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Au Luxembourg, premier pays au monde à avoir instauré la gratuité des transports publics, le règne de la voiture persiste

Largement plébiscitée, cette gratuité a un coût financier important, estimé à 41 millions d'euros par an et amorti par l'impôt, de sorte à ce que les plus aisés financent cette transformation du service public.

Mise en place depuis 2020, la gratuité des transports publics est louée par de nombreux Luxembourgeois, tant pour ses avantages financiers qu'écologiques. Pourtant, face à la place toujours prédominante qu'occupe la voiture dans le pays, chercheurs et associations de défense de l'environnement appellent à de nouvelles mesures fortes.

Il y a trois ans et demi, l’annonce avait marqué les esprits. Et pour cause : petit pays de quelque 660 000 habitants, le Luxembourg est devenu en mars 2020 le premier pays au monde à rendre tous ses transports publics entièrement gratuits. Depuis, résidents, touristes comme travailleurs étrangers peuvent monter librement à bord de l’ensemble des trains, bus et tramway qui desservent le pays. Seules exceptions à la suppression des tickets : les billets et abonnements en 1ère classe dans les trains, restés payants aux tarifs en vigueur, ainsi que les trajets transfrontaliers.

Une décision historique, mise en oeuvre pour désengorger le trafic routier et inciter les citoyens à privilégier les transports publics par rapport à la voiture, dont se félicitent aujourd’hui nombre de Luxembourgeois, à l’image d’Anissa Ciyow. “C’était une mesure que tout le monde attendait, se souvient la jeune femme de 29 ans. Ça coulait de source, aussi bien pour des raisons écologiques qu’économiques !” Un enthousiasme partagé par Jennifer Chi, arrivée au Luxembourg il y a quatre ans pour raisons professionnelles. “La gratuité, c’est une super initiative ! se réjouit la Parisienne d’origine. En France, tu payes et en plus de ça, c’est sale et ça ne fonctionne pas toujours très bien…”

Avec l’instauration de la gratuité, des avantages non négligeables   

Pour Merlin Gillard, doctorant spécialiste de la mobilité au centre de recherche luxembourgeois Liser, l’instauration de la gratuité des transports publics comprend de nombreux avantages, à commencer par la “réduction des inégalités en termes d’accès à la mobilité”. “Ça permet d’abolir une ‘taxe’, le prix du ticket, qui n’était pas proportionnelle aux revenus”, développe le spécialiste. Sans compter le fait que la gratuité “a facilité l’utilisation des transports et leur fonctionnement, et permis une plus grande flexibilité aux personnes qui font des trajets en chaîne – par exemple de leur lieu de travail, à l’école des enfants, aux courses -, et qui sont encore majoritairement des femmes”.

Largement plébiscitée, cette gratuité a un coût financier important, estimé à 41 millions d’euros par an et amorti par l’impôt, de sorte à ce que les plus aisés financent cette transformation du service public. Une répartition que Jenny Chi estime légitime : “On paye la gratuité via nos impôts, mais ça vaut le coût ! soutient-elle. Je n’ai jamais entendu personne s’en plaindre, parce qu’il y a un vrai service derrière.” Au-delà de la gratuité des transports publics, le Luxembourg s’est en effet engagé dans un important plan de financement de nouvelles infrastructures, notamment ferroviaires.

La voiture toujours reine

À l’heure où de nombreuses villes européennes expérimentent la gratuité totale ou partielle de leurs transports publics, il est pourtant à ce stade “encore impossible de dire si la gratuité au Luxembourg a eu un impact sur la fréquentation des transports publics, tient néanmoins à rappeler Merlin Gillard, ou même si elle a encouragé ou impacté le report modal de la voiture vers les transports publics”.

Surtout, le spécialiste soulève un problème majeur “et largement ignoré des politiques de mobilité” : celui de la place accordée à la voiture dans le pays. “Il reste plus simple et plus rapide d’utiliser la voiture quand on en a une, regrette-t-il. Aucune mesure ambitieuse pour réduire l’attractivité de la voiture individuelle n’est prise, que ce soit en termes fiscaux, d’espace matériel accordé à la voiture dans les voiries, d’aménagement du territoire, de logement…”

Un constat partagé par Greenpeace qui, dans un rapport paru en mai dernier, s’inquiétait notamment que “l’achat et l’utilisation de la voiture restent pour une partie de la population trop abordables”, dans un contexte où le Luxembourg affichait en 2021 le deuxième taux de motorisation de l’Union européenne avec 681 voitures particulières pour 1 000 habitants, d’après l’institut européen Eurostat. 

Des demandes de changements structurels

Pour tenter d’inverser la tendance et attirer un plus grand nombre d’automobilistes vers les transports en commun, l’organisation de défense de l’environnement a récemment fait différentes recommandations, parmi lesquelles “rendre les voitures les plus polluantes plus chères à l’achat en introduisant une taxe de mise en circulation ou un malus écologique important”. 

Une mesure fiscale qui, aussi importante soit-elle, doit s’inscrire dans une réflexion plus large, assure Merlin Gillard. “Le problème de ce genre de mesures est celui de beaucoup de politiques anti-voiture : elles ne tiennent pas compte de leurs implications en termes d’inégalités sociales et spatiales et se fondent sur une vision individualiste de la mobilité, déplore le spécialiste. Plutôt que de réguler les comportements individuels par les prix, cela me semble plus important d’apporter des solutions vraiment structurelles.” À titre d’exemple, Merlin Gaillard appelle notamment de ses voeux un changement radicale de “l’aménagement des routes et des villes pour y réduire l’espace dévolu à la voitures”. Le doctorant recommande également “d’arrêter de produire massivement des voitures, sauf par exemple pour de l’autopartage, et d’en faire la publicité. Cela s’inscrirait dans des politiques plus générales de décroissance ou de sobriété”, souligne-t-il.

Des réflexions qui résonnent bien au-delà des frontières du Luxembourg, notamment en France où la gratuité totale s’applique actuellement au sein de 38 territoires, comme le détaille l’Observatoire des villes du transport gratuit, parmi lesquels Dunkerque, Niort, Aubagne et bientôt Montpellier Méditerranée Métropole. À l’inverse, dans certaines grandes villes comme Paris, ces questions semblent pour l’heure loin d’être à l’ordre du jour. 

Cecile Massin

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