dans tout le pays pour réclamer de nouvelles élections et la démission de la présidente Dina Boluarte. La répression sanglante a déjà fait 48 morts, renforçant la détermination de la population à obtenir justice et autonomie.

Une crise démocratique majeure

« Les Péruviens disent que leur combat est un combat vieux de 200 ans dans l’Histoire » prévient d’emblée Romain Migus, journaliste vivant en Amérique Latine depuis 15 ans et à Lima depuis deux ans, et spécialiste sur le continent, pour La Relève et La Peste

Le Pérou est l’un des rares pays d’Amérique Latine (avec la Colombie auparavant) a n’avoir quasiment jamais connu de gouvernement proche des aspirations populaires outre le court mandat du Général Velasco, promoteur de la réforme agraire de 1969 qui élimina les grandes haciendas des propriétaires terriens et redistribua onze millions d’hectares aux paysans jusqu’alors exploités.

La dictature d’Alberto Fujimori, président de 1990 à 2000, a notamment implanté un système néolibéral poussé à son paroxysme dans la Constitution, où l’État ne peut pas être un acteur économique au Pérou si le privé est déjà présent dans un secteur particulier.

« Les résultats de Fujimori ont été satisfaisants à un niveau macroéconomique mais accaparés par une petite élite de la capitale Lima. Durant toutes ces années s’est imposé un récit politico-économique du néolibéralisme qui disait que si chacun travaillait de manière suffisante, il pouvait s’extraire de la pauvreté. Ce récit a complètement explosé avec le Covid-19 car les péruviens ont vu durant la pandémie les conséquences de l’absence de l’Etat sur le territoire, même dans les grandes villes : pas de système de santé publique avec 200 000 morts (le taux de mortalité dû au Covid-19 le plus élevé au monde, ndlr), seulement 20 lits en réanimation intensive, l’État n’a pas pallié par un soutien économique au 70% de commerce informel dilapidé par la quarantaine extrêmement stricte. Le récit du néolibéralisme s’est effondré face à la pandémie, ce qui a permis l’élection de Pedro Castillo en 2021 » analyse Romain Migus, spécialiste de l’Amérique Latine, pour La Relève et La Peste

Instituteur d’origine paysanne et candidat de la gauche radicale avec le parti Perú Libre, Pedro Castillo avait battu la fille d’Alberto Fujimori, Keiko, avec 50,1 % des voix le 6 juin 2021. Dans les régions péruviennes abandonnées et exploitées par la capitale, il avait fait l’unanimité : à Cuzco, Puno, Ayacucho ou Apurimac, 80 % des électeurs ont voté pour lui, et même jusqu’à 90 % dans certains districts.

« Sa victoire a été une surprise pour le Parlement. Dès qu’il a gagné, l’oligarchie et ses représentants politiques ne lui ont pas laissé une minute de répit. Ils ont commencé à parler de fraude électorale pour faire invalider les élections grâce à une armada d’avocats, tenter de faire annuler des votes dans les communautés paysannes et indigènes. Ils ne voulaient ne pas le laisser gouverner une seule seconde. L’alliance du pouvoir judiciaire, médiatique et parlementaire a été extrêmement brutale. Ils mettaient des gens en prison par prévention dans le but de dégager Castillo » dénonce Romain Migus, spécialiste de l’Amérique Latine et correspondant sur place, pour La Relève et La Peste

Manifestation devant les médias pour dénoncer leur collusion avec le pouvoir en place

Un mouvement populaire face à une répression sanglante

Après 6 présidents en 6 ans au Pérou, dont seulement 2 avaient été élus par le Peuple, Castillo a été propulsé au sein d’une crise institutionnelle généralisée et représentait une digue qui amenait la paix sociale en ouvrant les portes du Palais présidentiel à des communautés paysannes pour la première fois.

Issu des rondas campesinas, une organisation sociale qui pallie l’absence de l’État dans les campagnes péruviennes sur une base de démocratie participative pour assumer des tâches de sécurité, justice et développement social, Pedro Castillo n’a pas eu le temps de mener l’ambitieuse politique sociale qu’il souhaitait.

Après deux motions d’empeachment évitées grâce à des accords et compromis politiques, Castillo n’a pas survécu à la troisième motion. Accusé de corruption par le Parlement, Castillo a tenté de le dissoudre pour obtenir de nouvelles élections et régénérer le corps politique parlementaire qui n’a plus la confiance des populations pauvres.

« Il a été arrêté par la police alors qu’il était encore Président deux heures avant sa destitution pour « incapacité morale », c’est un coup d’Etat. Normalement Castillo aurait pu se défendre devant le Parlement, il n’a eu droit à rien. Castillo a été dénoncé par des gens qui n’ont aucune preuve contre lui ! Aujourd’hui il est en prison préventive et ils vont lui mettre 10 ans de prison pour rébellion mais plus personne ne parle de corruption dans les médias. Ils ont même accusé sa femme et sa fille de faire partie d’une organisation criminelle, toujours sans aucune preuve ! » s’indigne Romain Migus, spécialiste de l’Amérique Latine et correspondant sur place, pour La Relève et La Peste

