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Affaire du Siècle : la rapporteuse du procès invite le tribunal à condamner l’Etat français pour « carence fautive »

« Si la responsabilité, la “faute” de l’État est reconnue et, cerise sur le gâteau, si une injonction à agir est validée par le jugement, ce sera une avancée majeure. En termes de rapports de force, il y aura un avant et un après. Le gouvernement actuel ne pourra plus se présenter comme exemplaire sur les questions climatiques, il sera toujours sur la défensive. »

Deux ans après le lancement de la pétition la plus signée de France, l’audience très attendue de « l’Affaire du Siècle » s’est tenue jeudi 14 janvier devant le tribunal administratif de Paris. Au cours de ce débat historique, la rapporteuse publique, magistrate indépendante chargée de conseiller les juges, a recommandé au tribunal de reconnaître la « carence fautive » de l’État dans sa gestion de la crise climatique, comme le demandent les quatre organisations à l’origine du recours — Greenpeace, Notre affaire à tous, la Fondation Nicolas-Hulot et Oxfam.

Le premier grand procès climatique de France

Cette audience laisse à Emmanuel Daoud, avocat de Notre Affaire à Tous, bon espoir de gagner le procès.

« Il est d’usage très fréquent que le tribunal administratif suive les conclusions du rapporteur public. Sans être un parfait optimiste, il est possible de s’attendre à une première victoire. »

Au cours de son argumentation de deux heures, Amélie Fort-Besnard, la rapporteuse publique, a également conseillé au tribunal de condamner l’État à verser aux associations requérantes un euro symbolique pour le « préjudice moral » qu’entraîne le non-respect de ses engagements climatiques.

Rappelons que la France s’est engagée à diminuer ses émissions de gaz à effet de serre de 40 % d’ici 2030, ainsi qu’à atteindre la neutralité carbone en 2050, deux objectifs que son action réelle ne semble pas à même d’honorer.

« On disait, il y a deux ans, que notre démarche était purement symbolique, se souvient Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France, à la sortie de l’audience. Aujourd’hui, la rapporteuse publique a parlé du “premier grand procès climatique de France”, a fait référence au nombre de signataires de notre pétition et s’est appuyée sur un travail scientifique de pointe, extrêmement précis : tout cela est historique et remplit nos attentes. »  

Bien qu’il souhaite demeurer prudent (un revers juridique est toujours possible), le directeur de Greenpeace France, Jean-François Julliard, a toutes les peines à contenir sa joie :

« Si la responsabilité, la “faute” de l’État est reconnue et, cerise sur le gâteau, si une injonction à agir est validée par le jugement, ce sera une avancée majeure. En termes de rapports de force, il y aura un avant et un après. Le gouvernement actuel ne pourra plus se présenter comme exemplaire sur les questions climatiques, il sera toujours sur la défensive. »

« On est en train de faire bouger le droit, de déplacer une montagne, ajoute Célia Gautier, responsable Climat à la Fondation Nicolas-Hulot. Cette après-midi, après deux années et demie de travail et de mobilisation, j’ai ressenti quelque chose d’étrange. En entendant parler ainsi la rapporteuse publique, dans un style très fort qui résonnait contre les murs du tribunal et reprenait mot pour mot certains passages de notre recours, je me suis dit qu’on allait peut-être pouvoir changer la vie des gens, permettre aux citoyens de se défendre. »

La reconnaissance de la responsabilité de l’État dans les préjudices écologiques ouvrirait la voie, pour les Français, à de nouveaux recours en justice, à de nouvelles demandes d’action et de réparation, sous une forme qui reste encore à inventer.

Mais pour comprendre pourquoi cette audience s’inscrit, selon les mots de Cécilia Rinaudo, directrice de Notre affaire à tous, « dans le sens de l’histoire, celle du XXIe siècle », une brève chronologie de cette épopée qui conduira peut-être à bouleverser le droit français ne semble pas accessoire.

Une épopée juridique et une mobilisation citoyenne de grande ampleur

En décembre 2018, les quatre organisations non gouvernementales rassemblées sous le nom de campagne « l’Affaire du Siècle » lancent une pétition sur internet, appelant les citoyens à soutenir leur recours en justice. En un jour et demi, elle recueille un million de signatures, puis franchit l’étape des deux millions au bout d’un mois. Du jamais vu en France. Un bras de fer avec le gouvernement s’engage.

Aussi surpris qu’agacé par un tel succès, l’éphémère ministre de l’Écologie de l’époque, François de Rugy, inaugure alors une série de dialogues qui se transforment peu à peu, d’obstination en atermoiement, en véritable plaidoyer pour l’action gouvernementale. Peu convaincues, fortes de leur soutien populaire, les quatre associations de l’Affaire du Siècle déposent en mars 2019 un recours de plein contentieux devant le tribunal administratif de Paris.

