Vendredi 31 janvier, plusieurs manifestations d’agents de l’OFB - l’Office Français de la Biodiversité - ont eu lieu en France. Elles s'inscrivaient dans le cadre d’une grève nationale, lancée par leur intersyndicale pour s’opposer à l'exécutif. Dans son discours de politique générale prononcé le 14 janvier dernier, François Bayrou a mis en cause les agents de l’OFB, qualifiant « d’humiliation » et de « faute » le fait que les agents de l'office soient armés lors de contrôles d’exploitations agricoles. Un désaveu de trop pour ces policiers de l’environnement que des syndicats agricoles voudraient désarmer.
Des attaques contre l’OFB, police de l’environnement
L’Office français de la biodiversité (OFB) est un établissement public consacré à la protection de la biodiversité. Placé sous la tutelle du ministère de la Transition écologique et du ministère de l’Agriculture, il assure des missions de police de l’environnement, de recherche scientifique et d’évaluation de l’état des populations d’animaux sauvages.
Sur les 3 000 agents que compte l’OFB, 1700 « inspecteurs de l’environnement » sont chargés de faire respecter la réglementation environnementale. Ils disposent pour cela de pouvoirs de police administrative et judiciaire. Bien que certains syndicats agricoles fassent pression pour désarmer ces agents, ils portent une arme de service au même titre que les agents de la police nationale ou de la gendarmerie – dont le port d’armes n’est pas remis en cause -.
Depuis plusieurs mois, les déclarations hostiles à l’OFB venant de responsables politiques se multiplient. En janvier 2024, Gabriel Attal avait déjà remis en cause le port d’armes des agents de l’OFB pour leurs opérations de contrôle d’exploitations agricoles.
Le 23 janvier dernier Laurent Wauquiez a déclaré vouloir « supprimer l’OFB qui est un organisme qui vient contrôler les agriculteurs avec un pistolet à la ceinture » : « comment est-ce qu’un agriculteur dans notre pays risque 3 ans de prison à cause d’un castor ? » s’est-il insurgé dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux.
L’OFB fait également l’objet d’attaques régulières et des destructions de bâtiments lors de conflits politiques liés à des questions agricoles ou à la pêche.
Le 19 janvier, les locaux de l’OFB à Guéret (Creuse) ont été tagués par des membres de la Coordination Rurale (CR) qui ont pu pénétrer dans le bâtiment et y causer des dégâts matériels. Quelques heures plus tard, les locaux de l’OFB à Toulouse ont été la cible de jets de fumier, de sacs de chaux ou encore de ragondins morts.
Ces mécontents réagissaient au propos d’un agent de l’OFB sur France Inter. Il avait comparé les agriculteurs ne voulant plus des contrôles des agents de l’OFB dans leurs exploitations à des dealers demandant aux policiers « de ne plus venir dans les cités pour empêcher le deal ». Le mercredi 22 janvier, le siège départemental de l’OFB dans l’Aude a été tagué et son portail brûlé par des agriculteurs en colère.
Un manque de soutien de la part de l’État
En mars 2023 à Brest, c’est l’entièreté d’un bâtiment de l’OFB qui a été ravagé par le feu, supposément suite à des jets de fusées de détresse lors d’une manifestation de marins-pêcheurs contre des normes environnementales. Une enquête a été ouverte puis classée sans suite. Les agents de l’OFB dénoncent le manque de soutien de la part de l’État.
En effet, ces attaques répétées contre la police de l’environnement ne suscitent pas de réactions fermes de la part des représentants politiques au sommet de l’État. Ces derniers défendent pourtant farouchement l’institution policière lorsque des policiers sont accusés de violences contre des manifestants. Ils affichent également une extrême fermeté face aux militants écologistes lorsque ceux-ci s’opposent à des pratiques agricoles. Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, était resté muet après l’incendie des locaux de l’OFB à Brest. Lui qui, quelques mois plus tôt, qualifiait « d’écoterroristes » des manifestants contre les mégabassines à Sainte-Soline.
Une opposition aux réglementations environnementales
Ces attaques contre l’OFB se placent dans une dynamique de réaction face aux politiques de protection de la nature et dans un effort constant de certains syndicats agricoles pour s’opposer aux réglementations environnementales. En novembre 2024, l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) en avait fait les frais. Plus d’une centaine de manifestants s’étaient réunis à Paris devant le siège national de l’organisme à l’appel des syndicats agricoles FNSEA-JA (La Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles – Jeunes agriculteurs). L’inscription « INRAescrolos » avait été taguée à l’entrée du bâtiment, en référence au travail de l’INRAE censé accompagner des politiques publiques de réduction des pesticides.