Ce 7 décembre 2022, Castillo a été destitué et emprisonné, et la vice-présidente Dina Boluarte a pris sa place sans aucune forme de concertation populaire. La population était sous le choc face à une telle trahison démocratique, près de 700 personnes seulement se réunissent alors à Lima. C’est seulement dans les jours qui ont suivi que les manifestations d’ampleur ont vraiment commencé.

défilé de milliers de personnes dans la capitale

« Des manifestations dans la région d’Apurímac, la terre natale de Dina, ont été réprimées dans le sang. Il y a eu 6 morts au 12 décembre, puis un massacre à Ayacucho trois jours plus tard, et là le pays a pris feu parce qu’on avait volé aux gens le mythe de la démocratie. L’outrage était amplifié par le fait que Dina Boluarte avait dit plusieurs fois qu’elle démissionnerait si Castillo était destitué, ce qu’elle refuse de faire depuis » raconte Romain Migus, spécialiste de l’Amérique Latine et correspondant sur place, pour La Relève et La Peste

Avec 48 citoyens tués et des centaines de blessés, la répression du gouvernement de Dina Boluarte est sanglante. Mais face aux balles des policiers, à l’armée, l’ultra-droite et l’extrême-droite parlementaire, la contestation ne faiblit pas grâce à la solidarité et la détermination du peuple péruvien dans tout le pays depuis deux mois.

Une volonté d’autonomie

Le coup d’Etat de Doluarte a été vivement dénoncé par les présidents du Mexique, de la Colombie, du Honduras, de l’Argentine, de Cuba, de la Bolivie et du Chili qui ont fermement condamné la répression sanguinaire du mouvement social au Pérou.

Les protestataires, majoritairement issus de milieux pauvres et paysans, réclament de nouvelles élections, la destitution de la présidente actuelle et le renouvellement du Congrès, haï par la population. Ils demandent aussi plus de justice sociale et l’inclusion des populations amérindiennes.

Ces dernières n’ont pas voix au chapitre alors que leurs territoires regorgent de ressources naturelles qui sont pillées par les multinationales. De nombreux ex-chefs d’État péruviens sont d’ailleurs en attente de jugement pour des millions de dollars de pots-de-vin donnés par ces multinationales, notamment l’entreprise de BTP brésilienne Odebrecht. Les manifestants accusent également les Etats-Unis d’avoir joué un rôle dans le coup d’État, et l’ont fait savoir en manifestant devant son ambassade.

« On peut deviner le poids des transnationales minières dans cette crise politique, car de 2023 à 2028 les concessions minières vont se re-négocier ce qui explique le coup d’Etat contre Castillo. Il était jugé pas assez fiable car il venait de ces régions qui ont des mines mais sont les plus pauvres et les plus abandonnées par l’Etat » précise Romain Migus, spécialiste de l’Amérique Latine et correspondant sur place, pour La Relève et La Peste

Face à la révolte, le gouvernement Boluarte a déployé la police et l’armée pour libérer les nombreux blocages d’aéroports et de routes qui paralysent le pays, 70 artères seraient encore contrôlées par la population, compliquant l’acheminement de produits dans certaines régions et ayant déjà un impact économique.

Les observateurs estiment que l’économie du pays subit une perte comprise entre 60 et 100 millions de dollars par jour, soit 2% du PIB du Pérou depuis le début du mouvement dont 160 millions de dollars de perte pour le cuivre et 300 millions de dollars pour l’agro-industrie. Le secteur du tourisme doit faire face à 80 % d’annulation des réservations internationales jusqu’en avril 2023.

La mine de cuivre de Las Bambas, qui appartient au consortium chinois MMG, a ainsi dû suspendre ses activités mercredi en raison des blocages routiers. Situé à 4.000 mètres d’altitude, Las Bambas pèse environ 15% de la production de cuivre du Pérou, le deuxième plus grand producteur mondial de ce minerai après le Chili. Elle contribue à 1% du PIB du pays. Son volume de production de près de 400.000 tonnes est équivalent à 2% de la production mondiale de cuivre.

« La population commence à s’attaquer aux intérêts économiques des élites. Résultat, même la Confiep, la puissante organisation patronale qui a soutenu sans faille le coup d’État contre Castillo, plaide dorénavant pour une « réconciliation nationale » dans le but de « garantir la stabilité pour le développement des activités économiques » » écrit Romain Migus

En réponse, le gouvernement a décidé d’allouer 1,55 milliard de dollars pour pallier les pertes économiques des entreprises. Quant au Parlement, il a rejeté pour la troisième fois le fait d’avancer de nouvelles élections, ce que réclament pourtant les manifestants. Face à cet affront, même les quartiers populaires de Lima sont descendus au centre-ville, pourtant situés à 1h30 d’eux en moyenne. 

« Pour la première fois, un mouvement social péruvien a des mots d’ordre politiques nationaux, alors qu’ils étaient habitués à avoir des revendications fragmentées et régionales. Le peuple qui a commencé à s’auto-organiser n’est pas prêt de lâcher, c’est extrêmement important ce qu’il se passe au Pérou » conclut Romain Migus pour La Relève et La Peste

Sur les places des villages, dans les assemblées constituantes, les termes du débat sont posés : le vivre-ensemble, la place des communautés indigènes, le rôle de l’État et des services publics, la répartition et distribution des richesses.

Crédit photo couv : ERNESTO BENAVIDES / AFP

Laurie Debove

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