Sur la base de textes juridiques nationaux, européens et internationaux, ainsi que des études scientifiques comme le rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) publié en 2018, les co-requérantes demandent à la justice d’enjoindre le gouvernement à « mettre un terme à l’ensemble des manquements de l’État à ses obligations (…) en matière de lutte contre le réchauffement climatique ou d’en pallier les effets » dans le délai le plus court possible. 

D’intérêt général, cette requête suppose que l’État français n’a pas pris les mesures nécessaires pour contenir l’élévation de la température moyenne de la planète sous le seuil de 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels (tel que l’a fixé en 2015 l’accord de Paris sur le climat), ni pour protéger le territoire national, tout comme la vie et la santé des citoyens, contre les risques liés aux dérèglements climatiques, auxquels serait exposée environ 62 % de notre population.

En mai 2020, un « mémoire complémentaire » est déposé au tribunal par les quatre ONG. Ce document de 93 pages destiné à étayer la requête contient toutes les preuves, sous la forme d’un inventaire sectoriel et de nombreuses données scientifiques, de la défaillance de l’État dans le respect de ses engagements climatiques, dont le mépris aurait conduit, selon les auteurs, « à une aggravation des émissions de gaz à effet de serre (GES), mettant à mal l’environnement et la santé publique ».

Dans son « mémoire de défense » remis un mois plus tard, le ministère de l’Écologie prétend que l’État n’a commis aucune faute, dans la mesure où l’échéance de l’accord de Paris sur le climat est arrêtée à 2030 et parce que « le lien de causalité direct et certain entre l’inaction alléguée de l’État et le changement climatique ne [serait] pas établi ».

Les accusations de « carence fautive » et de « préjudice moral et écologique » seraient selon lui démenties par des objectifs « plus ambitieux » qu’au préalable, propres à conduire la France à la neutralité carbone d’ici 2050.

Lire aussi : « La France est le pays d’Europe le plus menacé par la crise climatique »

Dernière étape (provisoire) de cette joute, le 3 septembre 2020, les quatre associations joignent à leur recours un « mémoire en réplique » afin de démonter l’argumentaire du gouvernement.

Fondé sur presque deux années de veille scientifique et la collecte de dizaines de milliers de témoignages individuels, ce rapport unique en son genre prend le pouls « local » des bouleversements climatiques actuels, comme l’érosion des littoraux, la fonte des glaciers, les inondations, les épisodes caniculaires… Son approche systémique dépasse le cadre du contentieux engagé contre l’État.

Depuis un an, l’Affaire du Siècle a ainsi pris une tournure inédite en France et est devenue le symbole de la convergence des citoyens et de la société civile autour des questions climatiques.

Le recours de l’Affaire du Siècle n’est pourtant pas le premier du genre en Europe. En juin 2015, le tribunal de la Haye (Pays-Bas), saisi par près de 900 citoyens rassemblés sous la bannière de la Fondation Urgenda, a condamné l’État néerlandais à réduire ses émissions de GES « d’au moins 25 % d’ici à la fin de 2020 par rapport aux niveaux de référence de 1990 », une décision confirmée ensuite par un arrêt de la Cour suprême des Pays-Bas.

Lire aussi : « Six jeunes Portugais portent plainte contre trente-trois États pour inaction climatique »

Les quatre associations en sont certaines : le précédent néerlandais, tout comme l’audience du 14 janvier, prend corps dans un mouvement mondial de construction du droit climatique et environnemental.

« Depuis le dépôt de notre recours, détaille l’avocate Clémentine Baldon, qui défend l’Affaire du Siècle, d’autres initiatives ont germé en Europe, cherchant à faire reconnaître le préjudice écologique. Le but est que la nature, sans représentants, puisse être défendue. Aujourd’hui, il a été établi que le changement climatique entraîne aussi un dommage à l’environnement. Pour la première fois, le lien juridique est fait. » 

S’il est bien condamné pour « carence fautive », l’État pourra se soumettre au jugement ou faire appel, comme ce fut le cas aux Pays-Bas. Dans ce cas, l’affaire sera portée devant la cour administrative d’appel de Paris et pourra durer quelques années de plus, avec la promesse de nombreux rebondissements médiatiques. C’est ce que pressent Arié Alimi, l’avocat d’Oxfam France, pour lequel « l’État ne peut pas faire autrement, car il est dans le déni ».

On ne connaît pas encore la date du jugement. En règle générale, les décisions du tribunal administratif sont rendues sous une quinzaine après l’audience. Rendez-vous fin janvier.

crédit photo couv : Notre Affaire A Tous

Augustin Langlade

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