Dans la même logique, certains syndicats agricoles, FNSEA en tête, dénoncent régulièrement « l’agribashing » pour disqualifier les critiques à l’encontre de certaines pratiques agricoles et s’opposer aux militants écologistes. Cet élément de langage est repris par des représentants politiques et par les pouvoirs publics. En 2019, le ministère de l’Intérieur a signé une convention avec la FNSEA et les JA et créé la cellule Demeter au sein de la Gendarmerie nationale. Cette cellule destinée à « lutter contre l’agribashing et les intrusions dans les exploitations », visait notamment les actions de l’association L214 et ses enquêtes mettant en lumière des pratiques illégales et dénonçant la souffrance animale.
Pourtant, cinq ans après leur mise en place, les observatoires de l’agribashing, en charge d’évaluer, à une échelle départementale, les « atteintes idéologiques » au monde agricole, n’ont quasiment rien trouvé, selon des documents obtenus par l’ONG ARIA.
L’OFB : bouc émissaire de la crise agricole ?
Selon le communiqué de presse publié par Le Syndicat National des Personnels de l’Environnement Force Ouvrière (SNAPE-FO) – cette attaque contre l’OFB « détourne le débat et empêche de se concentrer sur les véritables causes de la crise agricole : les conditions économiques du secteur, les choix politiques, la régulation des prix, et les défis liés aux transitions écologiques. » Le syndicat rappelle que l’OFB n’a « ni responsabilité ni pouvoir sur les enjeux économiques, sociaux et réglementaires auxquels les agriculteurs sont confrontés. »
Un nouveau rapport d’inspection interministérielle sur les relations entre agriculteurs et OFB consulté et révélé par le média Contexte, confirme cette version et contredit les accusations de comportements inadéquats des agents de l’OFB. Ce rapport fait état de situations conflictuelles rarissimes lors des contrôles et qualifie l’organisme public de « bouc émissaire ». Il mentionne l’importance de « ne pas faire porter à l’OFB la responsabilité de la crise ».
En effet, les difficultés des agriculteurs et l’hostilité que certains d’entre eux manifestent vis-à-vis des agents de l’OFB découlent directement des politiques agricoles menées par l’État. Une politique agricole que François Bayrou n’a pas déclaré vouloir infléchir.
Lors de la révolte des agriculteurs de l’hiver 2024, les normes environnementales avaient également servi de bouc émissaire de la crise agricole. Les directions nationales des principaux syndicats agricoles étaient parvenues à faire passer le rejet de la concurrence internationale et la hausse des revenus des agriculteurs au second plan des mots d’ordre et revendications.
Une défiance néanmoins réelle
Néanmoins, la défiance d’une partie du monde agricole vis-à-vis de l’OFB est bien réelle. Philippe Gustin et Quentin Guérineau, directeurs de cabinet des ministères de l’Agriculture et de la Transition écologique ayant contribué au rapport dévoilé par Contexte écrivent ainsi que « les relations entre les agents de l’OFB et les agriculteurs sont trop souvent sur le terrain dégradées et empreintes de méfiance ».
Lors du retour du loup en Limousin en 2022 par exemple, nombreux étaient les éleveurs ovins à nourrir du ressentiment à l’encontre de l’OFB et à considérer que l’organisme dissimulait des informations. « L’OFB nous a menti en disant qu’il n’y avait pas de loups ici pendant 2 ans » estimait un éleveur corrézien. Ce dernier visait avant tout l’organisme public et non pas les agents : « les personnes en elles-mêmes sont compatissantes, conciliantes, expliquait-il, mais ce sont des fonctionnaires. Localement, ils peuvent essayer d’arranger la sauce, mais cela reste des petits actes individuels. »
À contre-courant d’une vision d’un OFB tout-puissant face aux agriculteurs, Sylvie Gustave-dit-Duflo, présidente du conseil d’administration de l’OFB dément la soi-disant pression que l’OFB ferait peser sur les agriculteurs. « La probabilité pour qu’une exploitation agricole soit contrôlée par les 1 700 inspecteurs de l’environnement, c’est (une fois tous les) 120 ans » affirme-t-elle dans un entretien à l’AFP.
Dans leur ouvrage Police environnementale sous contraintes, publié en février 2024, les sociologues Léo Magnin, Rémi Rouméas et le philosophe Robin Basier documentent une faiblesse structurelle des polices de l’environnement : le manque de moyens, la diversité de leurs missions et le faible nombre d’agents. De plus, ces auteurs constatent que les infractions au droit de l’environnement constatées par les agents de l’OFB sont généralement peu ou pas sanctionnées.
Selon eux, « les polices de l’environnement sont plus caractérisées par les contraintes qui les empêchent d’agir que par la force contraignante qu’elles peuvent réellement déployer ».
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